Quand j'ai commencé à lire des livres sérieux, à l'âge de 13/14 ans et dans les années soixante, c'était la grande époque du livre de poche. Et donc en plus d'aller explorer les bibliothèques municipales sur la base de références d'auteurs entendues à droite et à gauche ou trouvées dans des livres, je prenais un bus tous les samedis pour me rendre dans une grande librairie dans le centre de Bordeaux, où j'habitais alors, et j'achetais systématiquement et en bloc tous les nouveaux romans qui venaient de sortir cette semaine en poche. Presque tout mon argent de poche y passait; en fait, j'avais rebaptisé mon allocation parentale mensuelle ''mon argent de livres de poches''. J'ai ainsi lu beaucoup de livres qui avaient connu de gros tirages et dont les auteurs étaient très populaires à l'époque, mais que personne ne lit plus maintenant. Récemment, il m'est venu à l'idée de relire certains de ces livres, du moins ceux dont j'avais gardé un bon souvenir. J'ai ainsi replongé dans Curzio Malaparte--''La peau'', ''Kaputt'', et j'ai l'intention de lire ''Technique du coup d'état''. Et j'ai commandé et lu plusieurs ouvrages de Jean de la Varende (''Man d'Arc'', ''L'homme aux gants de cuir'', ''Le centaure de Dieu'', ''Les manants du roi''), dont je n'avais lu que ''Nez-de-Cuir'', avec beaucoup de plaisir je dois dire. A la relecture, Malaparte me déçoit so far, je n'aime pas son goût de l'horrible, son côté gore comme on dirait maintenant, son penchant au paradoxe facile, son manque de qualité littéraire (dans cette traduction); c'est un auteur que je trouve assez primaire et dont, à mes yeux, le principal intérêt est d'avoir participé ou été témoin d'événements historiques importants, que je le soupçonne néanmoins de relater avec une certaine mythomanie. Il pose à l'anticonformisme mais je le trouve en fait extraordinairement conformiste--voir ses réflexions si parfaitement conventionnelles sur les femmes, les homosexuels, les noirs, etc. , ceci même en se gardant de tout anachronisme. Par contre, Jean de la Varende m'a paru tenir le coup, bien qu'il soit un auteur inégal dont les intrigues romanesques soient souvent construites de façon assez brouillonne et partent un peu dans tous les sens. Ce que j'y ai apprécié, en plus de l'usage d'un français joliment suranné, émaillé de mots rares, c'est l'évocation d'une culture rurale complètement disparue mais dont il existait encore des bribes quand j'étais enfant. C'est je crois, avec Maupassant, l'auteur qui parle le mieux de la Normandie--le pays d'Ouche--et des paysans normands. Dans un de ces livres de la Varende en poche datant de 1966, j'ai trouve une liste de livres alors sortis en poche. Et je me suis demandé si on lisait encore ces auteurs, et si c'était le cas, si les lecteurs leur trouvaient encore un intérêt, qu'il soit littéraire, historique ou autre. Qui lit encore les auteurs bourgeois, et/ou cathos consacrés de l'époque, mais très oubliés maintenant tels que André Chamson, Alphonse de Chateaubriant (collaborateur notoire, créateur du journal ''La Gerbe'' et auteur de ''Monsieur des Lourdines''), Daniel-Rops (''Mort, où est ta victoire?''), Georges Duhamel (''Le notaire du Havre''), Philippe Hériat (''La famille Boussardel'')? Ou des écrivains loin d'être sans mérites et dont les noms éveillent encore un écho, tels que Montherlant, Giono, Mauriac ou Jules Romains mais dont je doute que beaucoup ouvrent encore les livres? Qui lit encore des oeuvres un peu suffocantes d'humanisme et de bons sentiments comme la série des ''Thibault'', de Roger Martin du Gard, ou les livres de Romain Rolland? Des romans palpitants hautement romanesques mais à la limite du roman de gare comme ceux de Pierre Benoit, Daphne du Maurier, Vicki Baum, ou Mazo de la Roche? Des romans anglais si typiquement anglais comme Thomas Hardy (''Tess d'Urberville'', ''Jude l'obscur'', un classique en Angleterre), Rosamond Lehman (''Poussière''), ou Mary Webb (''Sarn'')? Des grands romans sociaux américains comme Dos Pasos, (''Manhattan Transfer''), Edna Ferber (''Saratoga''), Sinclair Lewis (''Qu'est-ce-qui fait courir Babbitt'')? Quid de ceux des ''hussards'' et assimilés, comme Nimier, Blondin, Jacques Perret? Les romans et récits d'aventuriers comme Kessel, Monfreid? Les romans coloniaux de Jean Hougron, les romans de guerre, la première et la deuxième, comme Roland Dorgelès et son fameux ''Les croix de bois'', Erich-Maria Remarque (A l'Ouest rien de nouveau''), Robert Merle (''Week end à Zuydcote''), René Hardy (''Amère victoire'')? Les romans de marine, comme ceux de Roger Vercel (''Remorques''), t'Sertevens (''L'or du Cristobal''), Herman Wouk (''Ouragan sur le Caine''), Edouard Peisson (''Hans le Marin'')? Des livres de brillants intellectuels et visionnaires politiques comme Arthur Koestler et Aldous Huxley ? Et encore, par ordre alphabétique, Henri Béraud, Blasco Ibanez, Henri Bosco, Pierre Boulle, Elizabeth Bowen, Louis Bromfield, Pearl Buck, Gilbert Cesbron, A.J. Cronin, Jean Dutourd, John Galsworthy, Virghil Georgiu, Jean Guéhenno, Margaret Kennedy, John Knittel, Katherine Mansfield, Roger Peyrefitte, Cecil Saint-Laurent, Michel de Saint Pierre, Roger Vailland, Pierre Véry, Vercors, Richard Wright. J'en passe, et des moins bons... En ce qui me concerne, je vais plutôt "revisiter" les auteurs qui m'avaient fait simplement passer un bon moment, ou produit une forte impression alors; par exemple, et en vrac, Cendrars, Mac Orlan, Carco, Dabit, Monfreid, Daphne du Maurier, Ferdinand Fleuret, Pierre Véry, Saint-Laurent--ses romans historiques sont parmi les meilleurs--, Hugues Rebell, Jules Romains, Kathleen Winsor (''Ambre''), Huxley et Koestler, et tous les romans anglais. Par contre, je n'ai aucune envie de réouvrir les romans de Sartre--trop didactique et démonstratifs, pas un vrai romancier selon moi--mais j'avais assez aimé ''Les voyageurs de l'impériale'' et un ou deux autres romans d'Aragon. Si au hasard des brocantes, des librairies d'occasion ou des vieux fonds de bibliothèque, vous vous êtes enhardis à acheter et à lire un de ces bouquins poussièreux d'auteurs qui ont eu leur heure de gloire mais qui sont maintenant tombés dans les oubliettes, faites part de vos découvertes sur ce fil, et en particulier dites si vous considérez le livre en question comme irrémédiablement daté, s'il vaut encore le détour, à quelque titre que ce soit, ou si votre verdict est ''requiescat in pace''.
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