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Message Publié : 22 Juin 2009 23:56 
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Eginhard
Eginhard

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Qu'à cela ne tienne, je vais devoir reproduire en quotant l'intégralité de l'article de Sylvain Piron, datant du 29 mars 2009 (Et non en 2008, erarratum. Sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur: l'influence fondamentale ainsi que la transmission de textes grecs antiques via les traductions au sein de la civilisation arabo-musulmane de ces textes au cours du Haut-Moyen Age puis en Al Andalus, en sicile et à l'époque des croisades.

Citer :
Sur une falsification historiographique

Aristote au Mont-Saint Michel est un essai tendancieux, mal construit et mal informé, qui ne mériterait pas d'être signalé et discuté dans une revue scientifique, n'était le ressentiment qu'il a provoqué dès sa parution en mars 2008. En quelques semaines, le livre a bénéficié de recensions favorables dans la presse quotidienne, suscité l'indignation de la presse totalité des spéclialistes concernés, mais surtout rencontré un large public. Différents facteurs peuvent expliquer ce succès de librairie, le principal d'entre eux étant assurément le fait que cet ouvrage donne un semblant de respectabilité savante à de très vieux préjugés revenus dans l'air du temps: l'islam est incompatible avec les valeurs occidentales et d'ailleurs, nous dit Gouguenheim, il l'a toujours été. Sous des dehors érudits, son travail n'est en réalité qu'une tentative de fournir un argumentaire historique à l'appui d'une thèse politique qui perçoit l'islam contemporain comme un danger pour l'identité occidentale.

Si elle peut égarer le grand public, cette publication met rapidement en alerte un lecteur un tant soit peu averti. Les erreurs factuelles ou les imprécisions sont innombrables, les lacunes bibliographiques colossales, le choix des auteurs de référence est souvent discutable, l'information est fréquemment de troisième main, utilisant davantage les manuels universitaires que les travaux de recherche. Ces approximations reflètent pour une part les ignorances d'un néophyte qui n'avait publié auparavant aucun article scientifique sur les questions d'histoire des savoirs dont il traite ici. Mais de la part d'un universitaire, ces manquements répétés aux exigences du métier d'historien ne peuvent être involontaires. Nous ne sommes donc pas confrontés à une accumulation de maladresses sur un sujet reconnu comme étant particulièrement délicat, mais bien à une falsification délibérée. Or il n'y'a pas lieu de débattre avec un livre de mauvaise foi. Face à un tel object, la tâche de la critique est plutôt de démonter une argumentation de bout en bout fallacieuse, de façon à faire ressortir les intentions qui animent cette entreprise.

Cette manipulation, souvent brouillonne et maladroite, a recours à une série de procédés d'écriture qui se laissent facilement percer à jour. Par le le plus criant d'entre eux, que l'on peut ranger globalement à l'enseigne de la dénégation, l'auteur révèle ses arrières-pensées en proclamant ne pas les avoir ou en les imputant aux auteurs qu'il combat. On notera pour commencer son remarquable: "Mon intention n'est pas polémique" (p.10) Ce procédé le conduit à reprocher à ses adversaires des fautes qu'il commet lui-même. Critiquant Marcel Détienne, il dénonce sur un point "un oubli trop frappant pour ne pas être volontaire. (p.176). Or c'est bien ainsi qu'il agit lui-même au fil de son livre, en exagérant l'importance des faits mineurs tout en passant sous silence des données massives qui contrediraient ses affirmations. Dans le registre de la dénégation, la perle la plus admirable se lit dès la première page: "La thèse n'aurait en soi rien de scandaleux, si elle était vraie" Il reste qu'elle repose sur un certain nombre de raccourcis ou d'approximations, et qu'elle fait l'économie d'une série d'éléments pourtant établis. Elle relève ainsi, malgrè les apparences, plus du parti pris idéoogique que de l'analyse scientifique" (p.9) Ces quelques phrases décrivent exactement le statut du livre qui va suivre. Il n'y'a rien d'étonnant à cela puisque Gouguenheim présente par ces mots la thèse qu'il entend pourfendre. Prétendant s'opposer à un discours commun, qui en réalité ne correspond pas à une position scientifique précise mais à une simple chimère idéologique, il bâtit lui-même en retour un contre-modèle qui se situe sur le même plan du " parti pris idéologique". Aux prétendues thèses de la "dette" de l'Europe médiévale envers le monde arabo-musulman, qui impliquerait l'existence de "racines musulmanes de la culture européenne", s'oppose la vision tout aussi sommaire d'un Occident chrétien qui aurait assimilé le savoir de la Grèce antique "par ses propres moyens" et qui y plongeait ses "racines" sans autre intermédiaire. Plus l'épouvantail est effrayant, plus le "rééquilibrage" peut sembler légitime, à ceci près qu'aucun chercheur, et certainement pas Alain de Libera qui est expressément visé dans ces premières pages, , n'a jamais soutenu sous cette forme les thèses dénoncées.


