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Message Publié : 03 Mai 2008 3:33 
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Philippe de Commines
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J'ai noté en page 22 une série de critères que l'auteur propose pour comparer deux civilisations :

"La comparaison de civilisations différentes doit autant que possible s'effectuer :
1) en examinant la réalité des découvertes scientifiques, leur valeur et leur portée,
2) en analysant les systèmes juridiques mis en place et leur conception de la personne humaine,
3) en détaillant le rapport aux textes sacrés et le degré de liberté laissé à la raison humaine dans leur examen, leur commentaire et leur interprétation,
4) en mettant en parallèle les formes d'expression artistique (peinture, sculpture)..."

Pour autant qu'on juge que cet exercice de comparaison a un sens, je doute que cela suffirait à évaluer des civilisations contemporaines. En revanche, dans le cadre de la thèse défendue par le livre, ces critères ne me paraissent pas saugrenus en première analyse pour "comparer" ces sociétés médiévales, aspects sociaux, économiques et moraux mis à part.

Je distingue volontairement les aspects moraux de la morale issue des textes sacrés, parce qu'on voit bien dans la Gaule carolingienne que la "vie quotidienne" reste largement régie par des aspects culturels et moraux non chrétiens, issus des cultures romaines et germaniques d'avant la conversion. Je n'ai aucune idée de ce qu'il en est chez les peuples islamisés du Moyen-Orient et d'Afrique.

Je n'ai rien lu dans la prose qui commence à être abondante des "anti" au sujet de cette liste de critères ; ça m'intéresserait pourtant d'en avoir une analyse plus détaillée (pour ou contre d'ailleurs).

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Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 03 Mai 2008 7:17 
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Je n'ai rien lu dans la prose qui commence à être abondante des "anti" au sujet de cette liste de critères ; ça m'intéresserait pourtant d'en avoir une analyse plus détaillée (pour ou contre d'ailleurs)


En relisant les pages en question, ce qui est frappant je trouve, c'est que sa "grille d'évaluation" des civilisations est totalement occidentalocentrée (primauté de l'individu sur la société, primauté de la raison sur la foi, etc.) donc forcément favorable à la Chrétienté.

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 03 Mai 2008 15:44 
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Philippe de Commines
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Florian a écrit :
En relisant les pages en question, ce qui est frappant je trouve, c'est que sa "grille d'évaluation" des civilisations est totalement occidentalocentrée (primauté de l'individu sur la société, primauté de la raison sur la foi, etc.) donc forcément favorable à la Chrétienté.


En première analyse, c'est en effet assez frappant.
Prenons quand même rapidement quelques exemples.

1) Primauté de l'individu sur la société. Celui-ci est à mon sens clairement occidentalocentré, comme vous dites. On peut concevoir des sociétés qui considéreraient que l'accomplissement de l'homme ne passe pas par l'individualisme, au contraire. On peut aussi concevoir des sociétés faisant passer l'accomplissement de la société avant celle de ses individus.

2) Primauté de la raison sur la foi. Celui-ci me semble plus universel. Ce qui différencie l'homme de l'animal, c'est qu'il est doté de raison. Refuser de s'en servir me semble rabaisser l'homme vivant en société au niveau de la bête d'élevage. C'est comme dire qu'on n'a pas besoin de ses mains et les amputer volontairement.

3) Système juridique et conception de la personne humaine. C'est le vieux débat de l'universalité de la dignité humaine et des droits de l'homme. Bien sûr, cela peut se décliner de manière variable selon les sociétés (cf. point 1 ci-dessus). Mais il me semble que si ces fondamentaux ne sont pas respectés, on est dans une société d'oppression institutionnelle, d'une manière ou d'une autre. On peut donc comparer sur ce point.

4) Formes d'expression artistique. Là, je peine à y voir quoi que ce soit d'universel, et sur quels critères se ferait la comparaison entre deux civilisations.

5) Réalité et portée des découvertes scientifiques. Il faut distinguer la découverte faite par un génie isolé des découvertes successives issues d'un entraînement de la société sur le sujet des sciences. Dans le second cas, on peut comparer, pas dans le premier : des découvertes ou inventions ponctuelles, quelque brillantes qu'elles soient, ne représentent pas forcément la société d'où est issu leur auteur.
La portée effective des découvertes également est importante ; elle montre la capacité de la société à absorber l'innovation, et à la faire fructifier.

A mons sens, comparer sur 2, 3 et 5 n'est pas occidentalo-centré, on doit pouvoir le faire. Ce qui ne préjuge en rien de ce que l'on fera des résultats de la comparaison, dont j'imagine bien que les idéologues et polémistes de tout poil s'empareront immédiatement à des fins médiocres.

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Message Publié : 03 Mai 2008 17:32 
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Grégoire de Tours
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Huyustus a écrit :

2) Primauté de la raison sur la foi. Celui-ci me semble plus universel. Ce qui différencie l'homme de l'animal, c'est qu'il est doté de raison. Refuser de s'en servir me semble rabaisser l'homme vivant en société au niveau de la bête d'élevage. C'est comme dire qu'on n'a pas besoin de ses mains et les amputer volontairement.

[...]
A mons sens, comparer sur 2, 3 et 5 n'est pas occidentalo-centré, on doit pouvoir le faire. Ce qui ne préjuge en rien de ce que l'on fera des résultats de la comparaison, dont j'imagine bien que les idéologues et polémistes de tout poil s'empareront immédiatement à des fins médiocres.


Ce principe-là est bien loin d'être universel, et la raison telle que nous l'entendons quand nous en parlons nous vient des penseurs de l'époque moderne, en particulier des philosophes des Lumières qui l'ont opposée à la foi, dans un contexte très particulier : la contre-réforme catholique avait vérouillé l'accès au sacré et à la critique des textes religieux en s'en réservant l'interprétation exclusive, avec en plus l'érection de ces interprétations en dogmes intangibles. Je ne sais plus quel pape avait publié une encyclique condamnant l'usage de la raison en matière de foi, mais certainement de plus calés que moi le diront !
Le principe que vous énoncez donc, que "ce qui différencie l'homme de l'animal c'est qu'il est doté de raison", c'est une valeur occidentale contemporaine qui n'a rien d'universel ni d'intemporel (ça n'empêche pas de déplorer qu'elle ne le soit pas, mais ça c'est une autre histoire en plus d'être un jugement de valeur :wink: ).

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Message Publié : 03 Mai 2008 19:56 
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Philippe de Commines
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Aspasie mineure a écrit :
Ce principe-là est bien loin d'être universel, et la raison telle que nous l'entendons quand nous en parlons nous vient des penseurs de l'époque moderne, en particulier des philosophes des Lumières qui l'ont opposée à la foi, dans un contexte très particulier : la contre-réforme catholique avait vérouillé l'accès au sacré et à la critique des textes religieux en s'en réservant l'interprétation exclusive, avec en plus l'érection de ces interprétations en dogmes intangibles. Je ne sais plus quel pape avait publié une encyclique condamnant l'usage de la raison en matière de foi, mais certainement de plus calés que moi le diront !
Le principe que vous énoncez donc, que "ce qui différencie l'homme de l'animal c'est qu'il est doté de raison", c'est une valeur occidentale contemporaine qui n'a rien d'universel ni d'intemporel (ça n'empêche pas de déplorer qu'elle ne le soit pas, mais ça c'est une autre histoire en plus d'être un jugement de valeur :wink: ).


Je nuancerais quand même un peu en précisant que la contre-réforme a été une exception dans l'histoire de l'Eglise catholique. Comme Gouguenheim le rappelle dans son livre, le Moyen-âge ne voyait pas d'opposition entre la foi et la raison, au contraire, ce qui est une des explications à cette soif de textes grecs. Tout cela culminant entre autres avec St Thomas d'Aquin.

