Eusèbe (de Césarée, v. 265-v. 337) était un proche conseiller de l'empereur... Il lui dicte ses positions théologiques (
Laudes Constantini,
Credo de Nicée), lui rédige des panégyriques (
Triakonta,
Vie de Constantin) et, comme vous le soulignez, le baptise peut-être... Prendre ses propos pour argent comptant, c'est comme chercher à juger l'oeuvre de Nicolas Sarkozy aux seuls dires de Claude Guéant...
Et c'est par ailleurs accorder un crédit parfaitement anachronique à l'histoire telle qu'elle s'écrit dans l'Antiquité : sa nature et sa fonction est radicalement différente de la nôtre. Il ne s'agit pas de rapporter crûment et "objectivement" les faits et rien que les faits, mais de défendre une thèse, porter un jugement moral et transmettre à la postérité un avis parfaitement orienté, et revendiqué comme tel, sur les actions du passé (et en l'occurrence du présent, puisqu'Eusèbe est contemporain de l'époque constantinienne, et pas n'importe quel contemporain, mais un influent conseiller du pouvoir. Vous avez déjà vu un contemporain proche du pouvoir faire oeuvre d'"histoire présente" clairvoyante et de bonne foi sur l'époque de son propre gouvernement ? Dominique de Villepin ?).
A fortiori pour une oeuvre apologétique, qui vise à défendre l'Église, dans des temps où son établissement et sa pérennité sont tout sauf garantis.
Je ne rentre pas dans le millénarisme eusébien, l'évêque de Césarée développant l'idée que le temps a commencé de l'union du christianisme et de l'Empire, grâce à l'avènement de ce premier empereur chrétien, union qui renforcera les deux entités.
Bref, Eusèbe a suffisamment d'intérêts personnel (on ne crache pas dans la soupe, surtout si on ne veut pas être jeté aux lions) et idéologique (apologie de l'Église, épanouissement du christianisme grâce au soutien de l'empereur) en jeu pour ne pas méjuger son empereur.
Ne soyez pas manichéen, il y a, dans la vie et la personnalité de Constantin, à boire et à manger, comme les contributions de cette discussion le montrent. Il sera difficile de conclure par une seule phrase : "C'était un très grand homme et tous les critiques sont des jaloux aigris" ; ou bien "C'était un idiot fini qui n'a rien compris à ce qu'il faisait et, pour compenser, était très violent".
Je pense simplement que... : c'était une autre culture
(i.e., et je met cela entre parenthèses car je n'ai aucun argument sourcé à donner, c'est une impression : un homme qui tenait bien son rang militairement, qui avait sans doute un très grand sens politique et une ambition démesurée, mais intellectuellement peu porté sur les réflexions abstraites et les doctrines philosophiques (donc religieuses), cf. : "[Eusèbe se mit au service de Constantin]. Celui-ci, d’autre part, sut apprécier les services que lui rendraient l’habileté et le prestige du savant et de l’évêque, qui comprenait comme lui l’intérêt supérieur de l’Église et de l’État, qu’aucun des deux ne sacrifiait à l’intransigeance d’une théologie assez étrangère à leurs préoccupations." Jacques Moreau, « Eusèbe de Césarée de Palestine », dans DHGE, t. XV, col. 1443.
Ce qui va tout à fait dans le sens de ce que vous citez de Bertrand Lançon :
Alain.g a écrit :
"un homme d'État de grande envergure"
Alain.g a écrit :
[Bertrand Lançon] indique que beaucoup d'évêques le critiquaient mécontents d'être convoqués par un général, exilés et maltraités parce que cet empereur marquait sa colère des discussions stériles entre évêques. Ils étaient furieux aussi de le voir ménager les Ariens, d'où l'accusation de "ne pas comprendre la différence entre l'orthodoxie et l'arianisme".
Alain.g a écrit :
Pas étonnant, il voulait réintégrer Arius pour éviter un schisme.
Par sens politique donc. S'il avait été féru de théologie et intellectualisant forcené, il n'aurait pas pu proposer une telle concession à la rigueur intellectuelle.
Alain.g a écrit :
Quand le haut clergé a appris que Constantin s'était fait baptiser la veille de sa mort, selon l'usage de l'époque, mais par Eusèbe, évêque arien, il l' a accablé pour faire gommer ce détail et surtout a fait courir le bruit qu'il ne comprenait rien, qu'il était un soldat inculte, d'où les citations d'auteurs en ce sens.
Qui est ce "haut clergé" ? Si Eusèbe lui-même ne fait pas partie du haut clergé, alors il faut me le définir. Encore une fois, la réalité est plurielle : il n'y a pas un absolument bon empereur, et un groupe pour ou contre. Le haut clergé dont vous parlez est quelques évêques, de même que d'autres évêques (le haut clergé bis ?) disent exactement l'inverse.
Alain.g a écrit :
Il me semble que ces précisions données, on comprend mieux pourquoi ce grand empereur est autant critiqué et abaissé même.
Autant je comprends la démarche d'Huyustus, qui se demande avec un peu de provocation mais beaucoup de pertinence si Constantin le Grand a aussi été sot ou intelligent, autant Je ne comprends pas votre démarche... Il me semble qu'on peut parfaitement être un grand empereur et être critiqué... C'est quand même difficile, surtout parvenu à ce niveau là de pouvoir, de n'avoir fait que des "choses biens". Par ailleurs, comme le disait Artigas, il peut avoir eu un sens politique hors du commun et ne pas être un grand intellectuel. Vous voulez un jugement (donc une démarche non historique) en noir et blanc ?