La suite demain (l'article fait 7 pages au format pdf) et bonsoir.

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''L'histoire, je le crains, ne nous permet guère de prévoir, mais, associée à l'indépendance d'esprit, elle peut nous aider à mieux voir.'' Paul Valéry


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Message Publié : 23 Juin 2009 0:33 
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Eginhard
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Bon et tant pis!

Je met le lien de l'article de Sylvain Piron, implaquable sur le plan historique et scientifique envers le livre de S.G.

Le lien est au format pdf, j'espère qu'il fonctionnera correctement.

http://islam-orient.ens-lsh.fr/IMG/pdf/ ... phique.pdf.

Bonne nuit.

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Message Publié : 23 Juin 2009 13:19 
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Eginhard
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Aucun des liens ne fonctionnent! :rool:

Décidément, c'est assez incroyable alors qu'ils sont tous correctement formatés.

Je vais devoir requoter l'article remarquable de Sylvain Piron.

Citer :
La première opération malhonnête menée dans l'ouvrage est donc la falsification de cette chimère d'une dépendance radicale de l'Occident à l'égard de l'Islam. Si l'on cherche à démêmer l'écheveau des amalgames sur lesquels elle repose, un élément arrête l' attention. A deux reprises est cité un rapport du Conseil de l'Europe, rédigé à la suite des attentats du 11 septembre, sur la coopération culturelle entre l'Europe et les pays du Sud de la Méditerranée (p.15 et 205). Contrairement à ce que prétend l'auteur, il n'est aucunement question dans de document de "reconnaître la place de l'islam dans le patrimoine européen", mais tout au plus de promouvoir l'écriture commune d'une histoire de la Méditerranée "afin de placer une vision intégrante et non exclusive du passé dans les manuels d'histoire1". Cette référence, et la distorsion qu'elle subit, est doublement intéressante. Elle révèle que l'ouvrage s'inscrit ouvertement dans un débat sur la situation actuelle de l'Occident face à l'islam, avec une volonté marquée d'en durcir les termes. La chimère se prolonge en pure caricature lorsqu'elle évoque "l'opposition d'un Islam éclairé, raffiné, spirituel, à l'Occident brutal, guerrier et conquérant" (p.17), image dont on peut seulement se demander de quel fantasme elle est issue. Si notre hypothèse d'une écriture dénégatrice est correcte, il serait inquiétant de lire ici, en inversant les termes, la façon dont l'auteur perçoit la divergence actuelle des deux civilisations qu'il oppose.


