Fylgja a écrit :
Bosch est un peintre particulier. C'est le seul que je connaisse qui met des entonnoirs sur la tête des fous durant le Moyen Age.
Passionnant sujet...
Effectivement, la représentation de l’entonnoir est fréquente chez Bosch, mais est-ce que ce sont vraiment des fous qu’il coiffe ainsi ?
Vous voulez peut-être parler de L’excision de la pierre de folie, mais l’entonnoir n’y coiffe pas un fou mais un charlatan ; dans la morale qui est généralement associée à ce tableau, le fou est plutôt le patient ; il semble que chez Bosch, l’entonnoir symbolise plutôt la tromperie, la charlatanerie.
On le retrouve aussi dans Le concert dans l’oeuf, sur la tête du personnage à lunettes (lunettes aussi symbole de tromperie, voir Larry Silver,
Bosch, Citadelles et Mazenod 2006, p.318), tromperie qui apparaît d’ailleurs à deux reprises : le moine qui se fait dérober sa bourse, et la nature du chant, puisque contrairement à la première impression que peut avoir le spectateur, ce n’est pas un hymne religieux qu’entonnent ces personnages sous la direction de ce moine ou du personnage à lunettes, mais une chanson très profane qui a été identifiée.
J’en recense encore trois : sur le paysan à califourchon sur le tonneau dans l’Allégorie de la gloutonnerie, qui a peut-être inspiré Bruegel pour le Combat de Carnaval et Carême (j’étais d’ailleurs presque sûr de trouver aussi chez Bruegel des entonnoirs, mais à ma grande surprise, je n’en ai pas vu ; mais comme Bosch, ses oeuvres sont tellement riches en détail qu’il m’en a peut-être échappé) :
et deux fois dans le triptyque de La tentation de Saint-Antoine :
- l’oiseau-messager, sous le pont en bois en bas du volet gauche (tromperie encore : selon J.M. Massing,
The devils under the bridge in the Tribulations of St Anthony, 1994, les documents qu’il transporte et dont l’un est lu par le moine sont un faux témoignage contre le saint, une liste des péchés qu’il est supposé avoir commis, voir note 37 de l’ouvrage de L. Silver)
- et dans le panneau central, au pied de la colonne ruinée, un monstre-chat ( ?) derrière le moine à lunettes à groin de port qui lit un livre, groupe qui rappelle celui du Concert dans l’oeuf.
Mais par contre, aucun entonnoir là où l'on s'attendrait à le trouver, c'est à dire dans La nef des fous, du même Bosch...
Alors d’où vient cette association actuelle de l’entonnoir à la folie ? Peut-être y a t-il eu progressivement un glissement de l’interprétation « erreur, transgression » depuis le chapeau pointu porté souvent par les juifs très tôt au Moyen-âge et déjà représenté parfois de façon très proche d’un entonnoir pour coiffer les prophètes de l’Ancien Testament, par exemple dans ce psautier :
On voit d’ailleurs chez Bosch ce chapeau pas encore sous la forme propre de l’entonnoir, porté par le juif qui accompagne le musulman, devant le cheval blanc du pape derrière le Chariot de foin :
L’entonnoir n’aurait-il pas ensuite peu à peu servi à caractériser les personnages en marge, les élucubrations puis les fous ?
On le trouve un siècle plus tard ici dans le même contexte de fête transgressive, où le manant peut devenir roi d’un jour :
Das Bohnenfest (la fête du haricot, soit l’Epiphanie), Jan Steen, 1668, où, à l’extrême gauche du tableau, l’entonnoir coiffe un joueur de violon qui manie en fait son archet... sur un grill :
Je n’ai pas été plus près dans le temps, mais il serait intéressant de savoir si l’entonnoir a encore été représenté plus tard dans l’art, je pense notamment aux surréalistes, si proches de Bosch par bien des aspects, qui auraient pu contribuer à fixer le symbole.