Sujet complété après le crash de Pâques.
Nebuchadnezar a écrit :
Je poursuis la conversation débutée
ici, à propos des esclaves musulmans :
Nebuchadnezar a écrit:
Dans certains cas bien particuliers, la conversion peut également être nécessaire pour progresser dans l'administration et l'armée, même sans être affranchis : voyez les Mamelouks. Ce cas est très particulier, puisque c'est un des seuls exemples où des pays entiers obéissent à des esclaves, sans que ceux-ci se soient révoltés pour s'affranchir !
Skipp a écrit:
Mais alors si ils étaient encore esclaves à qui obéïssaient ils ? Comment l'Empire Ottoman les tolérait ils comme maîtres de l'Égypte et d'autres pays ?
Deshays Yves-Marie a écrit:
Ils n'étaient pas obéis en tant qu'esclaves mais en tant qu'individus s'étant auto affranchis en éliminant souvent leurs anciens maîtres par la force (euphémisme...) ... qui justifie tout!
Skipp a écrit:
Ils s'étaient "auto-affranchis en éliminant leurs anciens maîtres" mais ils avaient donc éliminés les anciens alliés des ottomans... Les Ottomans les ont ils alors laissés faire du fait de premières difficultés dans le maintient de l'Empire ? Un peu comme l'Empire romain laissa Postumus se proclamer Empereur des Gaules après sa prise de pouvoir illicite...
Deshays Yves-Marie a écrit:
Il suffisait d'éliminer le gouverneur représentant de la Porte (lointaine et perçue comme puissante occupante de façon souvent tyrannique), une corruption bien orchestrée permettant simultanément de faire entériner la passation de pouvoir (par la population opprimée et, souvent, par la Porte elle-même!) ; les distances et la lenteur des communications faisaient le reste...
Petite contribution aux échanges : L'Egypte des Mamelouks d'André CLOT (éditions Perrin, 2006).
Je n'ai pas encore lu le livre, et je vous remercie de l'avoir cité. Mais d'après ce que je comprends, les Mamelouks ne "s'auto-affranchissent" pas vraiment. Ils forment une administration vivant à l'écart de la population et se perpétuant elle-même par le trafic d'esclaves circassiens.
L'administration assure son recrutement, l'entraînement et l'équipement des soldats. Les ressources de l'Egypte sont exploitées pour son entretien.
La légitimité des Mamelouks leur vient de leurs victoires contre les Mongols et les Croisés. Ayant prouvé leur capacité à défendre l'islam, nul ne peut leur contester la souveraineté sur les régions "libérées".
Le statut d'esclave s'est changé en un statut de fonctionnaire privilégié. Toutefois, le quitter équivaut à perdre ses privilièges. Ma vision des Mamelouks est donc celle d'une administration, constituée d'esclaves sans possessions ni attaches en Egypte, et dont la seule source de prestige et de pouvoir vient de l'institution elle-même.
Pour ce qui est de monter en grade, il paraît que le meurtre du supérieur direct était admis. Est-ce une légende ?
Toujours est-il que la puissance des Mamelouks peut s'expliquer par le fait que c'était une institution dont les membres ne vivaient que par et pour elles, dont les membres bénéficiait d'un avancement "au mérite" Wink . Tout cela explique son efficacité.
Quel est votre avis là-dessus ?
Deshays Yves-Marie a écrit :
Citation:
Pour ce qui est de monter en grade, il paraît que le meurtre du supérieur direct était admis. Est-ce une légende ?
Sinon "admis", le meurtre du supérieur était entériné car tout reposait sur la loi du plus fort : ôte-toi de là que je m'y mette!
Mohammed Ali lui-même n'avait pas trouvé de moyen plus radical pour se débarrasser des mamelouks que de les convier tous à un festin à la Citadelle du Caire où il fait tous massacrer d'un seul coup (la légende évoque un rescapé franchissant la muraille... d'un saut de son cheval!).