Citer :
Une deuxième chose discutable tient au découpage chronologique retenu. Visiblement choqué par le décalage de développement entre les mondes latins et arabo-musulmans aux VIIIe-XIIe siècles, l'auteur se focalise sur cette seule période, afin de contester l'idée d'un "âge sombre" européen. Or, en excluant le XIIIIe siècle, c'est le moment majeur de réception de la science arabe en Occident qui est écarté et donc la source des objections les plus manifestes à la thèse défendue. La justification de cet escamotage est particulièement faible. De ce siècle dateraient "les débuts de la science moderne, dont seuls les Européens sont à créditer" (p.199), qui rendrait vaine la question de l'influence arabe. Pourtant, aillleurs, c'est au XVIe siècle qu'est placé le saut qualitatif (p.23). Si l'auteur ne semble pas autrement embarrassé par un tel flottement, c'est qu'il possède une conception linéaire et particulièrement simpliste du progrès scientifique: "le développement de l'intelligence et l'accroissement du savoir, une fois lancés, ne s'arrêtent plus" (p.53). La mauvaise foi est à son comble lorsqu'il prend Albert le Grand comme témoin d'un développement purement endogène de la science occidentale. De tous les savants médiévaux, le dominicain allemand est celui qui a proclamé le plus fortement son mépris pour le médiocre savoir des Latins et son admiration pour celui des Arabes.

L'armature intellectuelle de l'ouvrage est exposée dans le cinquième et dernier chapitre, intitulé " Problèmes de civilisations", qui se prévaut de références appuyées à Fernand Braudel. Par un tour de passe-passe, la critique des dangers de l'"essentialisme" est immédiatement suivie de la reconnaissance de tendances "essentielles", propres à chaque civilisation (p.168-169). De ce point de vue, ce sont plus que des tendances mais des permanences sur lesquelles Gouguenheim fonde son opposition des civilisations chrétiennes et musulmanes. Inscrites dans la personne de leurs fondateurs, elles peuvent être résumées d'une image, par les attitudes de Jésus et de Mahomet face à la femme adultère, opposant le refus de la lapidation du premier à la mise à mort réclamée par le second (p.168). La méthode est, si l'on ose dire, pour le moins lapidaire. Le message subliminal transmis par cet exemple peut se lire comme un clin d'oeil à Robert Redeker: l'islam serait par définition une religion de haine et de violence, le christianisme une religion d'amour et de paix2. Une autre distinction essentielle tient à ce que le christianisme est fondé sur un récit, qui imposerait un effort de compréhension et favoriserait de ce fait le jugement critique (p.200), tandis que l'islam se résumerait à une loi divinement révélée à laquelle on ne peut qu'obéir. De part et d'autre, la simplification est plus qu'excessive. Affirmer que "l'aspiration de l'esprit européen à une pensée libre et à un examen critique du monde trouve, en partie du moins, ses racines dans les enseignements du Christ" (p.55) revient à faire l'impasse sur les dynamiques conflictuelles qui ont agité l'histoire intellectuelle européenne depuis le XIIe siècle, ou les les "aspirations à une pensée libre", si l'on peut désigner ainsi la curiosité philosophique, ont le plus souvent été censurées par les autorités ecclésiastiques. Une autre dijonction irrémédiable provient, non plus des religions, mais de l'opposition entre les langues sémitiques et indo-européennes. Dans leurs grammaires respectives serait inscrite une incapacité ou une aptitude à la pensée rationnelle (p.136-137). Cette incompréhension programmée par avance interdit évidemment tout échange réel entre civilisations. Sur ce point, un détournement conceptuel est particulièrement grossier. La notion de "transmission" des savoirs ne désigne au sens strict qu'un mouvement d'appropriation; elle est ici comprise dans les termes d'une volonté de transmettre. A ce compte, la victoire est facilement acquise: "ce que l'Occident a découvert, il est allé le chercher directement" (p.183); nul n'en a jamais douté.

Cet exposé des présupposés permet de résumer très simplement la démarche suivie. Elle vise à illustrer un seul postulat: la raison grecque appartient par essence au christianisme, tandis qu'elle est par nature inassimilable dans la civilisation arabo-musulmane. Il s'agit donc de montrer que la transmission du savoir grec en Occident s'est effectivement plus tôt qu'on ne le croit et sans l'aide d'aucun intermédiaire (chap. I et III), que sa transmission dans la civilisation musulmane a uniquement été le fait de chrétiens syriaques (chap. II) et qu'elle n'a pas donné lieu à une réelle "hellénisation" du monde musulman (chap. IV). Sur tous ces points, les règles de l'enquête contradictoire ne sont pas respectées. On observe à la place des plaidoyers unilatéraux qui forcent la documentation dans le sens souhaité.

