En effet, d'autres lieux de culte plus précoces ont certainement existé, mais ils ont été détruits massivement pendant les persécutions, et il ne reste guère aujourd'hui que la peinture et la sculpture pour témoigner du premier art chrétien.
Les ruines d'une première église chrétienne ont été découvertes à Doura-Europos, sur l'Euphrate, lors de fouilles en 1931-1932. Il s'agit d'un édifice bien antérieur à la Paix de l'Eglise, puisque les ruines furent découvertes dans un puissant talus que les habitants de Doura avaient élevé peu avant 256 pour renforcer le mur d'enceinte de leur cité et la protéger contre les Perses. En fait, cet ensevelissement devait être provisoire, mais comme l'envahisseur du IIIe siècle fut quand même victorieux, l'édifice ne fut jamais dégagé avant le XXe siècle. Cette église de Doura n'a rien de commun avec la basilique qui s'imposera aux chrétiens au IVe siècle (et dont j'ai parlé dans mon message précédent). Il serait plus correct de parler non pas d'église mais d'une maison des chrétiens, dont certains locaux étaient réservés au culte. La maison des chrétiens de Doura ressemblait à d'autres maisons de cette cité et aux maisons d'autres villes romaines d'Orient. Elle comprenait une cour à peu près carrée (de 8m de côté), autour de laquelle étaient disposés, au rez-de-chaussée et à l'étage, des locaux de grandeur et d'usage différents. L'étage devait être réservé aux usages domestiques et aux appartements, et sur les cinq salles du rez-de-chaussée, une ou deux étaient réservées au culte chrétien. En fait, ni leur plan, ni les vestiges du décor ne permettent de dire laquelle de ces salles a servi à la communauté chrétienne de lieu de réunion pour les offices liturgiques, à l'exception du local long et étroit qui servait de baptistère (ce sont les peintures murales et un meuble rituel découvert au cours des fouilles qui permettent de le préciser). Cet édifice du IIIe siècle n'a rien de spécifiquement chrétien, à l'exception du décor et d'un meuble maçonné de la seule salle réservée aux baptèmes.
Il est intéressant de noter que dans cette même ville de Doura, à la même époque, on trouve une salle de réunion pour la communauté juive de la ville, à l'architecture déjà beaucoup plus différenciée de celle d'une maison : une partie de l'édifice est ainsi séparé du reste par des murs continus, elle comprend une cour à trois portiques et dans le fond, une spacieuse salle plus large que profonde. Deux portes y conduisent, l'une grande, centrale, destinée aux hommes et l'autre, plus petite et latérale, probablement destinée aux femmes. C'est en face de la porte du milieu que, dans le mur du fond, est aménagée une niche-ciborium, qui servait à abriter l'armoire de la Thora. Enfin, un banc destiné aux fidèles est adossé aux murs et fait le tour de la salle polygonale.
En Palestine, des églises préconstantiniennes furent, d'après Eusèbe, agrandies et réaménagées à la suite des édits de tolérance, sous le règne de Constantin. Ces églises étaient donc petites et peut-être aussi peu dégagées que les salles cultuelles de la maison chrétienne de Doura, mais la rapidité avec laquelle les architectes de l'époque constantinienne ont pu les transformer, en vue d'un culte rendu légal, parlerait au contraire en faveur de constructions qui auraient plus d'allure et des dimensions considérables. C'est à cette époque que remonteraient les plus anciennes églises de Rome, appelées tituli et qui seront les premières paroisses de la capitale de l'Empire. Plusieurs fouilles entreprises sous les basiliques romaines du Moyen âge ont fait apparaître des locaux qui pourraient avoir servi de cadre architectural au culte chrétien avant Constantin. Ces constatations ont été faites sous les églises S. Clemente et S. Anastasia (dans les deux cas, c'est au premier étage d'un édifice qui en comportaient deux qu'à du se trouver la salle liturgique chrétienne, tandis que le rez-de-chaussée étaiet abandonné aux boutiques et aux magasins). Il semble donc que ces tituli de Rome étaient, comme à Doura, des salles sans caractères architecturaux spécifiques.
La maison qui a abrité au IIIe siècle le titulus Equitii s'est mieux conservée, parce que la basilique S. Martino ai Monti qui l'a remplacée a été élevée non pas au-dessus mais à côté de la maison chrétienne primitive. Elle nous renseigne sur l'aspect que pouvait avoir une salle des réunions liturgiques à Rome au IIIe siècle. Relativement grande (17,50 m x 13,50 m) et couverte de hautes voûtes d'arêtes reposant sur des piliers libres et des pilastres adossés aux murs. D'autres locaux voûtés entouraient la salle principale, les salles du premier étage communiquant avec celles du rez de chaussée par un escalier monumental. Il s'agirait de l'édifice chrétien le plus important qui nous soit conservé pour l'époque préconstantinienne. Toutefois, aucun indice d'ordre architectural ne nous certifie que cet édifice ait servi à la célébration du culte dès le IIIe siècle.
Citons encore, parmi ces premiers édifices chrétiens, l'église cathédrale d'Aquilée, fondée par l'évêque Théodore vers 314 et la première église de Marusinac à Salone, sur la côte dalmate. Mais à nouveau, ces architectures n'ont rien d'une basilique et sont tout à fait différentes du genre d'édifice cultuel qui s'imposera au IVe siècle aux chrétiens de tous les pays méditerranéens.
Ces informations sont en grande partie extraites de l'ouvrage Le premier art chrétien, d'André Grabar, collection L'Univers des formes.
_________________ Il n'est pas sur notre sol une chose qui soit plus utile que ces sublimes monuments qui ne servent à rien (Emile Mâle).
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