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Nebuchadnezar:
J'aimerais ici essayer de trouver des constantes dans les différentes sociétés musulmanes d'Asie Mineur Maghreb, du Moyen-Orient, et éventuellement de l'Asie centrale et de l'Iran. On pourra y voir ensuite les différences avec l'Asie du sud -est, l'Inde et l'Indonésie.
I. Les nomades cohabitent avec les sédentaires
Des tribus, qu'elles soient arabes (Beni Hillel...) ou Turques (Seldjoukides...) nomadisent sur de vastes territoires et sont en contact constants avec les sédentaires. Des mécanismes font passer d'un état à l'autre : d'après Lawrence d'Arabie, des cultivateurs de la frontière du Yemen sont peu à peu refoulées par d'autres, plus fort, contraints de s'installer sur des terres moins fertiles, et commencent à pratiquer un semi-nomadisme, puis sont à nouveau refoulés vers des terres ne permettant que le nomadisme. A l'inverse, dans le Maghreb, ce sont les nomades les plus faibles qui sont peu à peu refoulés vers les terres et contraints de se sédentariser. L'état de nomade a une image très positive.
II. Esclavages
Elles ont besoin d'un afflux constant d'esclaves. Comme dans le monde antique, plus profondément même, les esclaves interviennent à de nombreux niveaux de la vie sociale et économique : on en trouve dans les cultures d'exportation, les mines, mais aussi dans l'artisanat, les familles (comme concubines) et l'armée (Mamelouks). Les esclaves ont différents statuts et différents traitements suivant leur origine (turc, caucasien, européen, africain), leur emploi (eunuque...) et leur religion : non-musulman / converti de fraîche date / musulman. L'état d'esclave n'est pas une fatalité : les affranchissements sont toujours possibles - pour les musulmans, de même que le rachat pour les Européens restés chrétiens.
III. Communautés
Les hommes libres sont répartis en communautés, suivant leur ethnie et leur lignage (tribu). Suivant leur ethnie et leur religion, ils obéissent à différentes lois : tribales ou religieuses. Les lois religieuses sont différentes suivant que les gens sont musulmans chafféites, malékites, hanbalites, ou hanafies. Les minorités tolérées (dhimmis), chrétiens, juifs et zoroastriens mènent une existence à part, parfois spécialisés dans des domaines d'activités précis (commerce méditéranéen...).
Dans les villes, les différentes communautés vivent dans des quartiers séparés. Je sais qu'à Alger, ces quartiers étaient fermés la nuit par des portes (en particulier, les almées - prostituées de luxe - possédaient les clés pour se déplacer). En était-il de même dans les autres villes ?
Fait à signaler : l'"aristocratie" (si on peut dire qu'il en existe une) vit en ville, en gérant de loin ses domaines campagnards (contrairement à la noblesse européenne).
IV. Religion
La religion est étroitement liée au droit : les études religieuses peuvent donc déboucher sur des postes dans l'administration. Il peut également arriver que certaines personnes - homme ou femme -, touchées par le mysticisme, abandonnent tout pour vivre en vagabond soufi, ou rejoigne des ordres monastiques (derviches).
V. Gouvernement
Le gouvernement est assuré par le calife ou le sultan, qui jouit, théoriquement, d'un pouvoir absolu. Il nomme des gouverneurs et des commandants (émirs) dans les villes, pour les différents groupes de combattants. A priori, aucune de ces charge n'est héréditaire.
VI. Armée
L'armée a toujours pour noyau un groupe de Mamelouks. Ils sont complétés par des troupes issues des tribus nomades. Les paysans (fellah) ne sont jamais mis à contributions.
Voilà, n'hésitez pas à signaler les erreurs ou à compléter !
Florian:
Pour ce qui concerne le premier point, la cohabitation entre nomadisme et sédentarité, on peut je pense aller plus loin et dire que l'Islam est fondamentalement une religion de nomades.
C'est notamment ce qu'ont montré les travaux de Joseph Chelhod: la prière du vendredi n'est pas obligatoire si l'on est dans le désert, un tapis suffit à faire la prière, on peut utiliser du sable pour les ablutions, il n'y a pas besoin de clergé ni par la même de sacrements. On s'est d'ailleurs interrogé sur la nature réelle de la Mecque et de Médine à l'époque de Mahomet: sont-ce de véritables villes ou plutôt des camps sur les routes caravanières?
