Bon, j'expose ici le fruit de mes recherches, qui ont été assez concluantes.
On peut trouver ce texte (un tant soit peu changé)
ici, où je l'ai mis ce midi.
Je le tiens moi même d'un journal Le Monde, du 1er mars 1996, qui célébrait l'anniversaire de cette bataille:
\"Le Monde\", 01/03/96 a écrit :
Quand l'Ethiopie vainquit l'Italie
Il y a 100 ans, à Adoua, les paysans-soldats de l'empereur éthiopien Ménélik II repoussait les troupes italiennes. Une victoire qui sauvait l'indépendance du royaume tout en fondant le premier Etat-nation africain. Depuis, cependant, le pouvoir central d'Addid-Abeba n'a cessé d'être remis en question.
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L'Empereur Ménélik II et son épouse Taïtou sont à la messe, ce dimanche 1er mars 1896, jour de la Saint-Georges, lorsqu'un messager tremblant d'excitation fait irruption dans l'église d'Adoua, vers 5 heures du matin, interrompant le souverain éthiopien dans ses prières pour lui annoncer que les Farendji, les étrangers, arrivent. En quelques instants, l'alerte est donnée. Les troupes éthiopiennes cantonnées près d'Adoua se préparent au combat. Leurs campements qui entourent la tente rouge de Ménélik se transforment rapidement en " une grandiose scène de tumultes à la fois guerriers et religieux ". Ce mouvement offensif (décidé à contrecoeur, semble-t-il) par le général Oreste Baratieri, gouverneur de l'Erythrée et commandant en chef des troupes italiennes, répondait au voeu le plus cher de Ménélik, qui aurait déclaré quelques jours plus tôt : " Je n'enverrai pas mon armée à la bataille tant que je ne verrai pas l'ennemi dans mon propre camp. "
Sans être un grand chef militaire, il avait compris que ses 100 000 fantassins (dont 80 % étaient équipés de fusils modernes patiemment achetés par l'empereur aux Européens) et ses 8 600 cavaliers avaient peu de chance de déloger les 10 596 Italiens et les 7 100 Askaris (supplétifs érythréens) retranchés à Sauria sur un dispositif de défense constitué par une série de fortins construits le long de la frontière sud de la colonie italienne d'Erythrée.
Depuis le 18 février, les belligérants campaient à 25 kilomètres les uns des autres. Les provisions commençaient à se faire si rares que Ménélik envisageait de lever le camp, le 3 ou 4 mars, ne sachant plus comment nourrir son armée, " véritable ville en marche ", après avoir épuisé les greniers des villages (et même des monastères) du Tigré, déjà ravagés par la guerre et la famine. Les Italiens auraient pu gagner sans combattre...
Le plan de bataille du général Baratieri ne manque pas de bon sens. Il s'agit d'approcher l'ennemi sous couvert de l'obscurité et de s'établir solidement sur des positions défensives, canons en batterie, en attendant l'attaque ou bien... le retrait des Ethiopiens. L'écrasante supériorité numérique de l'adversaire interdit en effet aux Italiens de tenter un assaut sur le camp de Ménélik, même s'il est de bon ton de penser, comme dans toute armée coloniale, qu'un "soldat européen entraîné vaut bien dix guerriers nègres".
Mais le terrain accidenté, parsemé de ravins, de bosses et de pics rocheux, comme " remué par une colère divine ", rend cette marche de nuit, de laquelle dépend le déploiement des troupes transalpines avant le combat, hasardeuse. Une succession d'erreurs d'orientation et de messages erronés achève de disperser les quatre colonnes italiennes qui devraient progresser ensemble. Si bien qu'à l'aube, les hommes du général Albertone se trouvent dangereusement isolés de ceux des généraux Arimondi et Dabormida, eux-mêmes privés de couverture sur leurs flancs.
La bataille s'engage à 6 heures du matin avec une charge éthiopienne contre la brigade indigène d'Albertone, alors que d'autres unités impériales isolent encore davantage chaque colonne ennemie en s'engouffrant dans les brèches laissées par les Italiens, trompés par leur méconnaissance du terrain et les fausses informations diffusées par les agents de Ménélik. Appuyés par une quarantaine de canons, les ras (seigneurs) éthiopiens lancent vague après vague leur infanterie et leur cavalerie à l'assaut des positions italiennes peu à peu submergées par le nombre, malgré les ravages que cause l'artillerie.
A midi, le général Baratieri doit donner le signal de la retraite laissant sur le terrain 4 133 Italiens tués ou disparus ainsi que 2 000 Askaris tués et 1 428 blessés. Avec 7 560 hommes mis hors de combat, soit 40 % des forces engagées, la bataille d'Adoua se révèle un désastre militaire qui marquera l'armée italienne. De plus, 1 865 soldats transalpins et autant d'Askaris sont faits prisonniers. Les troupes abyssiniennes, de leur côté, déplorent 7 000 tués et 10 000 blessés mais aucun prisonnier. Ménélik quitte Adoua, le 3 mars, et met deux mois pour revenir sur Addis-Abeba (sa nouvelle capitale), à la tête d'une armée exsangue, minée par la faim, mais triomphante. A Rome, l'annonce de la défaite frappe la population de stupeur. L'opposition descend dans la rue aux cris de " Viva Ménélik ! " pour réclamer la tête du premier ministre Crispi.