Le premier chapitre s'ouvre sur une affirmation forte, "les Evangiles furent écrits en grec" (p.25), qui néglige le fait pourtant crucial que la langue parlée par Jésus était l'araméen et que sa culture était évidemment hébraîque. Pour un ouvrage en quête de racines, l'oubli total des origines juives du christianisme est assez remarquable. De même, les échanges anciens entre cultures grecques et latine ne donnent lieu à aucune réflexion. On trouve à la place une collection de faits anecdotiques sur la connaissance du grec en Occident au Haut Moyen Âge, souvent exagérés, parfois répétitifs voire contradictoires (tantôt Charlemagne est capable de corriger lui-même le texte grec des Evangiles, p.35, tantôt il sait à peine lire, p.56). Les enjeux proprement politiques des relations entre l'empire d'Occident et Byzance, qui dominent la question des échanges linguistiques durant cette période, ne sont jamais mis en avant ni exposés avec l'ampleur souhaitable. La présentation des chrétiens d'Orient, traducteurs en syriaque d'une grande part de l'héritage philosophique grec, ne contient rien de très neuf, si ce n'est des oublis volontaires dans la présentation des milieux culturels abbassides. La mise en valeur du traducteur chrétien nestorien Hunayn Ibn Ishaq s'accompagne d'un silence total concernant Al Kindi, son exact contemporain, qui fut à Bagdad l'animateur d'un autre cercle de traducteurs tout aussi important.

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Message Publié : 23 Juin 2009 15:00 
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Eginhard
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Le chapitre consacré à la réception du savoir grec dans l'Islam se distingue par une disproportion flagrante des critères appliqués pour juger de faits comparables dans les mondes latins ou arabes. L'Islam se voit affligé, par nature, d'une absence de curiosité pour l'autre, au mépris de l'existence de géographes médiévaux qui n'ont pas leur équivalent dans le monde chrétien. Absence de "libre pensée" contestatrice de la religion, ignorance de la langue grecque de la part des principaux philosophes, culture savante limitée à une élite: tous ces traits supposés dénoter la faible "hellénisation" du monde arabo-musulman valent autant, sinon plus, pour la chrétienté latine contemporaine. Derrière de tels jugements partiaux se cache une méconnaissance foncière des enjeux d'une histoire de la philosophie et des sciences. L'aristotélisme serait synonyme de rationalisme tandis que le néoplatonisme serait à classer du côté de la mystique, ce qui autorise, par exemple, à minimiser la pertinence de l'oeuvre d'Avicenne (p.149). Or c'est précisément la rencontre de ces deux traditions en terre d'Islam qui a durablement orienté la réception de la pensée grecque dans le monde occidental. L'un des textes les plus influents du XIIIe siècle latin, connu sous le nom de Liber Causis, fut composé au IXe siècle à Bagdad dans le cercle d'Al Kindi (un texte apparenté, la théologie d'Aristote, connut son heure de gloire en Occident aux XVIe et XVIIe siècles). Par cet intermédiaire, et d'autres sources, Thomas d'Aquin fut autant marqué par les courants néoplatoniciens que l'avait été Avicenne. Traiter le premier de rationaliste et le second de mystique est une absurdité difficilement justifiable. Au contraire, ce qu'on attendrait, mais qui n'est pas dans les cordes de l'auteur, serait une véritable confrontation de ces deux immenses penseurs, qui ont effectivement été aux prises avec des problèmes comparables. Dans ce chapitre, les limites, peut-être délibérées, de l'information de Gouguenheim sont également en cause. On comprend mal qu'une page soit consacrée à la notion du 'ilm (science ou connaissance) sans qu'il soit fait référence au grand livre que Franz Rosenthal a consacré aux différents sens du mot, Knowledge Triumphant. The Concept of Knowledge in Medieval Islam (Leyde, Brill, 1970). Cet ouvrage qui dresse le tableau le plus complet du véritable engouement spéculatif qu'a connu l'islam médiéval est à lui seul une réfutation des thèses défendues par Gouguenheim. Ce dernier se réfère uniquement aux travaux d'auteurs français tels que Dominique Urvoy, Rémi Brague, René Marchand (davantage utilisé qu'il n'est explicitement cité) ou Anne-Marie Delcambre, tous marqués par une vision très négative de l'islam, en ignorant ceux de spécialistes internationalement reconnus tels que Dimitri Gutas, Gerhard Endress ou Cristina D'Ancona ou des dominicains de l'Institut d'études orientales, de Georges Anawati à Régis Morelon. Plusieurs sensibilités s'expriment dans l'étude de l'islam médiéval; il est préférable de s'informer le plus largement de ces différentes approches, plutôt que de s'enfermer dans un seul sillon étroit, d'autant plus lorsqu'on n'est capable d'accéder directement aux sources.