Qu'il y ait eu des crispations après la contre-réforme quand l'Eglise s'est aperçue que la raison était utilisée par certains pour nier l'existence de Dieu et/ou les enseignements bibliques, c'est certain. Mais ça n'a duré qu'un temps.

Je ne crois pas donc qu'on puisse dire que ce "principe" ne concerne que l'époque récente des philosophes des lumières. Et c'est pour ça que je le juge quand même universel (en tant que critère pour "évaluer" le degré de civilisation d'une société). Et après tout, s'il y a des périodes de recul de la raison dans l'histoire, ce sont plutôt des contre-exemples qui confirment la règle :wink: .

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Message Publié : 04 Mai 2008 3:53 
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Pierre de L'Estoile
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[quote="Florian"][quote]Je n'ai rien lu dans la prose qui commence à être abondante des "anti" au sujet de cette liste de critères ; ça m'intéresserait pourtant d'en avoir une analyse plus détaillée (pour ou contre d'ailleurs)[/quote]

En relisant les pages en question, ce qui est frappant je trouve, c'est que sa "grille d'évaluation" des civilisations est totalement occidentalocentrée (primauté de l'individu sur la société, primauté de la raison sur la foi, etc.) donc forcément favorable à la Chrétienté.[/quote]

Je ne crois pas que le livre de Gougenheim doive être lus comme une comparaison entre mondes européens et arabo-musulman menant à un jugement de valeur, à moins que l'on fasse de la question de l'héritage grec un absolu.

La thèse centrale porte sur la dynamique de la quête du savoir en Europe occidentale, et c'est à l'aune de cette dynamique européenne vis à vis de la science et la connaissance que Gougenheim compare monde arabo-musulman et européen. Si sa grille, discutable, nous apparait occidentalo centrée n'est ce pas un révélateur possible de la miscibilité au mieux limité de ces deux civilisations ?

Il me semble que dans cette page 22 l'auteur pose en même temps que la méthode de comparaison une partie des limites qui vont avec.

Pour ma part, simple amateur d'histoire, je ne trouve pas le livre bon; la dimension endogène de la quête du savoir me semblait déjà presque évidente avec mes lectures passées et je ne suis pas non plus convaincu par sa démonstration quant au monde arabo musulman.

Mais, encore une fois, pourquoi des réactions aussi violentes ?

PS : j'ai du mal à comprendre les références qui ont été faites à Benoit XVI. Que viennent faire le pape et le Vatican dans cette histoire à part le lien, douteux, de Boiron sur ce point ?

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« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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Message Publié : 04 Mai 2008 7:05 
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Mais, encore une fois, pourquoi des réactions aussi violentes ?


N'exagérons rien: on a vu plus violent comme polémique. Les réactions sont plus sarcastiques que violentes. Le débat, même un peu musclé, a du bon. Je préfère un débat musclé qui permet de stimuler la réflexion de tous qu'un pseudo consensus feutré.

Je suis un peu surpris par tous ceux qui s'offusquent qu'on "ose" débattre d'histoire via la grande presse et par le biais de tribunes ou de pétitions plutôt que d'articles scientifiques. Pour ma part, je me réjouis que l'on parle d'histoire dans la grande presse et qu'un débat historique ait un retentissement public. Je ne crois absolument pas que faire de l'histoire, c'est faire de longs articles que personne ne lit en prétendant y déceler en toute "neutralité" un "vérité" historique. L'histoire, c'est le débat: c'est la philosophie même de Passion Histoire au demeurant.

Citer :
Je ne crois pas que le livre de Gouguenheim doive être lus comme une comparaison entre mondes européens et arabo-musulman menant à un jugement de valeur, à moins que l'on fasse de la question de l'héritage grec un absolu.


Il n'empêche que c'est ce à quoi il aboutit: en refermant le livre et si on veut bien se laisser convaincre par la démonstration de l'auteur, on en conclut que l'Islam est incapable d'accéder à la rationalité au contraire du christianisme.

Citer :
j'ai du mal à comprendre les références qui ont été faites à Benoit XVI. Que viennent faire le pape et le Vatican dans cette histoire à part le lien, douteux, de Boiron sur ce point ?


Relisez le discours de Ratisbonne, vous comprendrez le lien direct entre les thèses de Benoît XVI et celles de Gouguenheim:

"Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu’à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l’obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l’homme devrait même pratiquer l’idolâtrie."

Discours intégral sur le site du Vatican:

http://www.vatican.va/holy_father/bened ... rg_fr.html

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Message Publié : 04 Mai 2008 8:54 
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Pour me faire une opinion, je vais lire le livre, et j'attendrai ensuite une critique "contre" sérieuse, détaillée et argumentée, publiée dans une revue scientifique (et pas un magazine télé), ou sous forme de livre, et qui ne contiendra pas de biais idéologique. Je parie d'ailleurs qu'une critique de ce type sera plus nuancée...


En attendant la parution de telles critiques détaillées, on peut renvoyer à quelques ouvrages qui constituent de fait des critiques solides de la thèse de Gouguenheim:

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Ainsi que le volume Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale, dirigé par J. Hamesse et F. Marta, Brepols, 1990.

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Message Publié : 05 Mai 2008 6:15 
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Le Temps (Genève) consacre un dossier à l'affaire aujourd'hui:

Citer :

Roger Pol-Droit, chroniqueur réputé du Monde des Livres, ne croyait sans doute pas si bien dire lorsqu'il prophétisa, à propos d'un essai d'histoire dont il rendit compte positivement le 3 avril dernier, qu'il allait «susciter débats et polémiques». Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, du médiéviste Sylvain Gouguenheim, professeur à l'Ecole normale supérieure de Lyon, a soulevé une tempête de protestations dans les milieux intellectuels français, qui répliquent à coups de tribunes dans les quotidiens et les revues de l'Hexagone. En revanche, l'essai fait les délices de certains sites d'extrême droite.

Sylvain Gouguenheim, qui a pourtant acquis auprès de ses pairs une solide réputation de sérieux, est soupçonné d'islamophobie. Son livre, salué également par Le Figaro, a pour ambition de discuter deux thèses autour de la transmission du savoir grec en Occident durant le Moyen Age, thèses qui tendent à devenir «une opinion commune». Selon la première, l'Europe chrétienne médiévale devrait la découverte de ce savoir aux savants arabo-musulmans qui auraient traduit les textes grecs en arabe, permettant aux Européens de se les réapproprier à partir du XIIe siècle dans l'Espagne redevenue chrétienne. L'Islam médiéval serait ainsi à l'origine de l'essor de la civilisation européenne, qui aurait une dette envers le monde musulman. Selon la deuxième thèse, l'identité culturelle européenne aurait des racines musulmanes remontant à la civilisation des Abbassides (751-1258).

Pour l'historien, ces deux convictions contemporaines sont fausses et imposent l'image d'une Europe médiévale arriérée et «à la traîne d'un Islam des Lumières». Elles dévalorisent le passé européen. «Une sorte de légende noire du Moyen Age semble de nouveau prendre le dessus», tandis que la civilisation des Abbassides est présentée «sous les séduisantes couleurs d'un univers de tolérance religieuse, d'ouverture culturelle, d'essor scientifique rationaliste, bref une civilisation supérieure à ses homologues chrétiennes, byzantine et latine.» Sylvain Gouguenheim démontre au contraire dans son livre que les chrétiens du Moyen Age n'ont jamais cessé de lire et de traduire les auteurs grecs, et que l'apport de la civilisation islamique à la culture européenne est sinon nul, du moins très limité. Les racines de l'Europe sont à ses yeux uniquement chrétiennes et grecques.