Et l'on rejoint par là votre dernier point (l'armée): l'Islam a su jouer de ses racines nomades pour se diffuser très rapidement, ce qui explique qu'à terme, les souverains musulmans ont souvent eu recours à des peuples nomades pour sécuriser leurs frontières en y diffusant l'islam.
Cette pregnance du nomadisme aux origines de l'islam explique la cohabitation pacifique (à quelques exceptions près) qui s'installe ensuite entre nomades et sédentaires en monde musulman alors que cette cohabitation est le plus souvent conflictuelle dans d'autres civilisations.
Nebuchadnezar:
Florian a écrit:
Pour ce qui concerne le premier point, la cohabitation entre nomadisme et sédentarité, on peut je pense aller plus loin et dire que l'Islam est fondamentalement une religion de nomades.
C'est notamment ce qu'ont montré les travaux de Joseph Chelhod: la prière du vendredi n'est pas obligatoire si l'on est dans le désert, un tapis suffit à faire la prière, on peut utiliser du sable pour les ablutions, il n'y a pas besoin de clergé ni par la même de sacrements. On s'est d'ailleurs interrogé sur la nature réelle de la Mecque et de Médine à l'époque de Mahomet: sont-ce de véritables villes ou plutôt des camps sur les routes caravanières?
Je suis d'accord avec vous. Parmi les traits nomades, j'y ajouterais - mais c'est là mon opinion personnelle - l'interdit sur le porc - animal des sédentaires par excellence - et le jeûn qui semble amener les gens des villes à se rapprocher de la rude vie des nomades - qui, toujours d'après Lawrence d'Arabie, marchent du lever au coucher du soleil et mettent un point d'honneur à ne manger qu'entre les étapes.
En revanche, je suis plus dubitatif sur la religion sans clergé : les Hébreux avait confié le rôle sacerdotal à une de leur tribu. Les Germains, sédentaires, sauf à l'occasion des grandes invasions, n'avaient pas non plus de clergé : le rôle sacerdotal avait été endossé par le chef de tribu. Les Mongols avaient pour intermédiaire les chamans, qui étaient, je crois désignés à leur naissance.
Citation:
Et l'on rejoint par là votre dernier point (l'armée): l'Islam a su jouer de ses racines nomades pour se diffuser très rapidement, ce qui explique qu'à terme, les souverains musulmans ont souvent eu recours à des peuples nomades pour sécuriser leurs frontières en y diffusant l'islam.
Cette pregnance du nomadisme aux origines de l'islam explique la cohabitation pacifique (à quelques exceptions près) qui s'installe ensuite entre nomades et sédentaires en monde musulman alors que cette cohabitation est le plus souvent conflictuelle dans d'autres civilisations.
Là encore, je suis d'accord : les Mongols, après avoir conquis la Chine, ont été rejetés ou ont été absorbés, et ils sont demeurés nomades en Mongolie. Les Russes ont forcé les peuples soumis à se sédentariser. Les Magyars se sont sédentarisés d'eux-mêmes. Il semble que c'est uniquement dans les territoires musulmans que les nomades se sont maintenus jusqu'au XXe siècle côte-à-côte avec des sédentaires.
Dhu Shara:
Sujet très intéressant.
Citation:
Pour ce qui concerne le premier point, la cohabitation entre nomadisme et sédentarité, on peut je pense aller plus loin et dire que l'Islam est fondamentalement une religion de nomades.
Sur ce point je ne suis pas tout à fait d'accord. Pour les raisons suivantes:
1- La vie des musulmans tourne autour de l'institution de la mosquée. Une forme de sédentarité
2- Selon les récits des chroniqueurs, Mahomet aurait incité les bédouins (nomades) à se sédentariser (enclencher un processus). Il aurait dit: "Plus de "bédouinisation" avec l'avénement de l'Islam" en Arabe pour ceux qui le comprennent "La: Ta-arrouba ba'ada al Islam" (RR roulé, à ne pas confondre avec GH)
3- L'islam est apparu chez une tribu mecquoise "Qoraych", sédentaire, pratiquant le commerce.
