De nombreux débats, ici même, tendent à utiliser l’histoire à des fins de démonstration idéologique, politique, religieuse. Ailleurs, c’est d’autres domaines de connaissances, par exemple la biologie ou la génétique, la médecine, la psychologie, qui sont détournées – voire torturées – à des fins soit idéologiques, soit mercantiles.
J’ai souvent défendu, dans des « vraies » discussions (je veux dire pas virtuelles), l’idée d’une connaissance qui se suffit à elle-même, d’une école où on irait pour apprendre, pas (pas seulement) apprendre un métier. Je me suis souvent fâché avec des parents (dont j’étais pourtant le délégué) partisans d’une école utilitaire.
Et voilà que je viens de relire – car j’ai des week-ends de 14 juillet studieux, dans mon « lit douillet » – « l’Ecriture, la raison et les dieux », de Jean Botéro. S’il est possible de citer une telle intelligence sans la trahir, voici des extraits d’une de ses conférences : « Apologie pour une science inutile » (1982):
Citer :
L’assyriologie m’a neutralisé. Non seulement parce que, tant que je m’y livrais, perdu dans mes grimoires, embastillé de gros livres, de fichiers volumineux, de poudreuses tablettes, je ne pouvais porter préjudice à personne, ce qui […], alors que tant d’individus passent leur vie, ès qualités, à s’occuper des autres, à mettre le nez et la main dans leur existence, à les tarabuster, persécuter, ou pis encore, constitue un bien considérable avantage – pour les autres, s’entend. Mais surtout parce que la discipline à laquelle je me suis voué, en me tournant exclusivement vers le passé, m’a, comme tel, rendu incapable d’intervenir dans la vie de mes contemporains. [...] L’Histoire, […] comme tout le savoir des hommes, est née de leur curiosité : « de par leur nature, ils veulent connaître, comme dit Aristote. [...] La génétique et la psychologie, voilà qui est bel et bon ; mais ne se trouve-t-il pas, chez les enfants des hommes, des traits et des richesses que l’on ne comprend bien que par leurs pères ?
Citer :
… il s’est levé depuis quelques temps dans nos pays […]un terrible ouragan de subversion qui cherche, sans le dire, […] à écarter tout ce que nous mettions en avant de désintéressé, d’accueillant et d’ouvert au monde, aux choses et aux autres, d’appliqué à nous dilater l’esprit et le cœur, pour le remplacer par l’unique motivation, brutale, arithmétique et inhumaine, du profit. […] la véritable connaissance idéale ne sera plus que celle des taux d’intérêt […] ; et les seules sciences à encourager, celles qui nous apprennent à exploiter la terre et les hommes. A part quoi tout est inutile. [...] Mais […] tout ce qui est utile est servile. Tout ce qui est utile au profit est asservi au profit.
Citer :
Oui, l’université des sciences, comme telle, est inutile – au profit ! Oui, la philosophie est inutile ; l’anthropologie est inutile ; l’archéologie, la philologie et l’histoire sont inutiles ; l’orientalisme et l’assyriologie sont inutiles, complètement inutiles ! Voilà pourquoi nous y tenons tant