Voici quelques éléments de réponse, d’après le livre de A. Erlande-Brandenburg, La cathédrale, Fayard, 1989
Différentes sources de financement :
LES EVEQUES
Beaucoup de prélats avaient une fortune personnelle qui permettait de « lisser » l’activité du chantier (ex : Guillaume de Seignelay, évêque d’Auxerre, fit un don de départ de 70 livres, puis 10 livres par an à partir de 1215. A Coutances, l’évêque Geoffroy paye sur ses fonds propres maçons, charpentiers, sculpteurs, orfèvres pour l’édifice inauguré en 1056. Bertrand de l’Isle, à Toulouse, lègue par testament 1000 livres pour le chapitre, 1000 livres pour la fabrique de la cathédrale et autant pour la construction d’une chapelle).
Pour apprécier ces sommes, comparez avec le chevet de l’abbatiale de St Denis, commencé en 1140 et consacré en 1144, qui a coûté 2100 livres, ou encore avec les tours élevées par Philippe-Auguste dans le nord du royaume, dont les coûts s’échelonnent entre 1600 et 2100 livres.
Ce rôle des évêques est constant jusqu’à la fin du Moyen-âge :
Ex : l’évêque de Bayeux Louis d’Harcourt prend à sa charge les frais de construction de la tour de la croisée du transept ; la construction dure du 1er octobre 1477 au 1er août 1479 et coûtèrent 4092 livres, 12 sous, 6 deniers.
Ex : l’évêque Jean Marre à Condom en 1521 laisse 1500 quintaux de plomb qu’il venait d’acheter pour couvrir la cathédrale, ainsi que 1000 livres et le bois nécessaire à la construction du choeur des chanoines.
LE TEMPOREL DES EVECHES
Les évêques prenaient aussi soin avant de se lancer dans une construction de remettre de l’ordre dans le temporel de leur église (ex : Suger à St Denis dont les efforts de réorganisation permettent de dégager un budget excédentaire à partir de 1140, ou encore Arnoul à Lisieux, dont la politique budgétaire lui vaut l’opposition des chanoines avec un procès en 1181).
Dans le midi, cette réorganisation des temporels est encore plus poussée, grâce à la remise en ordre qui a suivi la croisade contre les Albigeois (ex : restitution des dîmes abusivement détenues par des laïcs). A Albi, c’est encore plus poussé, car l’évêque devient le seigneur de la ville : Bernard de Castanet parvient ainsi à décupler le revenu annuel de 2000 à 20 000 livres de 1276 à 1282 (grâce aussi à la prospérité agricole de l’Albigeois dans la 2ème moitié du XIIIème siècle).
L’avancement du chantier reposant sur l’arrivée régulière d’argent frais, il est donc directement lié aux aléas climatiques affectant les récoltes
Une des raisons du ralentissement des travaux voire même leur abandon au XIVème siècle, avec la guerre et les crises, est la création de nouveaux évêchés par Jean XXII en 1317-1318 : pour certains diocèses démembrés, la baisse est catastrophique : Toulouse (-80%), Albi (- 40%), Rodez (-28%).
LES CHANOINES
A partir du XIIIème siècle, leur rôle devient de plus en plus important, à tel point qu’une institution particulière apparaît, surtout dans le nord : la fabrique.
Ex : après l’incendie de la cathédrale de Chartres en 1194, évêque et chanoine s’entendent pour verser « une part non modique » de leurs revenus pour la reconstruction ; opération facilitée par le passage de l’administration du temporel du chapitre des mains du prévôt à celles des chanoines. La rapidité des travaux montrent que les moyens financiers étaient importants : nef achevée en 1200, chevet en 1221, transept en 1230-1235.
Par contre, à Troyes, la mauvaise volonté financière des chanoines pousse le pape à intervenir par une bulle (1249) pour obliger chaque chanoine à verser à la fabrique 100 sous chacun et les dignitaires 10 livres pour l’entretien et la réparation de la cathédrale. A Meaux, l’évêque Jean de Poincy et les chanoines décident en 1268 d’affecter aux travaux de la cathédrale les revenus pendant 10 ans des annates des églises paroissiales en cas de vacance, ainsi que les aumônes des fidèles.
Ce cofinancement évêque/chapitre devient partout la règle au cours du XIIIème siècle, d’abord limité dans le temps, puis pérennisé pour des périodes de plus en plus longues (ex : à Albi, Bernard de Castanet et le chapitre assurent le financement à concurrence du 20ème de leur revenu annuel pendant 20 ans).
