Vous serez donc d’accord avec Bossuet, chère Victoire-Adélaïde, quand il veut persuader de l’inanité de la vie terrestre, qu’on peut résumer par : avant moi l’éternité, après moi l’éternité, la vie n’est rien (
Sermon sur la mort, prononcé devant la cour au Carême de 1662)
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Me sera-t-il permis aujourd’hui d’ouvrir un tombeau devant la cour, et des yeux si délicats ne seront-ils point offensés par un objet si funèbre ?[...] Venez, et voyez vous-mêmes. Jésus ne refuse pas de voir ce corps mort, comme un objet de pitié et un sujet de miracle ; mais c’est nous, mortels misérables, qui refusons de voir ce triste spectacle, comme la conviction de nos erreurs. Allons, et voyons avec Jésus-Christ ; et désabusons-nous éternellement de tous les biens que la mort enlève. [...] Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? J’entre dans la vie pour en sortir bientôt ; je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître [...]
Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! Si je la retourne an arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus ! Et que j’occupe peu de place dans cet abîme immense du temps ! Je ne suis rien ; un si petit intervalle n’est pas capable de me distinguer du néant ; on ne m’a envoyé que pour faire nombre ; encore n’avait-on que faire de moi, et la pièce n’en aurait pas été moins jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre.
Mais il y a aussi des réponses épicuriennes à ces interrogations, chez Rabelais par exemple :
Gargantua commence à pleurer la mort de sa femme Badebec, puis...
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Ce disant, ouït la litanie et les mémentos des prêtres qui portaient sa femme en terre, dont laissa son bon propos et tout soudain fut ravi ailleurs disant : Seigneur Dieu, faut-il que je me constriste encore. Cela me fâche, je ne suis plus jeune, je deviens vieux, le temps est dangereux, je pourrai prendre quelque fièvre : me voilà affolé. Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins et boire davantage. Ma femme est morte, eh bien, par Dieu, je ne la ressusciterai pas par mes pleurs. Elle est bien ; elle est en paradis pour le moins, si n’est mieux. Elle prie Dieu pour nous ; elle est bien heureuse ; elle ne se soucie plus de nos misères et calamités. Autant nous en pend à l’oeil. Dieu gard’ le demeurant. Il me faut penser d’en trouver une autre.
La question pourrait donc être, qu'on soit croyant ou pas, car le temps est une réalité objective: vivre intensément une infime partie d'éternité, ou commencer son éternité dès sa naissance ?