Bonjour,
je reviens brièvement sur les messages précédents, pour donner mon point de vue : je suis évidemment d'accord avec Louis-Auguste et Keikoz pour estimer souhaitable de rester dans les limites du bon sens. Je développe un peu longuement mon propos, parce qu'à mon avis les questions soulevées sont importantes.
La question de la violence et des nombreux morts qui marquèrent la période révolutionnaire en France, mais aussi en Europe, demeure bien entendu une question fondamentale : elle a d’ailleurs été beaucoup traitée, et plutôt bien, depuis une vingtaine d’années ; la simple constatation de cette violence n’autorise pas pour autant à remplacer toute approche historique par une approche moralisante et faussement normative. Les historiens qui ont travaillé sur elle ont pour la plupart rappelé avec justesse qu’on ne peut, sous peine de graves erreurs de perspective, ni la globaliser, ni l’instrumentaliser en vue de disqualifier en bloc la Révolution. Sur ce point, je citerai un historien dont personne, j’espère, ne contestera qu’il est un des meilleurs spécialistes du XVIIIème siècle, sans être le moins du monde un thuriféraire de Robespierre
, Daniel Roche (dans les Annales, janvier-février 89).
« Au nom d’une condamnation de la violence et de ses enchaînements à court terme (la Terreur, le fanatisme jacobin, les massacres, la guillotine, le « génocide » vendéen) comme de ses conséquences supposées à plus long terme, nous sommes invités à accepter la logique implacable qui conduit de la Déclaration des droits de l’homme aux lois de Prairial, et au goulag, voire à l’ensemble des massacres collectifs de la seconde moitié du XXème siècle. Dans un débat qui est piégé d’avance puisqu’il nous attire tous dans une vision de la Révolution prise en bloc de sorte que, comme l’a écrit justement Mona Ozouf, il n’y a plus, au mépris de toute analyse, qu’à la prendre ou la rejeter en entier, il est cependant important d’intervenir pour deux raisons principales. D’abord comme citoyen et comme intellectuel car on peut rester fidèle à la Révolution –voire aux révolutions- sans admettre les massacres et l’éloge des massacreurs, et sans condamner tous ceux qui se sont efforcés par leur réflexion de nous aider à mieux comprendre les excès de la violence des foules et les mécanismes des enchaînements terroristes, qui correspondent à des traditions morales et politiques différentes des nôtres. Si la Révolution française n’est pas terminée, comme le prouvent les échanges polémiques dans la presse, on ne peut ne pas vivre avec, et on ne peut pas changer de passé comme on change de vêtement. »
Pour ne pas prolonger la citation, je ne donne pas la seconde raison invoquée par Roche, qui tient à la nécessaire préservation de la critique historique sur le phénomène, remède essentiel contre le risque de « dire n’importe quoi. »
Le cas du prétendu « génocide » en Vendée est, du moins à mon avis, une bonne illustration de ce dernier risque. Je rappelle que l’emploi du mot est indissociable des âpres débats qui entourèrent la question de la célébration du bicentenaire. Au départ pur argument polémique, il fut soutenu par un « coup universitaire» (échantillon de ce que Pierre Vidal-Naquet à appelé le « spectacle universitaire », exercice qui a peu à voir avec l'histoire...) : la thèse de Reynald Sécher, soutenue en 1985 (je crois, ou peut-être un peu plus tôt) et publiée aux PUF. On a vu depuis ce qu’a donné Sécher... Tout de suite, des mises en garde vinrent des historiens, comme Claude Langlois ou Daniel Roche, ou des spécialistes de science politique comme Bédarrida, qui soulignèrent l’abus manifeste qu’il y avait à faire usage sans précaution d’une notion aussi lourde de sens et aussi précise. La thèse de Sécher fut réfutée en détail, avec des arguments particulièrement clairs et pertinents, par celui qui est aujourd’hui, je pense, le meilleur historien des guerres de Vendée, Jean-Clément Martin.
Je ne conteste pas qu'on puisse encore discuter la question, bien sûr, mais à condition d'argumenter avec clarté et de ne pas se contenter de déclarations à l'emporte-pièce... Comme le dit très justement Keikoz, la notion de génocide est porteuse d'un sens trop lourd pour être appliquée n'importe comment.
J’ajouterai un mot en ce qui concerne Robespierre, cité dans le message de Noacyl, pour rappelée une évidence parfois trop vite oubliée
: si le personnage reste évidemment contesté, et c'est normal, à cause de son rôle dans la Terreur, la « légende noire » du tigre buveur de sang n’est plus aujourd’hui admise par les historiens, du moins en dehors du champ de la polémique où quelques-uns d’entre eux (je pense à des gens comme Chaunu ou Bluche) se sont regrettablement fourvoyés, abdiquant ainsi leur fonction même d’historiens. Je citerai simplement ces quelques mots, d’un bon sens incontournable, d’un historien par ailleurs très hostile à Robespierre, François Furet : « il est absurde de faire de cet homme de cabinet un dictateur, de ce démocrate un démagogue, de ce modéré un sanguinaire. » Je ne saurais mieux dire.
Cordialement,
CC