Deux témoignages quant à l'état lamentable de l'économie soviétique et du rôle de M. S. Gorbatchev :
Quant il fut ministre du commerce extérieur à la fin des années 1970, Jean-François Deniau rencontra un jour le premier ministre soviétique A. N. Kossyguine. Voilà comment il rapportait au chapitre 11 du second volume de ses
Mémoires de 7 vies (Plon, 1997) la discussion qu'il eut alors :
Jean-François Deniau a écrit :
Dans le cadre de la « visite d'État », il aurait été difficile pour le Premier ministre soviétique de me parler des difficultés de la production agricole dans le secteur des fruits et légumes dont parfois 60% provenait du quart d'hectare que les paysans avaient le droit d'y cultiver pour eux-mêmes. Les grands-parents y travaillaient encore avec acharnement, sans compter leur peine. Mais les petits-enfants ne voulaient pas en entendre parler. Après les heures du bureau, ils préféraient un emploi clandestin beaucoup plus lucratif et moins fatigant (taxi avec une voiture de l'administration). Comment répondre à ce problème de société et de génération ? me demande Alexis Kossyguine.
— Augmenter la surface du lopin individuel pour le rendre vraiment attrayant, je suggère.
— Impossible. Au-delà d'un demi-hectare, la doctrine s'y opposerait. Ce serait un aveu d'échec du marxisme et du matérialisme historique. Et puis les jeunes ne sont plus comme les babouchkas. Ils veulent l'argent tout de suite... Est-ce que des formules coopératives « à la française » ne pourraient pas convenir ?
— D'accord. Je vous envoie un spécialiste du mouvement coopératif.
Le Premier ministre polonais, après avoir condamné le gigantisme russe, m'avait déjà posé pratiquement la même question à propos des PME. Le secrétaire d'État compétent, un ami, s'était fait un plaisir d'aller porter la bonne parole. Malheureusement pour les systèmes de type soviétique, la coopération est un engagement destiné à corriger les effets de la liberté, pas ceux du socialisme. Dont le marché noir et la corruption. Est-il permis d'écrire qu'en URSS les tenants de la réforme étaient les chefs du KGB ? Que Béria, le monstre, était si l'on peut dire « un libéral » ? Que les services d'Andropov, avant de confier à Gorbatchev la mission impossible de rénover le Parti sans lui faire perdre le pouvoir, pour avoir barre sur les grands dignitaires hostiles à tout changement, avaient organisé contre eux de véritables guet-apens ? Visite officielle au Caucase au plus haut niveau. La délégation de Moscou repart sous les fleurs et les discours. Mais son avion est ramené au sol par deux avions de chasse. Sur le terrain les dignitaires du Parti sont fouillés et leurs bagages ouverts. Ces valises bourrées de marchandises interdites, drogues et devises étrangères sont photographiées avec leurs propriétaires. Maintenant vous pouvez reprendre l'avion et bon retour à Moscou...
Quelques années plus tard, en juin 1984, François Mitterrand est en visite officielle en U.R.S.S., alors dirigée par K. O. Tchernenko. Lors du dîner officiel qui a lieu au Kremlin, il s'entretient avec M. S. Gorbatchev, numéro deux du P.C.U.S. Voilà le dialogue que rapportent Pierre Favier et Michel Martin-Roland au chapitre deux du deuxième volume de leur
Décennie Mitterrand (Seuil, 1991) :
François Mitterrand « : « Quelles sont les perspectives de votre économie, où en sont les objectifs de votre XIe Plan quinquennal, et l'agriculture, où en êtes-vous ? »
Gorbatchev : « Tout le monde dit toujours que tout va bien, mais c'est faux, ça n'a jamais marché. »
« Depuis quand ? » demande Mitterrand, surpris.
« Mais depuis 1917, monsieur le Président », répond Gorbatchev, hilare ».