Ce dernier, soucieux de prestige national, avait poussé le général Baratieri à prendre (contre son gré) l'initiative de l'attaque, est démis deux semaines plus tard. Le marquis di Rudini lui succède et ordonne au nouveau gouverneur de l'Erythrée, le général Baldissera, d'ouvrir des pourparlers avec Ménélik. Celui-ci n'a pas poursuivi l'armée italienne en déroute jusqu'à Asmara pour tenter de reconquérir la totalité des hauts plateaux abyssins, ou même plus loin encore, vers Massoua, pour rejeter les Italiens à la mer. Pourquoi ? Il a sans doute réalisé qu'il lui faudrait livrer, dans une région aux maigres ressources, de dures batailles pour percer la seconde ligne de défense italienne. Il lui était aussi difficile de demander davantage à ses vassaux et à ses hommes, d'autant que la saison des pluies allait commencer et que les soldats-paysans voulaient être de retour dans leurs villages à temps pour les labours.
Mais, en refusant de continuer sur sa lancée vers les côtes de l'Erythrée, il renonçait à conquérir pour son empire un accès à la mer Rouge alors que l'enclavement de l'Ethiopie le préoccupait énormément. Tout au long de son règne (qui s'acheva à sa mort en 1906), il n'eut de cesse de chercher, dans ses alliances avec les rivaux de l'Italie dans la région, un libre accès aux ports les plus proches, celui de Tadjourah, contrôlé par les Français, ou encore celui de Zeila, le débouché maritime du Somaliland tenu par les Britanniques.
Mais si Adoua n'est pas une grande victoire militaire, ses conséquences diplomatiques sont impressionnantes. Rome accepte l'abrogation du traité de Wichale, signé en 1889 dans la ville shoane du même nom, entre l'Italie et Ménélik, et dont les interprétations divergentes avaient mené à la guerre. Présente en Erythrée depuis 1885, et poursuivant le secret dessein de faire de l'empire abyssin son protectorat, l'Italie entendait être, par la vertu du traité, la seule puissance habilitée à représenter les intérêts de Ménélik à l'étranger. Ce dernier ne retenait que la version amharique du même texte, qui lui laissait " la possibilité " et non l'obligation de faire appel à l'Italie pour communiquer avec l'Europe. Mais au cours de l'année 1895, le général Baratieri, obéissant aux directives de Rome, commence à s'aventurer dans le Tigré, bien au-delà de la rivière Mareb qui séparait, selon le traité, la colonie italienne d'Erythrée (reconnue par Ménélik) de l'Ethiopie. En septembre 1895, l'empereur réagit en décrétant la mobilisation générale ("ketit") et parvient à rassembler sous son drapeau rouge, jaune et vert tous ses vassaux, du moins loyal au plus fidèle.
L'après-Adoua révélera la stature d'homme d'Etat de Ménélik, l'ambitieux roi amhara du Shoa qui s'était fait proclamer empereur par les princes éthiopiens en novembre 1889 sous le nom de Ménélik II. Il su consolider sa victoire sur l'Italie, sauvegarder les frontières de l'Ethiopie et obtenir des concessions de la France, de l'Angleterre et du Soudan. Avant la fin de l'année 1896, il oblige donc l'Italie à reconnaître la souveraineté de l'Ethiopie. Il signe ensuite un accord avec les Français en promettant, contre quelques arpents de leur Côte des Somalis (aujourd'hui Djibouti), de soutenir leur ambition quant à la conquête du Haut-Nil (celle-ci s'arrêtera à Fachoda, au sud de Khartoum, lors du retrait en novembre 1898 de l'expédition Marchand devant les forces anglaises).
Courtisé par les Britanniques inquiets des visées françaises, Ménélik s'engage à les assister dans leurs luttes contre les Mahdistes, en échange d'une bonne partie de Somaliland. Il obtient également de Londres et de Paris l'utilisation hors taxes de leurs ports. Ce qui ne l'empêche pas de conclure aussi avec les Mahdistes soudanais un traité de bon voisinage basé sur leurs luttes communes contre l'impérialisme européen.
Ménélik su interpréter à sa guise ces trois accords, contradictoires à bien des égards, pour écarter les foudres des puissances coloniales rivales. Il se montre "diplomate, subtil et clairvoyant, sachant, à la manière de Bismarck, garder plusieurs fers au feu". En 1897, il envoie un corps expéditionnaire conquérir, dans l'extrême sud, le royaume du Kaffa, riche en or et en esclaves, et repousse encore les confins de son empire, ce qui lui vaudra d'ailleurs une tenace réputation de colonisateur, encore vivace aujourd'hui parmi les peuples du sud de l'Ethiopie. Néanmoins, Adoua reste la seule victoire remportée par une armée africaine sur les colonisateurs qui mit fin à un conflit (ce qui, ne fut pas le cas de la victoire des Zoulous en Afrique du Sud ou encore de celle des Mahdistes à Khartoum en 1885, aux dépens des Anglais). Aujourd'hui, l'Ethiopie est aujourd'hui le seul pays du continent noir à ne pas avoir besoin de célébrer l'anniversaire de son indépendance.
A travers le monde, l'événement abondamment couvert par la presse fut ressenti comme une victoire non seulement éthiopienne mais africaine, et inspira aussi bien les nationalistes africains que des afro-américains comme Marcus Garvey. D'une certaine manière, Adoua marque le début de la libération de l'Afrique qui s'achèvera, un siècle plus tard, avec l'arrivée au pouvoir en 1994 de Nelson Mandela.
Je rajoute une représentation de la bataille, une peinture à l'huile sur tapis, de 1962, de la main de Makonnen Tessema.
Il me reste juste à trouver sur l'invasion italienne de 1935-36 désormais... toute aide est toujours bienvenue
!
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"Candida pro causa ense candido"
Carl Gustav Emil Mannerheim, héros national finlandais (1867-1951)