4- Le qoran critique les bédouins. Il y est dit " Les bédouins sont ceux qui renient et louvoient le plus" (traduction personnelle) (Al a'arabu achaddou Koufran wa nifaqan".
Citation:
C'est notamment ce qu'ont montré les travaux de Joseph Chelhod: la prière du vendredi n'est pas obligatoire si l'on est dans le désert, un tapis suffit à faire la prière, on peut utiliser du sable pour les ablutions, il n'y a pas besoin de clergé ni par la même de sacrements. On s'est d'ailleurs interrogé sur la nature réelle de la Mecque et de Médine à l'époque de Mahomet: sont-ce de véritables villes ou plutôt des camps sur les routes caravanières?
Elle n'est pas obligatoire lorsqu'on est en voyage. Mais, elle est obligatoire pour le bédouin qui doit rejoindre la mosquée la plus proche. (incitation à la sédentarisation)
Citation:
Cette pregnance du nomadisme aux origines de l'islam explique la cohabitation pacifique (à quelques exceptions près) qui s'installe ensuite entre nomades et sédentaires en monde musulman alors que cette cohabitation est le plus souvent conflictuelle dans d'autres civilisations.
Il ne s'agissait certainement pas d'état de guerre en continu, mais la cohabitation n'était pas toujours pacifique. Loin de là!
La sédentarisation des bédouins n'est pas très différente de celle de leurs cousins dans des périodes plus anciennes: les amorites, les araméens ... etc. C'est un phénomène, qui a certes été exploité par les arabes sédentaires mécquois et de médine pour propager la nouvelle religion.
Citation:
Il semble que c'est uniquement dans les territoires musulmans que les nomades se sont maintenus jusqu'au XXe siècle côte-à-côte avec des sédentaires.
Oui, mais c'est surtout dans les endroits les plus reculés, ou échappant au contrôle (arabie, hauts plateaux au maghreb, sahara, haute égypte, le désert de syrie ...etc)
Au maghreb, ce n'est pas que leur mode de vie était toléré, il était imposé. Vous avez 900 mille âmes qui se déferlent sur un territoire peuplé de 2 à 3 millions d'âmes ... Il ne s'agit pas de groupes isolés, minoritaires ...
Les premiers musulmans ont tenu en compte le mode de vie des bédouins en les incitant à se sédentariser. Le Hédjire (Hidjra) en arabe concernait les bédouins aussi. Tous les croyants devaient rejoindre Mahomet à "Yathrib" qui devint Médine (cité en arabe). Le premier édifice construit à médine fut la Mosquée où le croyant doit se rendre 5 fois par jour ... Tout pour encourager la sédentérisation des nomades ...
Nebuchadnezar:
Dhu shara a écrit:
1- La vie des musulmans tourne autour de l'institution de la mosquée. Une forme de sédentarité
Je ne suis pas tout-à-fait d'accord : les obligations rituelles du musulman sont énoncées dans les 5 piliers de l'islam, qui ne comprennent pas la prière du vendredi. De plus, aller prier dans des lieux fixes n'est pas incompatible avec le nomadisme pastoral : les nomades suivent en général des circuits déterminés, et peuvent retourner régulièrement aux mêmes endroits. Les Mongols, par exemple, avaient des montagnes sacrées pour y prier les dieux.
Citation:
2- Selon les récits des chroniqueurs, Mahomet aurait incité les bédouins (nomades) à se sédentariser (enclencher un processus). Il aurait dit: "Plus de "bédouinisation" avec l'avénement de l'Islam" en Arabe pour ceux qui le comprennent "La: Ta-arrouba ba'ada al Islam" (RR roulé, à ne pas confondre avec GH)
... 4- Le qoran critique les bédouins. Il y est dit " Les bédouins sont ceux qui renient et louvoient le plus" (traduction personnelle) (Al a'arabu achaddou Koufran wa nifaqan".
D'un autre côté, les qualités des Bédouins du temps de l'ignorance étaient magnifiées : sens de l'honneur, hospitalité, modestie.