Plusieurs facteurs ont contribué à la permanence de la transmission de la culture grecque dans l'Europe médiévale. Après la chute de l'Empire romain, des foyers de peuplement grecs persistaient, et certains se sont développés au cours du Moyen Age, notamment en Sicile, en Italie du Sud, à Rome, en Irlande et dans l'Empire germanique. Ils étaient alimentés par les élites culturelles de l'Empire byzantin qui fuyaient les invasions musulmanes. Sylvain Gouguenheim établit que les élites politiques occidentales ont activement cherché à se procurer le savoir grec. Ainsi Pépin le Bref (751-768) demanda au pape Paul Ier de lui prêter des livres grecs qu'il possédait. Cet intérêt pour la culture grecque a favorisé une succession de renaissances dans toute l'Europe.

Le médiéviste mentionne le rôle capital joué par les moines du Mont-Saint-Michel et Jacques de Venise, «chaînon manquant dans l'histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin». Ce dernier a traduit l'œuvre d'Aristote directement du grec au latin au début du XIIe siècle, permettant à la France du Nord et à l'Angleterre de disposer de cet héritage cinquante ans avant que ne commencent en Espagne les traductions à partir des versions arabes.

Par ailleurs, Byzance s'est aussi activement tournée vers la culture grecque. Nombre de lettrés ont continué à étudier et enseigner la pensée de Platon et d'Aristote.

Dans la deuxième moitié de son essai, l'auteur relativise l'importance de la réception de la culture hellénique dans le monde musulman. Il rappelle que les Arabes musulmans n'ont jamais lu les auteurs grecs dans leur langue d'origine. Ils en ont disposé grâce à l'immense travail des chrétiens syriaques qui les ont traduits en arabe. Les grands savants musulmans qu'étaient Al-Farabi, Avicenne et Averroès ignoraient le grec.

L'auteur s'interroge aussi sur la nature et la profondeur de l'hellénisation de l'islam. Selon lui, celle-ci est restée très superficielle, en raison notamment de la croyance des musulmans en la nature incréée du Coran, qui a filtré la pénétration du savoir grec et empêché la possibilité d'une expression libre de la pensée. Seul ce qui était compatible avec le Coran et pouvait servir à l'explication de la révélation a été retenu. Ainsi, la littérature et la tragédie grecques n'ont guère intéressé les musulmans. L'héritage philosophique a été soigneusement trié en fonction des exigences du Coran.

Le médiéviste s'attache enfin à démontrer que l'islam, en tant que civilisation, n'a rien produit de nouveau dans les domaines de la science. Par exemple, les grands médecins du monde musulman étaient pratiquement tous chrétiens, avance-t-il. «Dans les domaines de l'astronomie et de la cosmologie, l'Islam a passé au tamis l'héritage grec au bénéfice d'orientations religieuses», écrit l'auteur. Qui rappelle aussi que le vocabulaire scientifique arabe a été forgé par les chrétiens. En bref, la science arabo-musulmane tant vantée aujourd'hui «fut donc une science grecque par son contenu et son inspiration, syriaque puis arabe par sa langue. La conclusion est claire: l'Orient musulman doit presque tout à l'Orient chrétien. Et c'est cette dette que l'on passe souvent sous silence de nos jours, tant dans le monde musulman que dans le monde occidental.»

Les réactions n'ont pas tardé. Quarante historiens et philosophes des sciences ont signé un texte qu'ils ont fait parvenir au Monde. Ils s'élèvent contre les thèses de Sylvain Gouguenheim, rappellent qu'elles n'ont rien de nouveau et écrivent qu'«il n'est aucun philosophe ou historien des sciences sérieux pour affirmer que «l'Europe doit ses savoirs à l'islam». Dans Le Monde des Livres du 25 avril, deux universitaires, Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, reprochent à l'auteur de surévaluer le rôle du monde byzantin. De confondre «ce qui relève de la religion et ce qui relève de la civilisation». De nier «obstinément ce qu'un siècle et demi de recherche a patiemment établi». D'avoir des fréquentations intellectuelles «pour le moins douteuses», comme René Marchand, cité régulièrement par Gouguenheim et auteur d'une biographie très critique à l'égard de Mahomet, mise en valeur sur le site de l'association d'«islamovigilance» Occidentalis. Dans Libération du 30 avril, un collectif de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Age dénonce une «relecture fallacieuse des liens entre l'Occident chrétien et le monde islamique».

Alain de Libera, professeur de philosophie médiévale à Genève dont les thèses sont critiquées par Gouguenheim, a répliqué dans Télérama. Il confie également ses critiques au Temps (ci-dessous). Quant à l'auteur, interrogé par Le Monde des Livres, il se dit choqué que l'on puisse faire de lui un homme d'extrême droite alors qu'il appartient à une famille de résistants.

Patricia Briel


Toujours dans le Temps, un entretien avec Alain de Libera:

Citer :
Le Temps: Que pensez-vous du livre de Sylvain Gouguenheim?

Alain de Libera: C'est un livre militant, qui porte à la fois sur l'histoire intellectuelle du Moyen Age et l'identité culturelle et religieuse de l'Europe. Le projet d'ensemble est idéologique et apologétique: essai ou pamphlet, dont la vraie cible est le dialogue des cultures. L'information scientifique est sélective. Les thèses nouvelles déjà connues. La «découverte» de Jacques de Venise un non-événement. Il eût été préférable de comparer les entrées successives d'Aristote à partir du grec et de l'arabe et de ne pas se limiter à quelques sciences. Qui lisait ces textes? Combien de gens les lisaient? Et pourquoi faire? L'arrivée des textes traduits de l'arabe a non seulement fait exploser l'offre philosophique, mais elle a aussi suscité une nouvelle demande. Provoqué de nouvelles questions. Soulevé de nouveaux problèmes – c'est aussi cela la science, et la philosophie. Les textes d'Averroès, le «Commentateur d'Aristote», ont été lus, souvent commentés eux-mêmes, jusqu'à la fin du XVIe siècle. Leur diffusion coïncide avec l'essor des universités. En éliminant de sa démonstration tout ce qui est postérieur au haut Moyen Age, sous prétexte que cela était bien connu, M. Gouguenheim s'est fait la partie belle: il a laissé de côté quatre siècles de réception des sources arabes, de crises universitaires européennes, de censures, de résistance à l'aristotélisme, d'effervescence théologique, de conflits entre la raison et la foi. Il est vrai qu'en poussant jusqu'à 1210 et au Concile de la Province ecclésiastique de Sens, il lui aurait fallu montrer l'Europe chrétienne tout occupée à arracher ses racines, en interdisant la lecture des «livres naturels d'Aristote», la Métaphysique, le De anima, la Physique, «ainsi que de ses commentaires, tant en public qu'en privé sous peine d'excommunication».

Le médiéviste démontre qu'au sein du monde islamique, les musulmans n'ont joué pratiquement aucun rôle dans la traduction des textes grecs. Ces traductions auraient été le fait uniquement des chrétiens syriaques.

Il faut distinguer ici deux choses: la philosophie en Islam et la philosophie de l'Islam. Uniquement et principalement. L'existence de médiateurs chrétiens du syriaque à l'arabe n'est contestée par personne. N'oublions pas cependant que ces «passeurs» du grec au syriaque, les nestoriens, les jacobites, étaient aussi des «hérétiques» aux yeux des Byzantins. N'oublions pas non plus que les Byzantins étaient antihelléniques, et que les musulmans étaient philohelléniques parce qu'antibyzantins. Ce qui est inacceptable dans la démarche de Sylvain Gouguenheim, c'est de mêler à ces questions de fait des hypothèses d'un autre âge sur le génie de la langue arabe – langue sémitique inclinant à la poésie plus qu'au concept, et sur l'essence des religions – l'islam incompatible avec la raison. L'islam n'étant pas soluble dans l'hellénisme, les musulmans n'auraient retenu de la pensée grecque que ce qui était compatible avec le Coran. Mais que faisaient d'Aristote les chrétiens du haut Moyen Age, avant l'arrivée des traductions tolédanes ou de celles de Michel Scot? Ils n'en retenaient majoritairement que ce qui était utile à la théologie trinitaire, à l'élaboration du dogme, à la controverse intra et inter-chrétienne: une petite partie de la logique. L'alliance de la raison grecque et du christianisme ne concernait qu'une partie limitée des savoirs grecs.