A Toul en 1382, on trouve même mention pour la première fois d’un endettement du chapitre, gagé sur le trésor religieux, preuve qu’il n’hésite pas à recourir à des techniques financières nouvelles comme l’emprunt.
LES RESSOURCES EXTRAORDINAIRES
Les interventions des souverains sont rares dans le nord de l’Europe, insignifiantes dans le sud (ex : dons de 200 livres de Louis VII pour N.D de Paris, et même somme pour Philippe-Auguste à Chartres en 1210). Ces dons privés ne se fondent pas dans l’anonymat (ex : les 42 verrières de Chartres, données par les corporations ou les confréries locales).
Le pape Clément V, qui avait été archevêque de Bordeaux, accorde en 1307 des indulgences, et en 1308 tous les revenus des premières années des bénéfices vacants du diocèse à la cathédrale, et surtout lègue 20 000 florins à l’oeuvre de la cathédrale car il y avait élu sépulture (somme ramenée à 10 000 florins quand il changea d’avis en 1314).
La population de la ville est parfois mise à contribution, en cas de nécessité grave (ex : pour la construction de la façade occidentale de la cathédrale de Meaux, Charles VI lança en 1390 un appel à la population de la ville : 260 livres furent réunies en 1393 et 200 l’année suivante).
Après la guerre de Cent Ans, la reprise des travaux poussent les chanoines désespérés à s’adresser à tout le monde : Toul obtient 100 florins du pape et 1500 du roi. Les villes accordent aussi des subsides.
Les legs sont un cas à part, car leur destination affectée très précisément fait qu ‘ils échappent au fonds commun destiné au gros oeuvre. De plus, ils s’adressent prioritairement au XIIème siècle aux ordres religieux, cisterciens surtout (ex : alors que la cathédrale de Toulouse est en plein chantier, Jeanne de Toulouse, fille de Raymond VII et femme d’Alphonse de Poitiers, qui meurt en 1271, accorde 10 000 marcs d’argent à diverses oeuvres religieuses, et rien à la cathédrale).
Les indulgences demandées au pape ne parviennent pas à inciter les fidèles à la générosité, comme le prouve leur répétition (ex : 1245 et 1257 pour Besançon, 1243, 1245 et 1254 pour Bayeux).
Il est difficile d’apprécier le produit des quêtes et des troncs disposés dans les églises, marchés et boutiques. Les évêques emploient aussi des quêteurs qui parcourent les diocèses en montrant des reliques pour attirer les donateurs, mais le produit reste modeste, d’autant plus que les quêteurs touchent une partie des dons recueillis (ex : 1/3 à Toul en 1403). C’est pourquoi on afferme parfois ces produits de quêtes quand le besoin est pressant (ex : à Clermont au XIVème siècle, l’évêque Aubert Aycelin de Montaigu donne les quêtes à forfait à des concessionnaires, religieux ou laïcs, qui devaient les lever à leurs risques et périls. A Toul, en 1506, n certain Jacquot de Vaubécourt obtient ainsi cette concession pour 500 francs par an pour une durée de 3 ans). Un seul exemple précis de rapport des quêtes : celui de la fabrique de Rodez en 1293-1294, qui représente 34% de la recette de la fabrique (chiffre élevé, qui semble spécifique au midi).
D’autres expédients étonnants, par exemple à Rouen, à la fin du XVème siècle : l’archevêque Robert de Croixmare, pour financer la seconde tour de la façade de la cathédrale, y affecte les aumônes perçues en échange des dispenses de beurre et de lait durant le Carême, d’où son nom de « Tour de Beurre ».
LES PRIX DES MATIERES PREMIERES
Les maîtres d’oeuvre devaient alimenter le chantier en bois et en pierre à un prix qui devait être le plus bas possible.
Pour le bois, pas de problème, car les prélats et chanoines possédaient souvent des forêts dont les ressources pouvaient couvrir les besoins en bois de construction ou de charpente.
Pour la pierre, le problème est différent : c’est pourquoi les évêques tentent de se rendre propriétaires des carrières dont ils ont besoin avant de commencer la construction (ex à Laon en 1205 pour des carrières situées à 17 kms du chantier, à Troyes en 1218 où le comte de Bar-sur-Seine Milon accorde le droit de tirer de la pierre de sa carrière d’Acrimont jusqu’à l’achèvement de l’édifice).
_________________ Tous les désespoirs sont permis
|