Les nomades seront toujours des sujets turbulents sous les califes : après la mort de Mahomet, certaines tribus se désolidariseront des Qoraych, puisqu'elles ne s'estimaient liées qu'au Prophète, et non à un Etat ou une tribu dans son ensemble. De plus, Certains ont suivis plusieurs hérésies : celle de l'anti-prophète, puis celle des Kharmates. En fait, quand les Saoud établiront leur premier Etat autour de Ryad au XVIIIe siècle, ils prétendront que les tribus qu'ils avaient soumises avaient toujours des restes de paganismes. L'existence de troubles avec les Bédouins au moment où le Coran était constitué - 40 ans après la mort du prophète, puis la Sira (tradition sur la vie de Mahomet) fixée - 1 ou 2 siècle après sa mort, peuvent expliquer ce verset du Coran et la parole attribuée au prophète.
Si Mahomet a bien prononcé cette parole, force est de constater qu'elle n'a pas été suivie d'effet : la sédentarisation des nomades du Hedjaz aura lieu qu'au ... XXe siècle, quand les Saoud les obligeront à vendre leurs chameaux pour se lancer dans l'agriculture.
Citation:
[le nomadisme persiste] surtout dans les endroits les plus reculés, ou échappant au contrôle (arabie, hauts plateaux au maghreb, sahara, haute égypte, le désert de syrie ...etc)
Oui, mais sur le plateau d'Anatolie, les nomades ne se sont-ils pas maintenus jusqu'à l'avènement d'Ataturk ? Hors, l'Anatolie était urbanisée sous l'empire Byzantin. La région n'était donc pas si reculée ou incontrôlable que cela.
Citation:
Au maghreb, ce n'est pas que leur mode de vie était toléré, il était imposé. Vous avez 900 mille âmes qui se déferlent sur un territoire peuplé de 2 à 3 millions d'âmes ... Il ne s'agit pas de groupes isolés, minoritaires ...
Le chiffre de 900 000 vient, si je ne me trompe, de Léon l'Africain, et il est évidemment exagéré : à l'instar des Huns et des Mongols, les nomades d'Arabie paraissent innombrables aux sédentaires qu'ils envahissent. Comment le désert aurait-il pu nourrir une telle masse humaine alors que les terres du Maghreb n'auraient pu en nourrir que le double ? Mon avis est que les institutions ont permis de faire cohabiter les Bédouins et les sédentaires, en limitant les conflits à un niveau acceptable.
Florian:
J'en viens au deuxième point de votre propos: l'esclavage.
D'abord, je pense qu'il faut rappeler que jusqu'à la période moderne, toutes les économies ont recours à l'esclavage pour fonctionner. Il n'est donc pas surprenant que le monde musulman y ait également recours. Ce qui l'est plus, c'est l'usage original qui y est fait des esclaves ou du moins de certains d'entre eux: il ne s'agit pas tant d'assurer le fonctionnement de l'économie que l'encadrement de la société. Ces esclaves ne sont pas dévolus (comme c'est généralement le cas dans d'autres civilisations) à des tâches manuelles de base (agriculture, manufacture) mais à des fonctions stratégiques voire régaliennes (la défense, l'administration, la garde du Palais). C'est me semble-t-il là qu'il faut chercher une caractérisique originale de la civilisation musulmane (même si ce n'est pas un hapax, et que l'on trouve trace d'un esclavage militaire en Chine par exemple).
Quoi qu'il en soit, ce système original suppose donc un processus d'acculturation qui suscita incompréhension voire fureur de la part des chrétiens qui, pendant longtemps, ont eu le sentiment que les avancées de l'Islam se faisaient par chrétiens interposés. Les musulmans ne combattaient pas eux-mêmes mais mettaient entre eux et leurs adversaires un bouclier humain de renégats: les musulmans avaient ainsi l'art de faire s'entretuer les chrétiens sans jamais se mettre en première ligne, et de tirer les marrons du feu au final (cf. sur ce sujet le bel article de JC Garcin: Aux sources d'une idéolodie: la force empruntée de l'Islam - trafic d'hommes et mentalités en Méditerranée). Ce serait là une deuxième spécificité islamique, repérée (jusqu'à la caricature) dès le Moyen Age, à savoir que l'Islam a l'art de faire supporter aux autres le poids de ses conquêtes.