En définitive, qu'est-ceque l'Europe doit à l'islam?

Elle ne lui doit rien. Un héritage culturel ne réclame pas de don préalable, ni de testateur. La circulation des savoirs se fait par appropriation volontaire. Il y a quelquefois des échanges et des réciprocités. Plus souvent des porosités. Au minimum, des contacts, qui peuvent être conflictuels. La religion ne produit pas la science. Bien heureux quand elle ne l'empêche pas.

Les chrétiens se sont approprié certains savoirs arabes, grâce à des politiques de traduction, comme les musulmans l'avaient fait, entre autres pour les savoirs grecs, en Orient. Cela dit, il faut garder la mémoire de ce que l'on a acquis: où, quand, comment, par quels intermédiaires.

On ne peut donc pas parler des racines grecques de l'Europe chrétienne?

Le président Sarkozy le fait. On devrait plutôt s'intéresser de manière critique aux transferts culturels, une notion inventée au Moyen Age, avec la translatio studiorum érigeant le monde carolingien contre Byzance, puis le royaume de France contre l'Empire, et l'Université de Paris contre l'Anglais, en seuls héritiers légitimes d'Athènes et de Rome. Ces filiations revendiquées sont des mythes fondateurs, permettant, comme dans un roman familial, la construction d'une identité collective. Cela n'a rien à voir avec la circulation réelle des savoirs ou des textes. L'image des racines vient d'ailleurs. Par exemple des débats sur le Préambule de la défunte Constitution européenne et des «racines chrétiennes de l'Europe». C'est une image à usage polémique, qui va de pair avec la déploration par Benoît XVI dans le Discours de Ratisbonne de la «déshellénisation du christianisme» entamée par la Réforme.

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Message Publié : 05 Mai 2008 7:53 
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En Espagne, on rapproche le livre de Gouguenheim d'une récente publication ibérique: Inexistente Al-Andalus, De cómo los intelectuales reinventan el Islam (L'inexistant Al Andalous, où comment les intellectuels réinventent l'Islam) de Rosa María Rodríguez Magda, ouvrage qui se propose d'étudier comment et surtout pourquoi les intellectuels occidentaux contemporains "réinventent l'Islam", et de dénoncer notamment une entreprise de survalorisation du passé musulman (elle parle d'un "mythe" d'Al Andalous, présenté comme un lieu de coexistence pacifique et créatif entre les cultures) par des intellectuels occidentaux adeptes de l'auto-flagellation.

Image
De nombreuses recensions de l'ouvrage sont disponibles en espagnol sur le net, aucune en français à l'heure actuelle à ma connaissance.

Sur ce rapprochement, voire également cet article paru dans un organe de presse "libéral-conservateur" étasunien qui va dans le sens de Gouguenheim en en rajoutant une couche :

Citer :
El mito de la deuda de Occidente con el islam

Le Monde: “Contrariamente a lo que se repite en un ‘crescendo’ desde los años 60, la cultura europea, en su historia y en su desarrollo, no debería gran cosa al islam. En todo caso, nada esencial”. Le Figaro: “Felicitamos al Señor Gouguenheim por no haber temido recordarnos que hubo un crisol cristiano medieval, fruto de las herencias de Atenas y de Jerusalén”, mientras que “el islam apenas presentó su conocimiento a los occidentales”. Estos son algunos de los comentarios que ha merecido "Aristote au Mont Saint-Michel", el reciente libro de Sylvain Gouguenheim, profesor de historia medieval de la Escuela Normal Superior de Lyon. Ruptura de tópicos y lugares comunes, y valentía -también en sentido físico-, son las dos cualidades que la trompetería de la gran prensa francesa ha destacado de un ensayo que viene a coincidir en su salida con otro estudio en el mismo sentido publicado en España por Rosa María Rodríguez Magda (ND 1 y 2) “Inexistente Al-Andalus. De cómo los intelectuales reinventan el islam”.

Cómo estarán las cosas que, en caso insólito, en el mismo acto en el que un destacado jurado concedía a la autora el Premio Jovellanos de Ensayo, ese mismo jurado pedía disculpas a quien pudiera sentirse ofendido por el contenido del libro, mientras destacaba cómo, a pesar de haber sido concedido el galardón “por unanimidad”, ese hecho no implicaba que “se esté de acuerdo con el contenido del ensayo”.

Qué hay de pánico físico a ponerse en el disparadero de los sabios del martirio contemporáneo que exigen pleitesía a la luz del islam con cinturones explosivos, y qué hay de miedo intelectual a ser tachado de reaccionario e inculto por el ‘establishment’ de la ‘nomenklatura’ cultural occidental es algo que los timoratos y contradictorios miembros del jurado ovetense podrían o deberían aclarar. En todo caso, la percepción sobre la escasa, si no nula, aportación del islam a la cultura medieval europea era un gran lugar común que, a mediados del siglo XX, se convirtió en un asunto puramente ideológico en sentido contrario. Entre la liviana hojarasca del catecismo ‘progresista’, cuando no ‘revolucionario’, comenzó a tomar relevancia la moda de conceder un papel primero relevante y después imprescindible a una recuperación de la tradición greco-latina entre los sabios andalusíes que habría permitido salir a Europa de ‘la Era de las Tinieblas’ y lanzarla hacia el esplendor del Renacimiento.

La hiperinflación de la luminaria islámica

Decir lo contrario, era, simplemente, ser un ‘reaccionario’, cuando no un ‘fascista’, a pesar de que fuera precisamente un fascista en su más pura expresión -un falangista- como el español Ignacio Olagüe quien, en trabajo desacreditado por la historiografía universal hace décadas, pero constantemente reivindicado por la guardia mora conversa española, más defendió la idea de una península visigoda bárbara y de un pueblo hispano explotado que recibió a los musulmanes con los brazos abiertos para librarse del yugo germano. De esta forma, al no haberse producido 'técnicamente' una conquista musulmana, la Reconquista no fue más que una especie de guerra imperialista de agresión, es decir, un “genocidio”, según la machacona cantinela islámica e islamo-conversa del rechazo a la tradición occidental española, una cantinela que se extiende incluso a América, puesto que habrían sido los musulmanes los que habrían hecho posible el hallazgo europeo del nuevo continente (ND), si es que no fueron ellos mismos los que llegaron antes que Colón, como con evanescente y gaseosa pseudociencia, el tutti-frutti izquierdo-islamista de rencores históricos estrella una y otra vez contra la tradición judeocristiana occidental, con la (re)conversión musulmana española dándole el trono del mérito, no ya a los vikingos, sino incluso a los chinos con tal de negárselo al vasallo de Isabel la Católica.

En meses pasados, la teoría de que Occidente no existiría sin el islam se hizo verbo, carne y fotos en una exposición titulada “1001 inventos. Descubra la herencia musulmana de nuestro mundo”, ocasión de triunfalismos aparentes, pero, sobre todo, de explícitos resentimientos de los medios islámicos por el hecho de que “las contribuciones del islam a Occidente (sigan) sin ser reconocidas” (ND). Esa exposición se basó en una hiperinflación de “inventos” islámicos, como el del cordobés Abbas Ibn Firnas, quien en el siglo IX se habría convertido en “el primer musulmán, quizás la primera persona, en realizar un intento real de vuelo”, a pesar de que, con su traje de plumas y seda, terminara estrellado con la columna rota, en autonegación de la supuesta y crucial importancia del ‘vuelo’ para que hoy el mundo disponga de aviones que estrellar contra rascacielos. La obsesión islámica por tener algún sentido en el Occidente contemporáneo no sólo ha llevado a un permanente fuego graneado de paternidades reivindicadas, sino al intento de oficializar contribuciones mucho más actuales y accesibles que la de los oscuros sabios andalusíes, con el último conato en la fracasada entronización de Zidane como símbolo de la 'concordia' árabe y musulmana con Europa, que el jugador de fútbol se encargó de arruinar a cabezazos en su último partido (ND).

