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Message Publié : 02 Juil 2006 15:50 
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Une discussion sur le forum "Renaissance" évoquant la population de Rome au Moyen-âge, je place une réponse dans le cadre chronologique approprié.
Citer :
Il est étonnant de voir que Rome en 1500 ne comptait que 38.000 habitants, alors que Palerme en avait 48.000, Bologne 55.000, Gênes 62.000, Florence 70.000, Milan 104.000, Venise 115.000 et Naples 125.000 (source : T.Chandler et G.Fox, 3000 years of urban growth, tableau repris dans Bardet et Dupâquier, Histoire des populations de l'Europe, Fayard, 1997, page 261).
Pourquoi Rome était-elle si peu peuplée ? Rome a été touchée par la grande peste, mais c'était en 1348, et les autres villes en ont aussi souffert. Le schisme de 1309 a certainement détourné quelques capitaux vers Avignon, mais il s'est achevé en 1377. Finalement, je me demande si le chiffre de 38.000 habitants n'est pas un peu sous-estimé.

j'aimerais un peu plus d'informations non romancées sur les catacombes


La dépopulation de Rome date en fait du tout début du haut Moyen-âge, puisque sa population qui ne comptait déjà plus que 500 000 habitants au Vème siècle, est encore divisée par 10 (50 000 hab. au VIème ). Les sièges, les saccages (Alaric, Genséric, Ricimer), les guerres entre Ostrogoths et Byzantins, les pestes des VIème et VIIème siècles, expliquent cette chute démographique. Il faut y ajouter les famines, et les inondations.
Il semble que dans ce contexte, les catacombes aient été vidées de leurs reliques pour les mettre à l’abri dans les églises, et qu’elles ont été peu à peu oubliées, les entrées ayant été obstruées par des éboulements et cachées par la végétation.
http://www.catacombe.roma.it/fr/storia.html

Ce déclin paraît avoir été enrayé aux Xème et XIème siècles, mais il reprit au cours de la lutte entre Rome et l’Empire, en particulier par le sac de la ville en 1084 par les Normands venus secourir le pape assiégé par Henri IV.
La croissance revient aux XIIème et XIIème siècles, et malgré le départ de la papauté pour Avignon, la ville compte au XIVème siècle entre 50 000 et 80 000 habitants. Les pestes et le tremblement de terre de septembre 1349 atteignent durement la ville, mais leurs effets sont compensés par un exode rural assez important venu de Campanie et du Latium, voire de Corse et même des Balkans (à cause de la poussée turque). Cependant, à la fin du XIVème siècle, Rome ne comptait plus que 25 000 habitants. Le retour du pape en 1377 est suivi en 1386 de mesures destinées à redynamiser la ville, notamment en 1386 des exemptions fiscales et des privilèges accordés aux habitants.

J’ai établi ce qui précède d’après "L’Histoire" n° 234 (spécial "Rome, capitale du monde", juillet-août 1999)

Beaucoup d'autres villes ont connu certes une évolution démographique défavorable ou à tout le moins cahotique au Moyen-âge, mais celle de Rome a suscité en Italie et ailleurs en Europe de nombreux commentaires, et cela à deux niveaux:
- D'abord sur le plan topographique, en raison de l’étendue de l’emprise urbaine antique, qui rend encore plus spectaculaire,visible, voire inquiétant, ce déclin.
- Ensuite sur le plan idéologique, car il est davantage ressenti en raison de la sacralité attachée à la ville chrétienne, et donc de sa nécessité de permanence.

On peut maintenant aussi examiner la conséquence de ces évolutions sur les structures urbaines de la fin du Moyen-âge et du début du XVIème siècle; l'iconographie est abondante et les discours sur la ville sont d'ailleurs très nombreux. Une manière d'établir ainsi un (modeste) "état des lieux" de la ville avant les grandes transformations apportées à partir de la fin du XVIème siècle et décrites dans le sujet cité en introduction.

On peut ainsi voir dans cette scène de la vie de Saint-Augustin (B. Gozzoli, église Sant’Agostino, San Gimignano), la campagne à l’intérieur même des murs d’Aurélien, tout près de Saint-Jean de Latran.

Image

C’est ainsi que Pétrarque, lors de son séjour à Rome en 1341 se lamente :
"Les murailles étouffées sous les ruines entassées étalent les restes d’une ville immense, lamentable, et arrachent des larmes aux spectateurs".

En 1560 encore, des ambassadeurs de Venise notent le resserrement de la ville à l’intérieur de ses murailles :
"La ville de Rome, si étendue et si peuplée à son apogée, est aujourd’hui réduite à un périmètre qui ne dépasse pas 14 milles [...] A l’intérieur des murs, la surface bâtie est bien peu de chose, et ce ne sont que terrains vagues, « vigne », ruines de monuments et d’édifices qui révèlent vraiment la grandeur et la noblesse de la Rome antique".