Le troisième chapitre, consacré aux traductions d'Aristote par Jacques de Venise, semble avoir été artificiellement séparé du premier chapitre qui s'achevait sur la "renaissance du XIIe siècle". Sur le personnage même, dont l'oeuvre a été reconstituée il y'a longtemps par Lorenzo Minio-Paluello, le livre n'apporte rien de neuf. Les gloses des manuscrits d'Avranches, dont des reproductions sont présentées, ne reçoivent pas ici l'examen attentif qu'elles mériteraient (il est seulement dit, p. 212, qu'elles sont "spectaculaires"; il aurait sans doute valu la peine d'aller au-delà de l'admiration visuelle pour commencer à les déchiffrer). Certes, l'abbaye du Mont-Saint-Michel a pour caractère remarquable d'avoir conservé, les unes après les autres, les strates successives de la traduction latine d'Aristote, de Boèce à Robert Grosseteste, y compris dans ses versions arabo-latines. En revanche, contrairement à ce qu'annonce la quatrième de couverture, elle n'a jamais été "le centre d'un actif travail de traduction" et Jacques de Venise lui-même n'y'a certainement pas mis les pieds. Là encore, les louanges adressées à ce personnage obscur sont totalement disproportionnées. Parmi les autres traducteurs de grec en latin au XIIe siècle, l'activité de Burgondion de Pise est bien plus riche et variée et la seule probité historique appelait à mentionner, en contrepoint, les traductions réalisées sur l'arabe par Gérard de Crémone. Le cas est monté en épingle pour des raisons purement "spectaculaires": l'équation simpliste qui identifie Aristote à la science tout entière et la présence d'un manuscrit en un lieu tenue pour preuve de sa réception active permettent de faire jouer ensemble deux symboles, pour célébrer l'entrée de la raison dans le sanctuaire du christianisme le plus occidental. On peut juger cette mise en scène d'assez d'assez mauvais goût. Une approche plus équilibrée de ces questions devrait conduire à rappeler que, quelles que soient les trajectoires de traduction, l'ensemble du corpus aristotélicien a été lu et compris par les Latins, au XIIIe siècle, à l'aide de commentaires byzantins et surtout arabes. La Métaphysique d'Aristote a d'abord été assimilé par les universitaires parisiens dans sa paraphrase d'Avicennienne, avant d'être lue à la lumière des commentaires d'Averroès.

Pour finir, il reste à dire un mot de l'étrange annexe dans laquelle l'auteur revient sur le cas de l'écrivaine allemande Sigrid Hunke, idéologue nazie, figure de la nouvelle droite "paîenne" qui, par détestation du christianisme, attribuait tout l'essor scientifique occidental à l'apport musulman. Du point de vue de la discussion historique, cette thèse ne présente pas le moindre interêt et ne mérite pas même d'être mentionnée dans un travail scientifique. Elle semble n'être invoquée qu'afin de servir d'incarnation ultime à la chimère mise en place dans les premières pages du livre, délivrant un message subliminal inquiétant: "attention, amis de l'islam, vous croyez être de gauche, vous êtes en réalité manipulés par des nazis". On ne peut s'empêcher de penser que cette figure est ici mentionnée dans un nouvel accès de dénégation. En voulant se démarquer d'une extrême droite fascinée par l'islam, Gouguenheim voudrait-il se dédouaner de tenir des propos proches de ceux d'une autre extrême droite, pour qui l'islam menace l'identité de l'Occident? Il aura beau protester que ce serait lui prêter des intentions qui n'étaient pas les siennes, le message que fait passer son livre se résume assez brutalement: l'Europe ne doit rien aux arabes musulmans qui ont de tout temps été incapables d'accéder à la raison et à la science, du fait de leur religion et de leur langue. Malgrè toutes les excuses qu'on peut lui chercher, au bout du compte, ce livre relève davantage d'une propagande idéologique à peine déguisée que d'un travail consciencieux de vulgarisation historique.