El terrorismo islámico, a la recuperación de la Al Ándalus renegada

De hecho, las graves mentes pensantes de la Unión Europea, siempre en la vanguardia de las trivialidades más en boga para justificar las rendiciones de su propio continente, recomendaron de forma oficial hace cuatro años que los manuales escolares concedieran un papel más preponderante al islam como forjador de la Europa contemporánea. Sectores izquierdistas, islamistas e islámicos en todo el mundo, con especial contumacia y acritud en Occidente, no dejan de exigir que Europa reconozca formal y hasta oficialmente (ND) la supuesta contribución musulmana a su 'renacer' medieval (ND), en una confusa mezcla de complejos de inferioridad mal asumidos y establecimientos de deudas históricas que no se dan por descontadas.

Según denuncia Rodríguez Magda en su ensayo -vergonzantemente premiado por el jurado del premio Jovellanos y por una editorial que resume de forma no menos azorada el contenido del estudio-, estas inquinas islámicas sobre la falta de reconocimiento occidental al islam están justificando no sólo la occidentalofobia de la quinta columna flageladora y autoflageladora en Occidente, sino el que grupos terroristas y filoterroristas musulmanes de todo pelaje reposten legitimidad a mansalva para ‘castigar’ no sólo a unos infieles que, en el caso español, además de renegados de la luz mahometana que un día les iluminó, son también unos desagradecidos, con unos niños árabes adoctrinados en el Oriente Medio más incendiario para "recuperar" Al Ándalus [Al-Fateh (ND), Hermanos Musulmanes (ND), Hamas (ND)].

Pero no. Según Gouguenheim, recogidas sus conclusiones también por la gran prensa internacional de referencia en inglés, ni el islam fue más permeable a la cultura griega de lo que lo son hoy los talibanes; ni las afamadas y recurrentes primeras traducciones de los maestros grecolatinos fueron realizadas por musulmanes, sino por arameos y por árabes cristianos; y ni tan siquiera el primer Aristóteles medieval fue recuperado en la protoEspaña musulmana, sino que, medio siglo antes, los monjes de Saint-Michel ya habían comenzado el trabajo. De ahí el título del libro, y de ahí también la enconada y virulenta reacción que ha suscitado entre la falange filoandalusí de guardia, que ha lanzado una no menor trompetería de escándalo al grito de ‘anatema’ y ‘herejía’.

El "revisionismo" de un aliado de la "islamovigilancia"

En el mismo Le Monde cuyas páginas habían dado triunfal cobijo a la revuelta contra la fabricación de la deuda histórica de Occidente con el islam, dos profesores de historia medieval especializados en la historia andalusí, Gabriel Martínez-Gros y Julien Loiseau, se erigían de forma harto agria en los defensores de los feraces huertos filosóficos y científicos de Al Ándalus como la base de un Occidente que no habría accedido al Renacimiento si alguien no los hubiera recolectado para sembrar el supuesto yermo europeo medieval. Para ello, en sutil ofensiva connotativa, los dos escandalizados profesores utilizaban en su refutación términos como “revisar” y “revisión”, en un intento de relacionar al trabajo con el malditismo del concepto de “revisionismo”, de graves asociaciones para la historia contemporánea occidental. A pesar de no entonar de forma explícita el socorrido mantra de la “islamofobia”, los dos expertos no dejaban de relacionar el trabajo de Gouguenheim con sitios en Internet de “islamovigilancia” que alertan “sin rodeos” sobre cómo “antes de que termine el siglo, los musulmanes serán mayoritarios” en Francia.

Arabistas como Serafín Fanjul también han adoptado en los últimos años un papel casi militante en el desmontaje de tópicos y lugares comunes en la construcción islamo-supremacista de la inferioridad de Occidente respecto al islam que, como en el caso del ensayo de Rodriguez Magda, no sólo son explotados por los líderes de la ofensiva islamo-islamista en Europa y los sometidos “dhimmis” que la secundan -en calificativo coránico del propio Fanjul-, sino por -literalmente- quienes se explotan a sí mismos y hacen explotar a otros, en el convencimiento de que la luz de Al Ándalus aún ilumina su legitimidad para recuperar el paraíso hispano-andalusí a golpe de metralla.

Javier Monjas

Source: http://diariodeamerica.com/front_nota_d ... ticia=3865

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L'affaire a évidemment aussi franchi le Rhin, notamment dans Die Welt qui y a consacré une page:

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Was Europa dem Islam verdankt – und was nicht

Sylvain Gouguenheim behauptet, dass sich die christliche Zivilisation des Mittelalters auch ohne arabische Hilfe aus der antiken Hochkultur entwickelt hätte. Er widerspricht Pulitzer-Preisträger David Levering Lewis, rückt Gegner in die geistige Nähe von "Himmlers Freundin" und argumentiert auch mit Klischees.

Das Resümee des Kritikers ließ ahnen, dass es noch Ärger geben wird: "Alles in allem und anders als man es uns seit den Sechzigerjahren erzählt, dürften Geschichte und Entwicklung der europäischen Kultur dem Islam nicht viel zu verdanken haben. Jedenfalls nichts Wesentliches." Derart triumphierend lobte ein Artikel des Philosophen Roger-Pol Droit in "Le Monde" das eben erschienene Werk des Mediävisten Sylvain Gouguenheim, "Aristoteles auf dem Mont Saint-Michel" über "Die griechischen Wurzeln des christlichen Europa".
Dem Historiker wurde dafür "Mut" bescheinigt, dass er gängige "Vorurteile" ausräume. Nun sind die aber eine Karikatur des aktuellen Forschungsstands - und der "Mut" Gouguenheims erscheint Fachkollegen als suspekte Provokation eines "Ideologen". Die herrschende Lehre fasst Gouguenheim in zwei Thesen zusammen: "Der Islam habe das Wesentliche des griechischen Wissens übernommen, dann an die Europäer weitergegeben, und sei damit Auslöser für den kulturellen und wissenschaftliche Aufbruch im Mittelalter gewesen." Und: "Europäisches Denken, europäische Kultur und Kunst seien zumindest teilweise von der islamischen Zivilisation der Abbassiden geschaffen worden." So würden, so Gouguenheim, "die griechischen Wurzeln und die christliche Identität der westlichen Welt" in Frage gestellt.

Philosophie, durch den Koran gefiltert

In Wahrheit sei es ganz anders gewesen. Einerseits unterschätze man "das ungebrochene Interesse am antiken Griechenland" schon in den ersten Jahrhunderten des lateinischen Mittelalters; man verschweige, dass Griechenland teilweise im byzantinischen Reich weiterlebte, dass Manuskripte und Gelehrte zwischen Byzanz und dem Okzident unterwegs waren; man unterschlage die mittelalterlichen Übersetzungen direkt aus dem Griechischen ins Lateinische- darunter das Werk von Jacques de Venise, dem, so Gouguenheim, in der Abtei auf dem Mont Saint-Michel tätigen ",missing link' in der Vermittlungsgeschichte der aristotelischen Philosophie von der griechischen in die lateinische Welt".

Andererseits hätten "die muslimischen Araber nie Griechisch gelernt", die Übersetzungen seien das Werk arabischer Christen und der Rezeption griechischen Wissens durch den Islam sei immer der Filter des Korans vorgeschaltet gewesen. So sei die Hellenisierung der arabischen Welt oberflächlich geblieben. Die Geschichte des christlichen Europas im Mittelalter wäre "identisch verlaufen", wenn es gar keine Verbindung mit der islamischen Welt gegeben hätte.

