Je suis heureux de voir ce sujet remonter. Votre message, Ericc, est passionnant de bout en bout, mais je crois que vous vous focalisez trop sur des concepts très théoriques. Quand vous invoquez les testaments, certaines études montrent justement que les craintes relatives au Salut se font de plus en plus rares au XVIIe siècle (une étude sur les testaments de Loudun est en cours à ce propos).
La coexistence confessionnelle est un fait majeur et son étude montre que, très loin de l'intransigeance des clergés des deux bords et du pouvoir royal, il y avait des possibilités de vie commune et paisible. Un colloque, tenu à Lyon sur ce sujet en septembre 2006, le montre bien et ses actes paraîtront, sans doute en 2008, aux PU de la Sorbonne.
Mais je voudrais revenir sur ce passage de votre message:
Ericc a écrit :
La france constituant même une anomalie au regard des autres états, Espagne, Italie, Empire, où règne toujours le "Cujus princep, cujus religio" avec les mouvements de population qu'il a entraîné au siècle précédent, Provinces Unies qui en ce domaine font très fort niveau intolérance ou Angleterre, pays dans lequel le droit de pratiquer la religion de son choix est à géométrie variable. On peut certes regretter que la France n'ait pas poursuivie dans l'esprit de tolérance, on peut aussi le comprendre.
Comme je l'ai dit, je suis plutôt d'accord avec vous, même si je pense que vous vous placez trop sur le plan des idées. Mais sur ce point, il manque un élément important, qui explique que la Révocation ait paru aux hommes du temps comme une erreur et un acte inhumain (et j'insiste, ce sont les hommes de l'époque, protestants comme catholiques, qui le disent, donc on ne peut objecter un quelconque anachronisme): c'est que le principe
cujus regio, ejus religio n'est pas respecté par Louis XIV. En effet, ce principe s'accompagne invariablement de ce que l'on appelle le
jus emigrandi, le droit de quitter son pays pour rallier un pays dont le prince professe sa religion. Or l'édit de Fontainebleau exclut de façon explicite cette possibilité, ce qui apparaît aux yeux des huguenots totalement injuste. En lisant de nombreux témoignages, on se rend compte que la décision aurait sans doute été acceptée si le roi avait autorisé les départs. Mais cette décision force les protestants à être fidèle à leur foi ou à leur roi. Et cette alternative est très douloureuse pour des réformés qui, depuis que le roi est le seul garant de leur existence légale (en 1629 les places de sécurité son démantelées), sont parmi les plus fervents soutiens de l'absolutisme (même après la Révocation, des pasteurs comme Elie Merlat continuent à louer le roi de France).
De plus, dernier point qui achève de rendre la Révocation intolérable, c'est la ruse de Louis XIV. Car si l'on regarde bien, la Révocation ne force pas les réformés à se convertir. Mais on expulse les pasteurs (sauf s'ils veulent émigrer), on interdit le culte et, donc, on interdit aux réformés (y compris la famille des pasteurs qui partent) de quitter le royaume. Louis XIV est certain qu'ainsi, les conversions se feront simplement et naturellement. Mais c'est parce qu'il pensait comme un catholique, qui ne peut se passer ni de son clergé, ni de son culte. Or c'est tout à fait possible pour un réformé (en tout cas un certain temps). C'est ce qui amène le roi à employer la force et la dragonnade pour arriver à ses fins en 1686, ce qui achève de rendre la décision inique et brutale.
Enfin, j'aimerais répondre au message de Rapentat. Je suis bien évidemment entièrement d'accord avec vous. Pour avoir passé toute une année à étudier à Berlin sur l'apport des huguenots messins pour préparer une exposition (et je suis ravi qu'elle ait marqué Plantin-Moretus qui la cite), je crois pouvoir dire que cet apport fut décisif. Mais ni Metz comme lieu de départ, ni Berlin comme lieu d'arrivée ne sont représentatifs du mouvement général que fut le Refuge huguenot. Mes modestes travaux ont eu d'ailleurs pour but de montrer que, contrairement à ce qu'on peut dire, avec Scoville et Yardeni, sur la faiblesse de la perte économique française après la Révocation, ce fut une autre histoire dans le cas particulier de Metz, qui perd en 20 ans plus de 17% de sa population, essentiellement dans les domaines de l'artisanat et du commerce, accentuant l'évolution de Metz de ville commerçante en ville de garnison (ce qu'elle est plus ou moins restée jusque dans les années 1990).
Désolé pour ce message un peu long et merci à ceux qui l'auront lu jusqu'au bout