Pour terminer sur une note positive, on peut tirer des leçons de la manipulation à laquelle s'est livré Gouguenheim. La première est qu'un concept réifié d'"islam" n'est pas opératoire en histoire des savoirs, pas davantage du reste que celui de "christianisme" ou de "raison grecque". De telles notions interdisent de prendre au sérieux les dynamiques historiques complexes qui se jouent à l'intérieur d'un univers culturel et reconduisent presque inéluctablement à des jugements sommaires sur le génie des langues ou l'esprit des religions. L'histoire des savoirs et de la pensée dand la civilisation arabo-musulmane est un chantier encore largement ouvert. Elle doit être étudiée pour elle-même, dans ses dimensions intellectuelles et sociales, et pas uniquement du point de vue d'une transmission vers l'Occident. L'histoire occidentale elle-même a beaucoup à y gagner, tant il y'a de fruits à attendre d'une histoire comparée, menée sereinement, hors de tout esprit de compétition ou d'affrontement.

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Message Publié : 23 Juin 2009 21:18 
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Eginhard
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Inscription : 01 Déc 2007 12:34
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Un très bon article de 13 pages au format pdf de Gabriel Martinez-Gros, enseignant à Paris VIII, intitulé Les conquêtes arabes de 630 à 750

Donc du Prophète jusqu'à l'instauration définitive du califat abbasside en 750 après la révolution de 749. Des quatres premiers califes rashidouns en passant par les Omeyyades, raisons militaires, politiques entre autre d'une fulgurante expansion.

http://www.cehd.sga.defense.gouv.fr/IMG ... z-Gros.pdf

Un dossier pour les enseignants du secondaire intitulé Orient/Occident

Sommaire:

- L'Empire byzantin, l'Occident chrétien et le monde islamique au Moyen Âge à partir de la page 2.

- Les contacts entre pays d'Islam et le monde latin au Moyen Âge central à partir de la page 11.

- Des choix d'oeuvres artistiques des pages 23-58.

- Des annexes (dont des cartes) p. 59-72

http://www.musee-moyenage.fr/documents/ ... cident.pdf

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Message Publié : 30 Juin 2009 11:57 
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Eginhard
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Inscription : 01 Déc 2007 12:34
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Un article sur La circulation des monnaies arabes en Aquitaine et Septimanie VIIIe-IXe siècles

http://snl87.fr/documents/Monnaiesarabes.pdf

Sur L'Islam en Afrique

http://uta.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/doc-600.pdf

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Message Publié : 30 Juin 2009 13:03 
Merci beaucoup pour ces liens notamment le premier je ne pensais pas qu'il y avait autant de traces de monnaies arabes en France.


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Message Publié : 30 Juin 2009 14:33 
Sur l'histoire du Maghreb "médiéval":

http://www.quellehistoire.com/docu/hist ... aghreb.pdf


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Message Publié : 02 Août 2009 14:16 
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Eginhard
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Inscription : 01 Déc 2007 12:34
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Voici un article très intéressant sous la forme d'un entretien entre la revue Esprit et Abdesselam Cheddadi* au sujet d'Ibn Khaldûn et de ses reconnaissances. L'entretien date du numéro 11 de la revue Esprit de novembre 2005. Il est au format pdf (13 pages)