Mehr als ein halbes Hundert Fachleute - darunter der Bochumer Emeritus Kurt Flasch - unterzeichneten Protestnoten: Gouguenheims "Entdeckungen" seien längst bekannt, seine These stamme aus dem 19. Jahrhundert. Und kein ernsthafter Wissenschaftler habe je geglaubt, dass "Europa sein Wissen dem Islam verdankt".

Stichwortgeber islamophober Gruppen

Allerdings geht es bei dem Streit um mehr: Gouguenheim wird in die Nähe "neokonservativer, traditionalistischer, postfaschistischer" und "islamophober" Kreise gerückt. Denn Gouguenheim belässt es nicht bei einem vielleicht misslungenen, aber doch legitimen Revisionsversuch. Er macht sich auch Sätze zueigen wie: "Die Neugier auf das Andere ist eine typisch europäische Eigenschaft, die außerhalb Europas selten und im Islam die Ausnahme ist". Selbst seine Hochschulkollegen in Lyon sind beunruhigt über Werturteile und ideologische Stellungnahmen, die im Internet von "ausländerfeindlichen und islamophoben Gruppen" zitiert werden.
Teile des Buches waren Monate vor der Publikation auf rechtsextremen Internet-Seiten wie "Occidentalis" zu finden. "Ich habe seit fünf Jahren vielen Personen Auszüge gegeben. Ich weiß nicht, was der eine oder andere damit gemacht hat", rechtfertigt sich Gouguenheim. "Man unterstellt mir Absichten, die ich nicht habe."
In einem "Himmlers Freundin und 'Allahs Sonne'" überschriebenen Anhang verlegt Gouguenheim allerdings selbst die Diskussion auf das Feld der Ideologien. Als "Himmlers Freundin" bezeichnet Gouguenheim die 1999 verstorbene deutsche Islamwissenschaftlerin Sigrid Hunke, Verfasserin von "Allahs Sonne über dem Abendland" und noch zu ihrem achtzigsten Geburtstag als "vielleicht prominenteste inoffizielle Vermittlerin zwischen Morgenland und Abendland" gewürdigt. Tatsächlich scheint inzwischen festzustehen, dass Hunke Mitarbeiterin des SS-Vereins "Ahnenerbe" und dessen Zeitschrift "Germanien" war.

"Kampf der Kulturen" im Universitätssaal

Ihre "heftige Abneigung gegen Juden- und Christentum", so vermutet Gouguenheim sicher zu Recht, habe Hunke bewogen, den Islam zur Antithese zu stilisieren. Hunke sei bis heute bei "einer gewissen extremen Linken" beliebt - und die These von der "Überlegenheit der arabo-islamischen Zivilisation der Abbassiden über das christliche Europa des Mittelalters" habe sich bis in Europarats-Berichte durchgesetzt.
Der Exkurs mag Gouguenheim zur Diskreditierung seiner Gegner dienen. Tatsächlich ist er es aber, der eine Hierarchisierung der beiden mittelalterlichen Zivilisationen und ihre Unversöhnlichkeit suggeriert. So trägt Gouguenheim den "Kampf der Kulturen" in die Mediävistik.
Schlagworte
Sylvain Gouguenheim Aristoteles Islam Christentum Mittelalter Rechtsextremismus Himmler
Der New Yorker Historiker und Pulitzer-Preisträger David Levering Lewis hat mit dem nicht weniger provozierenden Buch "God's Crucible: Islam and the Making of Europe" kürzlich die gegensätzliche Position bezogen. Darin heißt es: "Wären die Europäer ein Teil des islamischen Weltreiches geworden, so hätte dies bedeutet, dass der wirtschaftliche, wissenschaftliche und kulturelle Stand, den sie im 13. Jahrhundert erreichten, mit an Sicherheit grenzender Wahrscheinlichkeit schon drei Jahrhunderte früher erreicht worden wäre."

Johannes Wetzel

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Message Publié : 05 Mai 2008 8:25 
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Une autre pétition, pas encore parue en presse à ce jour :

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Prendre de vieilles lunes pour des étoiles nouvelles,ou comment refaire aujourd’hui l’histoire des savoirs

En France et à l’étranger, bon nombre de lecteurs du Monde ont lu avec quelque étonnement, dans Le Monde des livres du 4 avril 2008, l’article intitulé « Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’islam ? », rendant compte de l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel : les racines grecques de l’Europe chrétienne (Seuil, L’Univers historique, 2008).

Il suffira, pour donner une idée de cet ouvrage, de mentionner qu’à en croire Le Monde son auteur, spécialiste des chevaliers teutoniques, pense réécrire l’histoire culturelle médiévale en s’appuyant sur la « découverte » de Jacques de Venise et de ses traductions d’Aristote. Celle-ci révolutionnerait non seulement notre connaissance de la réception de l’aristotélisme en Europe médiévale, mais jusqu’à notre compréhension générale de l’histoire des savoirs.

Rappelons tout d’abord que — depuis les travaux fondateurs de Haskins (1924), poursuivis par A. Birkenmajer (1932), L. Minio-Paluello, M. T. d’Alverny… — l’existence et le rôle des traductions d’Aristote (et pas seulement d’Aristote) faites directement sur le grec au XIIe siècle (et pas seulement par Jacques de Venise) sont bien connus ; L. Minio-Paluello, le premier, a attiré l’attention du monde savant sur l’importance du rôle de Jacques de Venise* (dont rien ne dit du reste qu’il ait jamais mis le pied au Mont-Saint-Michel). Les textes de ces traductions latines d’Aristote (y compris celles de Jacques de Venise) forment une part de l’imposant Aristoteles Latinus en cours d’édition à Louvain et dont les premiers tomes ont paru en 1957. Des textes peuvent cependant rester lettre morte, et nul n’ignore que la connaissance de la philosophie aristotélicienne a nécessité, pour les penseurs scolastiques, non seulement de disposer des écrits d’Aristote traduits en latin, mais également de clés pour les comprendre. Or ces clés, ce sont bel et bien les milliers de pages d’Averroès, d’Avicenne et d’Algazel traduites en latin qui les ont fournies. Le développement d’un aristotélisme de haut niveau dans l’Europe latine va de pair, au XIIIe siècle, avec la diffusion des commentaires d’Averroès à la Faculté des Arts de Paris. Quant à l’influence d’Averroès et d’Avicenne sur les systèmes de Saint Thomas d’Aquin et de Duns Scot, pour ne citer que deux des plus grands, elle n’est plus à démontrer.

En second lieu, réduire “l’archéologie du savoir” à la réception de l’aristotélisme témoigne d’une vision si limitée qu’elle en devient erronée. Quelle n’est donc pas notre surprise de voir l’article du Monde des Livres, prenant prétexte de cette « découverte » de Jacques de Venise par S. Gouguenheim, procéder à une mise en question radicale des travaux des cinquante dernières années en histoire des sciences et de la philosophie – sont citées, en compagnie de la philosophie, « médecine, mathématique, astronomie ». Il n’y aurait là que l’expression d’une « vulgate », qualifiée de « tissu d’erreurs, de vérités déformées, de données partielles ou partiales ». Le fruit de ces travaux, manifestement ignorés, serait le reflet de « préjugés de l’heure », de « convictions dominantes » et de « croyances » qu’il s’agirait de « rectifier » – étrange procédé que de mettre ainsi sur le même plan, faits, textes, croyances, opinions, préjugés !

Il n’est aucun philosophe ou historien des sciences sérieux pour affirmer que « l’Europe doit ses savoirs à l’islam » ; la science en tant que telle se développe selon ses voies propres et ne doit pas plus à l’islam qu’au christianisme, au judaïsme ou à toute autre religion. En revanche, l’idée que l’Europe ne doit rien au monde arabe (ou arabo-islamique, ou islamique, comme on voudra bien l’appeler) et que la science moderne est héritière directe et unique de la science et de la philosophie grecques, n’est pas nouvelle. Elle constitue même le lieu commun de la majorité des penseurs du XIXe siècle et du début du XXe siècle, tant philosophes qu’historiens des sciences, dont le compte rendu du Monde reprend tous les poncifs, faisant fi des progrès de la recherche.