Extrait très intéressant, car il ne fait nulle mention des efforts urbanistiques déjà réalisés (et ils sont considérables) pour ne retenir, à travers la déprise urbaine qu’ils constatent, que la splendeur du passé. En somme, Rome est en train de disparaître...

La prégnance de la Rome antique dans les esprits apparaît encore dans ce plan de la ville en 1469 par Pietro del Massaio : si Saint-Pierre et le complexe du Vatican sont bien visibles à droite, sur la rive droite du Tibre, les monuments antiques structurent encore nettement l’espace urbain, volontairement vidé de toute construction moderne ou de réseau de voirie, et seules les basiliques chrétiennes majeures sont indiquées:

Image

Cela devait de toutes façons être proche de la réalité, les visiteurs de la Rome du Quattrocento observant souvent que l'habitat se groupait en noyaux autour de pôles peu nombreux, correspondant le plus souvent à un monastère ou à une basilique, offrant dans les intervalles un paysage quasi rural; la seule zone à peuplement et à occupation relativement continus se lovant dans la boucle du Tibre face à la cité papale.

Encore dans la première moitié du XVIème siècle, Rome offrait un visage peu en rapport avec ce que l’on peut imaginer de la capitale de la Chrétienté:
Marten van Heemskerk, L’église Saint-Pierre à Rome en 1536.

Image

Thermes de Titus, gravure par Etienne Dupérac, 1520

Image

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Message Publié : 02 Juil 2006 23:47 
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Jean Froissart
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Inscription : 28 Avr 2006 23:02
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Localisation : Orne
Merci pour ces belles images et ces arguments très convaincants. :)


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Message Publié : 07 Juil 2006 21:45 
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Eginhard
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Inscription : 25 Mai 2004 21:35
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Localisation : Paris
Bonne idée d'ouvrir un sujet sur Rome au Moyen-Âge. Le sujet, en effet, n'est pas très courant, et la bibliographie en français bien mince. La Rome antique, la Rome renaissante et baroque font l'objet d'une documentation bien fournie, mais entre les deux, la ville semble peu intéresser. Et quand on s'intéresse aux villes italiennes médiévales (thème qui a fait l'objet de la question d'agrégation les deux dernières années), c'est surtout à ses voisines toscanes et lombardes qu'on pense.
J'ai bien trouvé quelques ouvrages italiens, mais je déchiffre péniblement l'italien.

Effectivement, ce qui frappe à Rome, c'est l'ampleur de la dépopulation par rapport à l'Antiquité. Partout en Europe, le Moyen-Âge connaît une floraison urbaine, Italie en tête. Et toutes doivent agrandir leurs murailles.
Rome, au contraire, flotte dans son enceinte antique ; et l'on a dû, au Haut Moyen-Âge, reconstruire une enceinte plus petite, l'enceinte léonine.

J'émettrai des doutes seulement sur certains chiffres que vous avez cités :
Plantin-Moretus a écrit :
La croissance revient aux XIIème et XIIème siècles, et malgré le départ de la papauté pour Avignon, la ville compte au XIVème siècle entre 50 000 et 80 000 habitants.

Les estimations que j'ai lues (dans des ouvrages comme E. Crouzet-Pavan Enfers et paradis ou I. Heullant-Donat et J. Delumeau L'Italie au Moyen-Âge, Vè-XVè siècles) tournent plutôt autour de 30 à 40 000 habitants au début du XIVè siècle, en tout cas jamais au-dessus de 50 000.

Vous avez bien expliqué en quoi le tissu urbain est lâche et discontinu, regroupé en hameaux séparés par des emblavures. C'est la campagne dans la ville.
Il faut insister aussi sur les nombreuses ruines antiques qui parsèment la ville. Le passé y affleure plus que dans toute autre ville italienne, et on sait l'importance politique des symboles antiques en cette fin de Moyen-Âge (on peut penser au Régisol de Pavie). C'est ainsi que les barons, qui dominent la ville depuis le milieu du XIIIè siècle, investissent des ruines antiques, comme le mausolée d'Auguste. Dans les années 1340, Cola di Rienzo se servira des inscriptions antiques qui parsèment la ville pour asseoir son autorité.
Le paysage urbain de Rome, c'est tout un programme politique.


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Message Publié : 08 Juil 2006 8:38 
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Inscription : 13 Mars 2006 10:38
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Localisation : Lorraine
Oui, les chiffres sont toujours assez divergents selon les sources ; comme je le signale, ce sont les évaluations d’un article de Etienne Hubert dans L’histoire n°234.

Justement, puisque vous évoquez une bibliographie assez pauvre sur cette époque, voici un commentaire sur un ouvrage assez récent dirigé par E. Hubert :

Etienne HUBERT. Espace urbain et habitat à Rome du Xe siècle à la fin du XIIIe siècle. Préface de Pierre Toubert. Rome : Istituto italiano per il Medio Evo et Ecole française de Rome, 1990 (Nuovi studi storici, 7 ; Collection de l'Ecole française de Rome, 135.)