Voici tout d'abord l'introduction:

Citer :
Introduction: Né à Tunis en 1332, le géographe et penseur du politique Ibn Khaldûn est décédé au Caire en 1406. Si l'influence de sa pensée sur le monde arabo-musulman est sujet à débat, la place qu'il occupe comme penseur majeur de l'humanité est largement reconnue. Le dialogue entre Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit, et Abdesselam Cheddadi permet de se famililiariser avec la pensée et les principaux concepts d'Ibn Khaldûn; c'est aussi l'occasion d'une réflexion sur les ambiguités de l'acte de traduire." Ibn Khaldûn aujourd'hui, c'est prendre la mesure d'une pensée non européenne majeure et inviter à des approches comparatives afin de contrer l'idée d'un fossé entre les cultures et les pensées qui les portent" précise la revue Esprit dans sa présentation.


La revue des revues.

* Abdesselam Cheddadi est un grand spécialiste d'Ibn Khaldûn et de l'historiographie musulmane, il s'intéresse aussi également à l'histoire culturelle et politique du Maroc et des autres pays arabes.¨Philosophe et historien de formation, Abdesselam Cheddadi est actuellement professeur-chercheur à l'Institut Universitaire de la Recherche scientifique, Université Mohammed V à Rabat. Il a enseigné à l'école des Hautes Etudes en Sciences sociales à Paris en tant que directeur d'études associé, et aux universités de Princeton et d'Harvard aux Etats-Unis au titre de visiting professor.

Le lien de l'entretien très intéressant, instructif et qui étonnera parfois:

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pd ... I-FR-2.pdf

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Message Publié : 02 Août 2009 20:32 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
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Juste pour demander aux modérateurs s'il ne serait pas possible de déplacer la contribution (contestable mais c'est le jeu...) de Sylvain Piron dans le fil dédié pour éviter une discussion qui n'a pas ni plus lieu d'être en cet endroit ?

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« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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Message Publié : 10 Sep 2009 0:36 
On va m'offrir cet ouvrage pour mon anniversaire, je tenais donc à le partager. Il y a peu d'ouvrages traitant du Maghreb de l'Islam Classique (ou Maghreb "médiéval" dans l'historiographie occidentale), thème qui me passionne pourtant le plus en Histoire. On retrouve notamment dans ce gros ouvrage la signature du célèbre orientaliste Gabrieli et du spécialiste d'Al Andalus Pierre Guichard.

Image


Maghreb médiéval. L'apogée de la civilisation islamique dans l'Occident arabe. De Francesco Gabrieli, Gioia Chiauzzi, Clélia Sarnellu Cerqua, Golgvin Lucien, Pierre Guichard.


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Message Publié : 26 Juin 2010 18:32 
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Eginhard
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Un article intéressant et assez stimulant au format pdf de 36 pages datant de 2004 qui essaie d'expliquer les diverses raisons du déclin de l'Islam du Moyen Age jusqu'à l'époque contemporaine intitulé: Le déclin du Monde Musulman à partir du Moyen Age: une revue des explications.

Dans une première partie l'article traite des caractères du recul et dans une seconde partie des principales théories explicatives de ce recul, déclin.

http://region-developpement.univ-tln.fr ... asseul.pdf

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Message Publié : 01 Juil 2010 17:31 
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Eginhard
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Un colloque s'était tenu voilà de cela un an intitulé L'Islam et l'Occident à l'époque médiévale. Transmission et diffusion des savoirs les 11/12/13 mars 2009 à l'ENS de Lyon, section Lettres et Sciences humaines.

Un débat au fond serein et scientifique, sans censure ou d'inquisition. Mais également consensuel. Tous les documents sont des documents audiovisuels. ;)

Avec une introduction de Makram Abbes. Et des interventions d'éminents spécialistes tels que Dimitri Gutas (en anglais), de Roshdi Rashed, Abdesselam Chedadi, Anneliese Nef, Philip Janssen.

Voici les différents thèmes traités:

- La question de l'hellénisation du Proche-Orient à l'époque médiévale.