Les modalités de la circulation des savoirs autour de la Méditerranée et la part qu’y ont prise les chrétiens (d’Orient ou d’Occident), les musulmans, les juifs, les zoroastriens, les sabéens…, en Sicile, en Italie du sud, en Andalousie, à Alep, au Caire, à Lunel, voire au Mont-Saint-Michel…, sont complexes et ne se laissent pas réduire à une opposition simpliste entre Islam et Chrétienté. Elles ont donné, et donnent encore, lieu à bon nombre d’études documentées qu’un professionnel du sujet ne peut ignorer.

Il est difficile de voir dans l'ouvrage de S. Gouguenheim, tel que Le Monde en rapporte les thèses de façon complaisante – lui assurant ainsi une diffusion inespérée –, autre chose que le propos d’un idéologue. C’est cependant moins dans le domaine de l’histoire de la philosophie ou des sciences, que sur la formation du grand public cultivé, que l’on en redoutera les effets. Nous sommes là bien loin de l’histoire des savoirs.

* On pourra en particulier se rapporter à :
L. Minio-Paluello, « Iacobus Veneticus grecus, Canonist and translator of Aristotle » , Traditio 8, 1952, p. 265-305,
L. Minio-Paluello, « Aristotele dal Mondo arabo a quello latino », Settimana di studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, XII, L'Occidente e l'Islam nell'alto Medioevo, Spoleto, 2-8 aprile 1964, Spoleto 1965, p. 603-637.

Signataires :
Philippe Abgrall
Chargé de recherche, Centre d’épistémologie et d’ergologie comparatives, CNRS UMR 6059
Hélène Bellosta
Directeur de recherche honoraire, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Hourya Benis Sinaceur
Directrice de recherche émérite, Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, CNRS-Université Paris I-École Normale Supérieure,
Membre du conseil d’administration du Collège international de philosophie,
Membre correspondant de l’Académie internationale d’histoire des sciences
Bernard Besnier
Maître de conférences de philosophie ancienne, École Normale Supérieure (Lyon), Département de lettres et sciences humaines
Thierry Bianquis
Professeur émérite d’histoire et civilisation islamiques, Université Louis Lumière Lyon II, CNRS UMR 5648 CIHAM.
Joël Biard
Professeur des universités, Université François Rabelais, Tours, directeur adjoint du Centre d’études supérieures de la Renaissance, CNRS GDR 2522
Michel Blay
Directeur de recherche, CNRS
Jean Celeyrette
Professeur émérite, Université de Lille III, UMR savoirs, textes, langage
Karine Chemla
Directrice de recherche, CNRS, Directrice du laboratoire REHSEIS (Recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques), CNRS-Université Paris Diderot
Pascal Crozet
Chargé de recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Michel Crubellier
Professeur de philosophie ancienne, Université Lille III
Catherine Dalimier,
Professeur de première supérieure, traductrice d’Aristote
Abdelali Elamrani Jamal
Directeur de recherche, CNRS, Centre Jean Pépin
Gad Freudenthal
Directeur de recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Jean-Claude Garcin
Professeur émérite d’histoire du monde musulman médiéval, Université Aix-Marseille I
Patrick Gautier-Dalché
Directeur de recherche, CNRS, Directeur d’étude EPHE
Ahmad Hasnaoui
Chargé de recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Maurice-Ruben Hayoun
Philosophe, écrivain
Roland Hissette
Chercheur, Thomas Institute, Cologne
Philippe Hoffmann
Directeur du Laboratoire d'études sur les monothéismes, CNRS UMR 8584,
Danielle Jacquart
Directeur d’études, École pratique des hautes études
Mehrnaz Katouzian-Safadi
Chargé de recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
George Labica
Tony Levy
Chargé de recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Dominique Mallet,
Professeur, Université Bordeaux III
Régis Morelon
Directeur de recherche émérite, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE, dominicain
Barbara Obrist
Chargé de recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Marco Panza
Directeur de recherche, laboratoire REHSEIS (Recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques), CNRS-Université Paris Diderot.
Michel Paty
Directeur de recherche émérite, CNRS
Pierre Pellegrin
Directeur de recherche, CNRS, Directeur du Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE
Emilio Platti
Professeur, Université de Leuven, dominicain
Marwan Rashed
Professeur d’Université, Département des sciences de l’Antiquité, École Normale Supérieure
Roshdi Rashed
Directeur de recherche émérite, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE, Professeur honoraire, Université de Tokyo
Gérard Simon
Professeur émérite, Université de Lille III, UMR savoirs, textes, langage
Ivahn Smadja,
Maître de conférences, Université paris VII
Pierre Thillet
Professeur émérite, Université Paris I Sorbonne
Gudrun Vuillemin-Diem
Editrice et membre du Comité éditorial de l’Aristoteles Latinus (Leuven).

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Message Publié : 05 Mai 2008 14:34 
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Le papier de soutien à Gouguenheim publié par Jean Sévilla dans le Figaro Magazine du week-end:

Citer :
L'Europe s'est nourrie de la Grèce
JEAN SÉVILLIA


L'historien Sylvain Gouguenheim montre que le Moyen Age n'a jamais été coupé de ses sources helléniques. Grâce aux traductions des lettrés occidentaux et des Arabes chrétiens.

Qui connaît Jacques de Venise ? Personne. En 1136, ce lettré fut envoyé en mission à Constantinople afin d'être le témoin d'un débat théologique opposant deux évêques. Originaire de la cité des Doges, il vivait ordinairement au Mont-Saint-Michel, où il travailla de 1127 à sa mort, survenue vers 1150. Selon Sylvain Gouguenheim, « l'homme mériterait de figurer en lettres capitales dans les manuels d'histoire culturelle ». De quoi lui sommes-nous redevables ? D'être le premier à avoir traduit Aristote du grec en latin, notamment les Analytiques, les traités De l'âme et De la mémoire, la Physique et la Métaphysique.

Le fruit de ce gigantesque labeur, ce sont des manuscrits qui sont conservés, de nos jours, à la bibliothèque municipale d'Avranches et qui furent copiés et diffusés, en leur temps, dans toute l'Europe : saint Thomas d'Aquin ou Albert le Grand utilisaient les traductions d'Aristote par Jacques de Venise. Ce dernier, en conséquence, si méconnu qu'il soit, apparaît comme le « chaînon manquant dans l'histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin ». Or ce passage a permis rien moins que le développement scientifique de l'Europe...

Professeur agrégé, Sylvain Gouguenheim enseigne l'histoire médiévale à l'Ecole normale supérieure de Lyon. Après avoir publié des études sur les peurs de l'an mil et sur les chevaliers teutoniques (voir ci-contre), il prépare un livre sur l'histoire des croisades. Dans un ouvrage qui fera date, Aristote au Mont-Saint-Michel, il explore aujourd'hui les « racines grecques de l'Europe chrétienne ». Sa thèse, c'est que l'Occident médiéval n'a jamais été coupé de ses sources helléniques, que ce soit à travers les liens entretenus entre le monde latin et Byzance, ou à travers l'oeuvre des traducteurs européens qui n'ont cessé de se confronter aux textes originaux.

Les gens du haut Moyen Age, souligne Gouguenheim, savent que c'est dans le monde byzantin que se trouve l'origine du christianisme. Ils n'ont pas non plus oublié la pensée antique : au IXe siècle, un texte carolingien affirme que « la gloire des Grecs est la meilleure ». Par ailleurs, des foyers de culture hellénique se sont maintenus en Sicile, en Italie du Sud ou en Catalogne. Entre les VIIe et Xe siècles, ils se sont renforcés de l'appoint de chrétiens fuyant les pays islamisés et qui, de l'Allemagne à l'Angleterre, ont introduit la culture grecque, sa langue, sa philosophie.