Et à propos de la stratégie romaine de Cola di Rienzo et de son usage politique des inscriptions que vous évoquez, voici un extrait de:
Rome, l'idée et le mythe, A. Giardina et A. Vauchez, Fayard 2000,
un bel ouvrage magnifiquement illustré et au texte remarquable (A. Giardina est professeur à l'Université de Rome-La Sapienza et A. Vauchez a été directeur de l'Ecole française de Rome), et dont un chapitre concerne le Moyen-âge :
Citer :
Il s’attacha surtout à mettre en oeuvre un programme de renovatio de Rome, qui se traduisit par une série de gestes symboliques, comme la restauration du Capitole, la cérémonie où il fut armé chevalier et reçut une couronne de lauriers sous l’arc de Constantin, ainsi que la fresque qu’il fit peindre au Colisée, à son retour d’Avignon : Rome y était représentée sous les traits d’une femme en pleurs vêtue d’une robe noire, agenouillée sur un bateau au milieu d’une mer déchaînée et entourée de femmes – les autres villes d’Italie – dont les bateaux avaient déjà coulé [...]
Mais l’aspect le plus intéressant du personnage réside sans doute dans le recours – très nouveau – qu’il fit à une archéologie politique fondée sur une nouvelle érudition : non content de déplorer la disparition de nombreuses statues et monuments antiques de Rome, il passait beaucoup de temps – au grand étonnement de ses contemporains – à déchiffrer des inscriptions romaines et il réussit à retrouver le texte de la lex de imperio, promulguée lors de l’accession de Vespasien au trône impérial, que Boniface VIII avait fait disparaître... en la mettant sur un autel ! Il y découvrit la confirmation de l’origine populaire et romaine de la souveraineté impériale

Comme vous le dites justement, le paysage urbain et la mémoire de Rome servent ici un programme politique.

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Message Publié : 01 Fév 2011 10:36 
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Pierre de L'Estoile
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Inscription : 09 Juin 2010 14:22
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Vous apprécierez certainement ce lien érudit à propos du sujet :
http://www.franceculture.com/emission-l ... 11-15.html
il y a des éléments intéressants et qui recoupent parfois ce que vous dites.
À vous et bien à vous.

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et tout le reste n'est que littérature


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Message Publié : 02 Fév 2011 21:18 
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Inscription : 15 Juin 2008 18:11
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Localisation : Civitas vellavorum
Voici d'autres chiffres sur Rome pour participer au débat:
GINATEMPO (M.), SANDRI (L.), L'Italia delle città. Il popolamento urbano tra Mediovo e Rinascimiento (secoli XIII-XVI), Florence, 1990: 30000 habitants en 1313-1319. Ils énoncent leurs sources: nombre de clercs en 1313-1319, Chronique de Villani de 1362, retour de Grégoire VII d'Avignon en 1377, nombre des arbalétriers et compte du sel de 1458 et 1480 et la Descriptio Urbis de 1526.
Dans une conférence à laquelle j'assistai aux alentours de 2004, Etienne Hubert posait les jalons suivants: l'expansion urbaine reprenait au tournant des X° et XI° siècles et l'apogée de celle-ci se situait entre le milieu du XII° et la fin du XIII°, fin de XIII° qui voyait les premiers signes de stagnation. La récession commençait au début du XIV° siècle.
Au niveau des chiffres, il reprenait WICKHAM pour les IX° et X° siècles: environ 25000 habitants.
Il estimait ensuite l'espace habité fin XIII° siècle à 350-400ha, peuplé d'environ 40000 à 80000 habitants.
Le début du XIV° siècle voyait donc les premières difficultés apparaîtrent: abandon de maisons, sur les 200 monastères possédés par le Chapitre de Saint Jean de Latran vers 1300 1/5 est abandonné, sur les plus de 300 églises paroissiales 56 étaient abandonnées vers 1310-1320 et ce nombre doublait courant du siècle, des quartiers actifs tel la région Pallaria enttrait en récession dès 1270, ...
Vers 1349, Rome atteignait son minimum démographique à environ 20000 habitants.
Ses sources étaient les suivantes: quelques statuts de corporations dès 1360, des actes notariés mais peu avant le milieu du XIV° siècle, la chronique de l'Anonimo Romano (début/milieu XIV° siècle), les Mirabilia (plus ancien de 1143) et quelques sources de la Curie.

Dans le lien de France Culture Jean-Claude Maire-Vigueur si je ne m'abuse reprend donc le chiffre de 50000 habitants.

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"On ne peut pas gouverner un pays qui offre 246 variétés de fromage".
"Un pays capable de donner au monde 360 fromages ne peut pas mourir".


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