Pour expliquer le conflit entre Jean sans Peur et Louis d'Orléans, je vais m'appuyer sur le grand classique de l'histoire des 4 ducs Valois de Bourgogne : les Grands ducs de Bourgogne, par Joseph Calmette.
Philippe le Hardi, mort en 1404, père de Jean sans Peur, était bien Valois par son faste, son goût pour les beaux objets, son mécennat artistique. Malgré son mariage avec Marguerite de Maële, comtesse de Flandre, qui lui apporta la Franche-Comté et la Flandre, les finances ducales étaient souvent à sec. Philippe le Hardi dut souvent prendre de l'argent dans le Trésor royal, pour assurer son train de vie. A sa mort, Jean sans Peur dut rembourser les créanciers de son père, avec encore le Trésor royal.
Louis d'Orléans faisait la même chose pour son goût du faste. De plus, il était élégant, gai, beau physiquement, tandis que Jean était laid, parlait flamand, buvait de la bière avec le peuple, et inspirait crainte et respect avec sa laideur virile. Donc contraste de personnalités, d'autant que Jean sans Peur flattait la populace par des espoirs de baisses d'impôts. Et à cette époque, 1404, il faut se souvenir que Charles VI souffrait de crises de folie intermittente depuis 1392. Il n'en fallut pas plus, et les cousins Orléans et Bourgogne firent fi du gouvernement royal, les Marmousets de Charles V, que Charles VI avait intelligemment rappelés en 1390. Les oncles de Charles VI revinrent au pouvoir. Et ce fut à qui emprunterait le plus au Trésor, pour sa politique personnelle, et au diable l'intérêt général !
La querelle entre Jean et Louis reposait aussi sur les devises de l'un et de l'autre. Louis d'Orléans avait le bâton noueux et la devise "Je tiens". Jean sans Peur prit le rabot et la devise "Je l'ennuie". On tenta des simulacres de réconcilliation, comme par exemple de faire communier les deux princes à la même ostie ! Et Jean sans Peur rêvait de prendre le pouvoir comme régent, puisque son père avait été la principale figure du gouvernement des oncles de Charles VI, pendant sa minorité (1380-1390) ! Jean rêvait du pouvoir comme d'une capiteuse maîtresse. Et le drame, je le souligne, était que seul Charles VI devait gouverner, envers et contre toutes les marées ! Et sa folie l'en empéchait !
Après l'assassinat, Jean sans Peur vint à Paris, et utilisa Jean Petit pour se justifier. Il tenta de montrer qu'il avait eu raison de supprimer Louis. Mais Valentine Visconti, en digne Némésis, maria son fils Charles d'Orléans avec Bonne d'Armagnac,fille de Bernard VII. Bernard ramena ses cadets de Gascogne dévaster Paris, chasser les Bourguignons, et devint connétable par récompense royale ! Le discours de Jean Petit fut rejeté, les réformes fiscales lettre morte. De guerre lasse, il y eut des émeutes des corporations parisiennes, comme les Cabochiens, les Maillotins, bref la pagaille, la "chienlit" comme aurait dit Charles de Gaulle. Armagnacs et Bourguignons se firent une guerre à outrance, pendant que les Anglais remportaient la bataille d'Azincourt ! Le roi Henri V profita bien sûr de ces désordres, pour rappeler son leitmotive : être roi de France et d'Angleterre ! Après Azincourt, on connaît la suite : le traité de Troyes en 1420. Et toujours l'infortuné Charles VI vivant ses crises...
Je mesure, aujourd'hui encore, combien Louis d'Orléans et Jean sans Peur étaient inconscients et se comportaient en enfants gâtés. Françoise Autrand et Georges Bordonove démontrent combien le choix des Marmousets fut intelligent et bien pensé. Mais c'étaient des bourgeois travailleurs, et non des nobles : d'où la haine des princes, même frères de Charles V et oncles de Charles VI, envers eux. Louis et Jean furent incapables d'oublier leurs intérêts particuliers et de voir l'intérêt général. Jusqu'en 1392, début des crises de Charles VI, la France devait parfaire l'oeuvre de Charles V, reconstruire le pays reconquis par la sagacité du sage roi.
Christine de Pisan se lamente sur les malheurs de la France, lorsqu'elle écrit pendant la querelle des Armagnacs et des Bourguignons ; elle attend un signe de Dieu pour sauver la France ; et elle entrevoit Jeanne d'Arc un jour...
_________________ "L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)
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