Un excellent ouvrage sur le sujet, et tout récent : "Aux racines du mal, 1918 le déni de défaite" de Pierre Jardin.
Avant tout, l'auteur y expose la situation militaire réelle - pas celle de la propagande allemande ultérieure - c'est-à-dire que l'armée allemande est incapable de se rétablir sur une ligne solide et recule sans cesse, sous une pression que les Alliés ont choisi d'imprimer sur toute la longueur du front. Le but est d'empêcher les Allemands, où que ce soit, de s'enterrer de nouveau et de raidir leur défense.
Les unités allemandes sont squelettiques. Souvent, elles sont débordées par les chars qui avancent sous le couvert du brouillard naturel ou artificiel (ça fait très SGM, mais c'est bien en 1918) et se volatilisent. Depuis août, le recul est permanent et rapide. Début septembre, l'Empereur apprend de ses généraux que la victoire n'est plus envisageable. Ludendorff, selon les termes de ses contemporains, "perd les nerfs" et cherche des responsables de partout, en premier lieu la Bulgarie, qui vient de jeter l'éponge, transpercée par une offensive alliée. Les soldats allemands rapportent à l'arrière, ébranlé par les privations, les désastreuses nouvelles du front. Ainsi, selon P.Jardin, la "contamination défaitiste" ne va pas de l'arrière vers l'avant, mais de l'avant vers l'arrière, à partir de la situation réellement catastrophique au front.
L'armée allemande a perdu tout son potentiel offensif, évaporé dans les offensives du premier semestre comme de l'eau versée sur du métal brûlant. Le choix d'avoir segmenté ses troupes en troupes de choc bichonnées et troupes ordinaires quelque peu négligées lui retombe dessus : il ne reste que des unités mal équipées, mal alimentées. Frappés au ventre par les attaques alliées, les autres Empires centraux abandonnent la lutte. Le pays est étranglé par le blocus. L'armée allemande ne peut plus vaincre, elle le sait; mais elle est aussi vaincue, irrémédiablement vaincue.
Seule la propagande est invicible : comme les Alliés ne cherchent plus la mythique Percée au profit de la poussée continue, le mythe du "mur d'airain du front" persiste, alors que ce mur galope en direction des frontières du Reich.
Les troubles intérieurs découlent de la situation alimentaire déplorable, mais surtout de la prise de conscience de la défaite militaire. En Bavière, on envisage une sécession et une paix séparée !
Aussi, quand l'Allemagne demande l'armistice, et accepte en un tournemain des conditions qui l'empêchent de reprendre la lutte, ce n'est pas ce qu'on peut appeler une surprise, encore moins un mystère. Pendant quelques jours, voire quelques semaines, il est question en Allemagne de regarder la vérité en face, de chercher et punir les bellicistes, de reconnaître sa défaite et sa responsabilité.
Mais presque immédiatement, se produit sous l'impulsion de certains militaires un raidissement et un déchaînement de propagande sur le thème de l'armée invaincue et du coup de poignard dans le dos. On en veut pour preuve les unités qui rentrent au pays et défilent en bon ordre. On ferme les yeux très fort sur les nombreux vides dans la formation, on oubliera vite aussi que ces soldats sitôt rentrés se muaient en pillards pour manger un peu.
Le thème qui venait de naître était promis à un bel avenir.