Bien sûr que vous portez un jugement. Vous êtes en train d'opposer des propositions selon qu'elles sont
vraies (puisque validées selon une méthode scientifique) ou non-susceptibles de vérité ou de fausseté (croyances). C'est un jugement. Vous le dites vous-même : "
Je considère comme scientifique ce qui est démontrable etc." On pourrait vous objecter avec Karl Popper que le critère de vérification n'est pas un critère de scientificité des théories. En fait, on pourrait vous objecter que vous partez d'une définition de la science qui date du XIXe s., une définition obsolète.
Par contraste, je vous propose cette thèse : Tout est croyance. En effet, le savoir humain est aujourd'hui tellement vaste que même un scientifique chevronné dans un domaine X en est réduit à faire confiance à ce que disent d'autres scientifiques dès lors qu'il doit traiter du domaine Y. Il est forcé de les
croire. Vous-même, lorsque vous lisez un historien, que faites-vous si ce n'est croire ce qu'il écrit ? Et même, allons plus loin, à chaque fois que vous faites un pas, vous
croyez que le sol va rester stable sous vos pieds. Vous n'y pensez même pas, vous ne vous posez pas la question, vous faites confiance en vos sens, en ce que disent les scientifiques, en l'habitude, en un ordre immanent du monde, quoi d'autre ?
Ainsi, il vous semble aller de soi d'opposer croyance et théorie scientifique. Mais vous posez-vous la question : pourquoi ? Y aurait-il donc une différence de
nature entre ces deux types de proposition ? Croire en ce qui est écrit dans une revue avec comité de lecture est-il si différent par nature de croire en ce que dit ma concierge ? Du point de vue
cognitif, càd du point de vue des opérations de la pensée mises en jeu dans les deux cas, ce ne l'est pas tellement. Il s'agit toujours de
prendre pour vraie une proposition que je suis dans l'incapacité de vérifier par moi-même. La question est : Pourquoi est-ce que je prends pour vraie telle ou telle proposition ? A priori, la réponse est que j'ai confiance ou non en celui qui l'énonce. Vous, par exemple, faites manifestement plus confiance à un scientifique (n'importe lequel, d'ailleurs ?) qu'à votre concierge ? Qu'à un homme d'église ? Qu'à un politicien, peut-être ? Et à un économiste ? Et à un ami ? etc. De toutes façons, la question demeure : Pourquoi ? Pourquoi fait-on plus confiance aux uns qu'aux autres ?
Alors, pour être à peu près complet, il faut bien entendu prendre en compte cette autre thèse : Il y a manifestement des croyances qui sont mieux
fondées, ou plus
rationnelles, ou plus
raisonnables ou plus
justifiables, ou plus
légitimes, ou etc. que d'autres. C'est là une position qui est elle-même tout à fait défendable, et à laquelle j'adhère par exemple également. Mais quelque soit la théorie de la vérité à laquelle on se réfère alors, et au regard -justement !- de là où on en est des sciences cognitives, il apparait difficilement justifiable de continuer à opposer "science" et "croyance" comme vous le faites. Sans doute, il existe des différences entre les propositions, qui n'ont pas toutes le même statut cognitif. Mais ces différences sont des différences de degré et non de nature.
Ainsi, lorsqu'on tient aujourd'hui encore à
opposer science et croyance, on opère un jugement de valeur. En l'occurence, vos exemples me semblent assez clairs : D'un côté la science et les scientifiques, de l'autre les nazis et les intégristes.