- La circulation des sciences exactes produites en pays d'Islam vers l'Europe.

- Avicenne et son emprise sur la pensée postérieure.

- Débat: La philosophie dans le monde arabo-musulman au Moyen Age.

- Traduire et lire un texte scientifique: la logique d'Aristote et le modèle démonstratif chez les philosophes arabes classiques.

- Langue arabe et logique grecque.

- En quel sens peut-on parler des racines d'une culture?

- Débat: La transmission des savoirs du monde arabo-musulman à l'Occident.

- Lire Aristote dans le texte de Platon. Averroès et la mutation de la médecine politique.

- Astronomie et médecine chez les penseurs latins de la fin du XIIIe siècle.

- Ramon Lull Arabicus christianus: des armes matérielles aux armes intellectuelles.

- Débat: Grammaire ou choc des civilisations.

- Les sciences historiques dans la culture arabo-musulmane: héritage antique et élaborations nouvelles.

- L'Islam médiéval ou le miroir aux identités. Remarques sur une civilisation de la bigarrure.

- Du clash des civilisations au choc des incultures: comment en est-on arrivé là?

- Historiographie d'une évidence: la civilisation occidentale.

- Débat: L'historien, la demande sociale et la diffusion des savoirs.

- L'Enseignement de l'histoire de l'Islam médiéval en France.

- Tzvetan Todorov, Autour de son livre La peur des barbares.

Et le lien: http://www.canal-u.tv/canalu/producteur ... rieure_de_ lyon/dossier_programmes/colloque_l_islam_et_

Si le lien ne fonctionne pas taper dans google: La circulation des savoirs dans l'Islam médiéval.

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Message Publié : 01 Juil 2010 18:01 
Le déclin du monde musulman n'aurait-il pas commencé à partir du moment ou ce monde est devenu vraiment musulman ? C'est-à-dire à partir du moment ou les chrétiens d'Orient, dépositaires d'un savoir et d'une culture immense, auraient été suffisamment acculturés et marginalisés par la conversion de la majorité d'entre eux à l'islam ?

En d'autres termes, l'âge d'or de l'islam est-il du aux musulmans ou aux populations orientales chétiennes, qui sont restées souvent majoritaires sur leur territoire pendant plusieurs siècles après la conquête arabe ?


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Message Publié : 01 Juil 2010 18:43 
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Eginhard
Eginhard

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Waroch a écrit :
Le déclin du monde musulman n'aurait-il pas commencé à partir du moment ou ce monde est devenu vraiment musulman ? C'est-à-dire à partir du moment ou les chrétiens d'Orient, dépositaires d'un savoir et d'une culture immense, auraient été suffisamment acculturés et marginalisés par la conversion de la majorité d'entre eux à l'islam ?

En d'autres termes, l'âge d'or de l'islam est-il du aux musulmans ou aux populations orientales chétiennes, qui sont restées souvent majoritaires sur leur territoire pendant plusieurs siècles après la conquête arabe ?


Non navré le déclin du monde musulman n'a pas commencé à partir du moment ou ce "monde" est devenu musulman bien au contraire, il y'eut une coexistence des trois religions du Livre, certes parfois conflictuelle mais souvent matrice au sein de la civilisation arabo-musulmane d'une haute culture. Voir Al-Andalus par exemple.

Vous exagérez quelque peu le rôle certes assez important des chrétiens arabes ou syriaques. voir l'ouvrage de Dimitri Gutas intitulé Pensée grecque, culture arabe. Il y'eut de nombreux travaux scientifiques, littéraires et endogènes islamiques, musulmans voir les travaux d'Al Razi en médecine, Ibn Al Nafis, d'Aboulcassis, d'Avicenne et d'Averroès en philosophie via la falsafa; la philosophie directement héritée de l'antiquité grecque de l'époque classique et ardemment "commentée" par eux. Commentaires très précieux pour comprendre la métaphysique d'Aristote par exemple dans l'Occident chrétien.

Les chrétiens arabes convertis à l'islam étaient des musulmans de plein droit au sein de l'Oumma.

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