Effectivement un tel mariage n'a pas dû passer inapperçu à l'époque, tant sur le plan de la diplomatie internationale qu'à l'échelle des festivités déployées. Le plus surprenant est que cette originalité matrimoniale, si l'on peut dire, va jusqu'à innover dans l'onomastique royale puisque le couple royal va donner à l'héritier du trône un nom complètement exotique pour l'époque : Philippe. Les autres enfants, en revanche, hériteront de noms traditionnels déjà portés au sein de la dysnastie française.
D'après Régine Pernoud (La femme au temps des cathédrales, p. 288), la délégation qui demande la main d'Anne est composée de trois évêques : Roger II de Châlons, Gauthier de Meaux et Gosselin de Chauny. Aucune indication sur l'itinéraire employé, mais l'auteure suppose soit une expédition maritime par le Nord, soit un voyage terrestre par la Pologne et la Bohême. Elle rappelle que l'évangéliaire en slavon rapporté par Anne pour son époux avait probablement été copié dans l'abbaye de Sazawa, près de Prague, où la future reine s'était peut-être personnellement rendue...
Anne de Kiev a certainement dû être, dès son arrivée en France (et tout fantasme mis à part), une sorte de phénomène extraterrestre. On perçoit assez l'ambarras des chroniqueurs à préciser ses origines : elle est "filiam regis Russorum Annam", "Anna filia Georgii regis Sclavonum"... les chartes d'époque la nomment parfois Agnes ou Agnetis. Bref, les femmes de l'Est ne sont pas légion en Occident à cette époque, encore moins à la cour de France (même si, rappellons-le, Henri avait d'abord été fiancé à Mathilde de Germanie, fille de Conrad II le Salique, puis marié à Mathilde de Frise, fille [supposée] du margrave Liudolfus). On peut d'ailleurs se demander comment la jeune femme parvenait à communiquer avec son entourage, dans la mesure où sa langue maternelle était l'ukrainien...
Sur le plan politique, dès la mort d'Henri Ier, la reine est associée à son fils dans les documents officiels (même si le tuteur légal de celui-ci est un mâle de sa famille, en l'occurence le comte Baudoin V de Flandre) : "Philippus rex cum matre sua regina", "nos très pieux rois Philippe et sa mère Anne" (voir Pernoud, p. 292). On a même conservé une mention autographe en slavon de "ANA PbHNA", datée de 1063. Bref, la reine ne disparaît pas du devant de la scène, même si son remariage avec le comte de Crépy, particulièrement scandaleux, n'est pas pour faciliter ses relations avec son fils et les autorités ecclesiastiques. Régine Pernoud la soupçonne même d'avoir eu certains écarts de conduite avant même la mort d'Henri Ier, en se basant sur une lettre personnelle du pape Nicolas Ier (datée de 1059 environ) qui l'exhorte à respecter ses devoirs de chrétienne, d'épouse de mère... Femme de tempérament, Anne de Kiev?
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