Alfred Teckel a écrit :
Des les années 1860 au début du XXe s, la Roumanie qui venait tout juste d'obtenir son unité et son indépendance s'est replongée dans ses racines latines et est devenue très francophile. Francophilie certes atténuée depuis quelques années, mais qui a perduré tout au long du XXe s. Plus tard, je sais que la Roumanie s'est également cherché de l'amitié avec l'Italie, l'autre "soeur latine".
La tradition francophile en Roumanie date plutôt des années 1830: dès le milieu des années 1830, les aristocrates et les grands bourgeois de Moldavie et Valachie envoyaient leur fils à Paris pour études. Ce qui fait développer non seulement une francophilie au sein de la jeune intelligentsia roumaine, mais également une roumainophilie en France (Michelet, Quinet, Lamartine feront preuve de cette sympathie). En 1859, le premier souverain de la Moldavie-Valachie unifiée sera Alexandre Jean Cuza, francophone et francophile parfait.
Ceci dit, la francophilie restait toujours un courant limité aux cercles intellectuels et bourgeois pendant le XIXe siècle: ça ne concernait pas les masses populaires.
D'autre part, je suis sceptique sur un point: est-ce que ce lien franco-roumain avait vraiment un rapport direct avec les "origines latines" des Roumains? Il est vraisemblable que les choix étaient motivés par le pragmatisme et l'esprit de l'époque, plutôt que par une idéologie latinisante. Dans les années 1830, c'était Paris qui était la capitale de l'Europe, et toute une génération d'intellectuels et d'artistes passait par là. De plus, la France de Louis-Philippe était plus favorable aux mouvements de libération nationale: à une époque où Metternich restait strictement fidèle à ses principes adoptés lors du Congrès de Vienne, la France accueillait la grande émigration polonaise d'après 1831.
Et la grande politique? La francophilie roumaine serait-elle motivée par le souci d'éviter l'influence autrichienne / austro-hongroise? Je suis également sceptique là-dessus:
- dans un pays où régnait un Hohenzollern depuis 1866, l'Autriche-Hongrie (excellente alliée de la Prusse, puis de l'Allemagne) n'était pas un pouvoir à craindre. (Même la Transylvanie ne posait pas de problème: les nationalistes roumains de Transylvanie restaient fidèles à la cour de Vienne, et n'envisageaient pas un rattachement de la Transylvanie à la Roumanie. Jusqu'à 1914, la Roumanie n'aura pas de problème particulier avec l'Autriche-Hongrie: l'ententophilie va se répandre progressivement de 1914 à 1916, mais la cour et les politiciens conservateurs vont maintenir une politique favorable à la triplice jusqu'à 1916.)
- quant à la Russie, la Roumanie du XIXe siècle avait encore moins à craindre d'elle. La Russie était plutôt la championne de l'indépendance roumaine, et cela depuis bien longtemps. C'est à la Russie et à sa guerre de 1877-78 contre l'Empire ottoman que la Roumanie devait son indépendance. Le seul souci, c'était une petite région (la Bessarabie du sud, actuelle République de Moldavie) que la Roumanie avait du céder à la Russie, mais en compensation, les Roumains avaient reçu le delta du Danube et la région de Dobroudja.