Hugues de Hador a écrit :
L'article accessible sur le site 'Peuples Cavaliers' est tiré d'un article de Laurent Quisefit
L'auteur : Laurent Quisefit est ancien élève des Langues Orientales, diplômé de coréen et de mongol, et titulaire d'un DEA d'Etudes de l'Extrême-Orient (Paris VII). Il prépare une thèse sur l'histoire de la Corée et collabore avec différents magazines et organismes.
Pour ce qui est de la bataille d’Aïn Djalout, elle est racontée
ici Skipp a écrit :
J'ai lu que les Mamelouks faisaient régner la terreur en Égypte... et que les populations locales ne furent pas mécontantes que Napoléon les en débarrassent... Rolling Eyes
Nebuchadnezar a écrit :
En toute logique, quand des gens dont la vie consiste à se battre sont dans le milieu qu'ils sont censés protéger, mais dont ils sont culturellement et ethniquement étrangers, ils se comportent certainement au mieux comme des racketteurs, au pire comme des écorcheurs.
Dans Ce que nous conta 'Isâ Ibn Hichâm : Chronique satirique d'une Egypte fin de siècle, le narrateur rencontre dans un cimetière un ancien officier mamelouk (ou Turc, je ne me souviens plus) revenu d'entre les morts. En parlant et en comparant leurs époques, ils sont accostés par un ânier qui veut les forcer à louer ses services. L'officier se met à le rosser sans hésiter. Lorsqu'il se trouve arrêtés, il se dit que cette époque est tombée bien bas, puisqu'un homme de condition n'a plus le droit de rosser les malandrins lui-même.
Je viens de finir Le Phénomène Mamelouk dans l'orient islamique de David Ayalon, et je le recommande chaudement.
Selon lui, l'engagement des Mamelouks débute très tôt dans l'histoire de la conquête arabe (dès les Omeyyades). On considère à l'époque que les nomades perdent leur valeur guerrière en s'installant dans d'autres territoires que ceux d'origine, même en restant à l'état nomade. Les Mamelouks, principalement achetés sur le front nord-est du monde musulman, en Asie Centrale (Khorassan, Transoxiane --> région entre le Syr-Daria et l'Amou-Daria) constituent donc la solution pour avoir un afflux de troupes de valeur, disciplinées et fidèles à leur maître, fortes de la foi du converti.
Les lieux d'origine des Mamelouks se modifient au fil du temps, à cause de l'épuisement démographique de l'Asie centrale, et de l'islamisation de cette région). C'est au XIIe siècle que le principal foyer de recrutement se déplace dans la région du Caucase, avec des mamelouks d'origine chrétienne : Arméniens ou Circassiens. Les Janissaires ottomans sont une adaptation du système mamelouk, avec des esclaves capturés cette fois dans les Balkans.
Ils formaient une aristocratie guerrière vivant dans les villes à l'écart de la population, dans des quartiers séparés. Des femmes mamelouks étaient achetées dans les mêmes conditions que les garçons, pour leur servir d'épouses. Cette aristocratie n'était pas héréditaire : les fils de Mamelouks étaient versés dans la halqa (voir site de Hugues de Hador), une force de second ordre, puis leurs descendants étaient absorbés par la population civile.
Les Mamelouks ont toujours constitué les troupes d'élites des armées musulmanes. D'après l'auteur, c'est à eux qu'on peut attribuer l'ampleur des conquêtes musulmanes, puis leur maintien en dépit des attaques chrétiennes et mongoles.
Le sultanat mamelouk a constitué une nouvelle période de grandeur pour l'Egypte. En revanche, comme les Mamelouks n'étaient pas marins, ils négligèrent la marine, et de ce fait abandonnèrent la Méditerranée aux Européens. Par la suite, les Ottomans ne purent combler le retard. Afin d'éviter une nouvelle croisade, les Mamelouks, conscients de la force "amphibie" des Européens, optèrent pour une solution radicale : la destruction de toutes les fortifications des côtes syriennes et palestiniennes. Il en résulta le déclin de la plupart des ports.
La défaite du sultanat mamelouk vint de leur réticence à utiliser des armes à feu : ils les réservaient à des esclaves noirs. Ils y furent forcés une fois incorporés dans les forces ottomanes.