Je suis le 1er à venir débattre, et notamment sur la formulation comme sur les conclusions.
Sur le principe, je vois mal pourquoi l'éventuel opportunisme d'un personnage politique devrait être considéré comme défavorablement.
Je ne suis pas sûr que l'historiographie antique renvoie une image très favorable d'Agrippa. Je me souviens notamment de ces lignes qui lui reprochent sa naissance obscure, qui disent que, né les pieds devant, il était destiné à porter malheur aux romains, et qu'effectivement il leur porta malheur puisqu'il fut l'ancètre et de Caligula et de Néron.
Ajoutons encore le fait que la noblesse romaine a boudé les obsèques nationales qu'Auguste a voulu faire à son ami et fidèle lieutenant en 12 av JC.
Opportunisme, saccages, massacres ne sont pas une spécificité d'Agrippa : ce sont des caractères qu'on rencontre chez tous les grands hommes d'Etat/hommes de guerre romains et non-romains.
Qu'Agrippa n'ait pas seulement agi par fidélité mais aussi par intérêt, ça me semble tout à fait humain, surtout quand on agit dans une période aussi troublée que celle des guerres civiles.
Auguste avait d'autant plus besoin d'Agrippa que lui Auguste n'avait aucun talent militaire. Agrippa, c'est avant tout le grand amiral qui a su profondément innover sur le plan de la tactique navale au point de donner à son patron les clés de la victoire navale d'Actium (sans parler de la victoire préalable sur Sextus Pompée où il a littéralement sauvé la mise d'Auguste qui allait de déroutes en humiliations).
C'était encore et surtout l'homme forcément fidèle parce que, d'origine obscure et donc méprisé par l'aristocratie, il ne risquait pas de faire de l'ombre à son patron et d'être tenté de le supplanter. Alors qu'au contraire, si Auguste avait pris pour principal lieutenant militaire un Cornelius, un Valerius ou le rejeton d'une autre grande famille de l'aristocratie, il aurait risqué de le voir devenir un rival.
S'agissant des concessions qu'Auguste a du accorder à Agrippa, je vous rejoins en énonçant les choses différemment.
Parce qu'il lui était indispensable et parce qu'il était devenu l'homme le plus influent et le plus important dans le parti césarien après Auguste, Agrippa a su monnayer sa fidélité, ou plutôt faire prévaloir ses vues dans au moins un moment critique qui nous est connu.
Je fais référence à la crise de 23, à l'occasion du décès du jeune Marcellus et de la grave maladie d'Auguste. Syme a sur l'événement quelques brèves pages lumineuses. Il parle d'un quasi-coup d'état dans le parti césarien où Agrippa, à la fois par conviction républicaine et par opportunisme, manifestement appuyé par Livie (Tibère avait épousé ou allait épouser une fille d'Agrippa), aurait forcé Auguste à faire marche-arrière et à mettre la pédale douce sur l'orientation dynastique qu'il semblait vouloir faire prendre prématurément à son régime.
Résultat, se croyant peu après sur le point de mourir, c'est Agrippa qu'Auguste désignait assez explicitement comme celui devant lui "succéder".
Et moins de 2 ans plus tard, Agrippa épousait la fille unique du Prince et se voyait promu géniteur dynastique.
Syme argumente de manière très convaincante sur le fait que sans un parti, un homme d'Etat n'est rien. Il explique aussi que quand uun homme d'Etat commence à échapper à son parti et à aller là où les principales figures de son parti ne veulent pas le suivre, il risque de voir son parti se retourner contre lui.
C'est un peu ce qui s'est passé avec César qui, allant trop vite et trop loin dans l'évolution monarchique de son pouvoir, a fini par retourner contre lui des césariens de longue date comme Trebonius et Decimus Brutus.
Auguste a fait marche arrière pour une génération : il faut dire que le hasard ne lui a guère laissé le choix puisque son neveu/gendre sur lequel il fondait ses projets dynastiques est mort cette même année 23.
Agrippa, c'est donc une réussite absolument exceptionnelle comme on en rencontre dans les périodes de grands troubles. Une réussite exceptionnelle découlant de talents incontestables, de succès formidables, et bien évidemment conditionnée par une fidélité sans faille au chef de parti futur empereur.
La figure opposée à Agrippa, c'est celle de Salvidienus Rufus, un peu plus âgé, qui était alors considéré comme le meilleur général du jeune Octavien. Quand Octavien a appris de la bouche d'Antoine que Salvidienus Rufus avait envisagé de changer de camp, il le fit mettre à mort en 40 pour dissuader à jamais ses lieutenants de le trahir.
Nul ne saura si Antoine a fait preuve de machiavélisme (en enfumant Octavien et en le poussant à tuer son meilleur général) ou de naïveté en lui faisant un tel aveu.
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