Dès le VIe siècle, en Sicile et en Italie, des manuscrits sont traduits du grec en latin. Vers 970, des textes d'Aristote circulent dans la France du Nord. Puis le mouvement ne fait que s'accroître, le XIIe siècle pouvant être considéré comme le grand siècle de la traduction. Le premier centre de traducteurs, peut-être le plus célèbre, est celui de Tolède : des textes, initialement traduits du grec en arabe, y sont retranscrits en latin. Le second centre est celui d'Antioche. A l'époque de la première croisade, des clercs venus de Pise ou de Sicile y traduisent du grec en latin des écrits scientifiques, notamment Euclide ou Ptolémée. Le troisième centre, oublié celui-là, est celui du Mont-Saint-Michel. Son activité est précoce, puisqu'elle se manifeste cinquante ans avant l'école de Tolède. Là, à la frontière de la Bretagne et de la Normandie, toute l'oeuvre d'Aristote est traduite du grec en latin au XIIe siècle. Et le Mont-Saint-Michel rayonne : les copies de ses manuscrits sont repérés dans toute l'Europe du Nord, d'Oxford aux monastères de Rhénanie.

Sylvain Gouguenheim montre aussi que les relations entre Byzance et les chrétientés d'Orient n'ont jamais été interrompues. Dans la région d'Edesse, pendant trois ou quatre siècles, des Arabes chrétiens ou des chrétiens arabisés parlant le syriaque, une variante de l'araméen, ont traduit des textes religieux, philosophiques ou scientifiques grecs. Hunayn ibn Ishaq (809-873) traduisit ainsi, de Galien à Platon, plus de 200 ouvrages. « Des chrétiens ont forgé, de A à Z, le vocabulaire scientifique arabe », assure Gouguenheim. C'est grâce à ces Arabes chrétiens, véritables passeurs, que les philosophes musulmans - Avicenne, al-Farabi ou Averroès - ont pu accéder à la culture grecque.

Les éléments réunis dans Aristote au Mont-Saint-Michel démentent le point de vue selon lequel le savoir antique, après une éclipse en Europe, aurait brillé dans le monde musulman, qui l'aurait retransmis à l'Occident : d'après l'auteur, « la thèse d'une chrétienté à la traîne d'un "Islam des Lumières" relève plus du parti pris idéologique que de l'analyse scientifique ». L'ouvrage relativise aussi ce que l'Islam doit à la culture grecque (il s'agit essentiellement de ce qui touche à la logique et au raisonnement scientifique, jamais à la politique et à la morale). A contrario, Gouguenheim rappelle que les Evangiles ou les épîtres de saint Paul ont été rédigés en grec, que les Pères de l'Eglise, aux IIe, IIIe ou IVe siècles, étaient imprégnés de pensée hellénique, et que la philosophie grecque, par la place accordée à la raison ou par la distinction opérée entre la lettre qui tue et l'esprit qui vivifie, a nourri en profondeur le christianisme.

Cette perspective historiographique a provoqué des remous dans un certain Landerneau universitaire. Sylvain Gouguenheim est pourtant un pur médiéviste, que n'anime aucune idéologie ou aucune volonté polémique. Récusant l'accusation d'islamophobie, il commente : « Evitons le regard ethnocentrique, l'Islam est une grande civilisation, mais elle ne nous ressemble pas. » Si ce chercheur devait présenter une revendication, ce serait que cesse le mépris du Moyen Age et que soient mises en valeur toutes les richesses d'une époque dont nous sommes les lointains héritiers.

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Message Publié : 06 Mai 2008 9:25 
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Grégoire de Tours
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Huyustus a écrit :
Je nuancerais quand même un peu en précisant que la contre-réforme a été une exception dans l'histoire de l'Eglise catholique. Comme Gouguenheim le rappelle dans son livre, le Moyen-âge ne voyait pas d'opposition entre la foi et la raison, au contraire, ce qui est une des explications à cette soif de textes grecs. Tout cela culminant entre autres avec St Thomas d'Aquin.


Ca n'a pas été du tout une exception. L'Eglise catholique médiévale est traversée de courants divers et fortement opposés. Gouguenheim s'est bien gardé de rappeler, par exemple, qu'en 1210, le synode provincial de Paris (l'assemblée de la hiérarchie ecclésiastique de la région) avait interdit de commenter les livres de philosophie naturelle d'Arsitote, interdiction renouvelée quelques années après et en vigueur dans la première moitié du XIIIe siècle. Un penseur comme Siger de Brabant, de la fin du XIIIe siècle, est obligé de justifier son étude des textes d'Aristote en séparant foi et raison et en revendiquant de se cantonner uniquement à l'étude de la pensée du philosophe sans jamais remettre en cause la vérité de la foi catholique, sans même mêler les deux (son cas est étudié par Libera, si mes souvenirs sont bons, dans penser au Moyen-Age). Le même Siger de Brabant est d'ailleurs condamné par la Sorbonne et obligé de fuir... apparemment auprès du pape !


Citer :
Qu'il y ait eu des crispations après la contre-réforme quand l'Eglise s'est aperçue que la raison était utilisée par certains pour nier l'existence de Dieu et/ou les enseignements bibliques, c'est certain. Mais ça n'a duré qu'un temps.

Des crispations il y en a toujours eu, étant donné la difficulté de lier la foi _ don inné de dieu qui fournit la Vérité _ et la raison, qui repose sur le raisonnement et le lien entre idées et observations empiriques et mène au doute !
L'acceptation que les deux puissent fonctionner ensemble n'a rien de naturel ! D'autant que les Pères de l'Eglise, Augustin en tête, condamnent sans appel l'usage de la philosophie _ notamment grecque _ en matière de foi (je vais retrouver le passage exact chez Augustin, qui appelle même à détruire toutes leurs oeuvres, parce que dans l'immédiat, je n'ai pas la référence en tête)

Huyustus a écrit :
Je ne crois pas donc qu'on puisse dire que ce "principe" ne concerne que l'époque récente des philosophes des lumières. Et c'est pour ça que je le juge quand même universel (en tant que critère pour "évaluer" le degré de civilisation d'une société). Et après tout, s'il y a des périodes de recul de la raison dans l'histoire, ce sont plutôt des contre-exemples qui confirment la règle :wink: .


Ce n'est pas seulement une question de période, mais aussi d'ère géographique et de civilisation. Les Chinois connaissent-ils la Raison au même sens que nous, par exemple ? Et en quoi cela peut-il préjuger du degré de civilisation d'une société, à moins que nous nous prenions comme référence de "civilisation absolue" ?

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Message Publié : 07 Mai 2008 11:12 
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L'Affaire prend une tournure vraiment étrange: l'ENS LSH (employeur de Gouguenheim, dont près de 200 membres ont à ce jour signé la pétition reproduite plus haut) a annoncé ce matin qu'elle allait nommer un comité d'experts indépendants (pour la plupart extérieurs à l'école) qui sera chargé d'étudier le livre et les pièces annexes, d'auditionner l'auteur, et de transmettre ses conclusions au conseil d'administration de l'école "qui évaluera les suites à donner" (sic).

Attendons de voir le travail et les conclusions dudit comité, mais à chaud, je trouve ça assez hallucinant tout de même. A supposer que Gouguenheim soit réellement islamophobe et nationaliste, ce n'est tout de même pas un crime. Affaire à suivre donc. Nul doute que cette mesure va susciter des réactions outrées des opposants à l' "historiquement correct" et qu'on va avoir droit à de belles empoignades par journaux interposés dans les jours à venir.

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