Ces jardins existent-ils seulement, dans la version représentée ? Des jardins à Babylone, il y en a, et beaucoup (Quinte-Curce par exemple V.1: La ville même n'est pas entièrement occupée par les maisons; il n'y a que quatre-vingt-dix stades qui soient habités, et encore les bâtiments ne sont-ils pas tous contigus, sans doute parce qu'on a jugé plus sûr de les disperser; le reste du terrain est cultivé et ensemencé.), et comme toute ville impériale, elle possède de magnifiques jardins royaux, comme beaucoup d'autres décrits en Syrie, en Mésopotamie, en Perse, en Médie ou en Susiane. Alexandre se repose et meurt dans un tel jardin babylonien en 325 (Arrien, VII.25: Il se fait porter dans sa litière au bord du fleuve, le traverse, se rend dans un jardin délicieux, y prend le bain et s'y repose. […] On le transporte à l'extrémité des jardins dans le palais. Entouré de ses chefs, il les reconnut, mais ne put leur parler. Il eut une fièvre violente pendant toute la nuit. Le dixième, la fièvre redouble jour et nuit.). On a voulu y voir les fameux jardins suspendus, mais rien ne permet de l'affirmer me semble-t-il.
La première mention conservée de cette structure monumentale destinée à soutenir un jardin ne date que... du Ier av, avec Diodore déjà donné. Toutes les autres descriptions que j'ai retrouvées sont postérieures (Flavius, Strabon, Quinte-Curce sont les plus prolixe, les autres se contentent d'allusion; je n'ai pas encore consulté Philon de Byzance, le créateur de la liste définitive des Merveilles), et toutes répètent finalement la même chose. La source me semble unique, et c'est Bérose (début IIIe av.), un prêtre babylonien (un Chaldéen donc) hellénisé qui fit connaître aux Grecs les Antiquités et les Sciences babyloniennes. Avant ? Rien. Et pourtant, de nombreux voyageurs y ont séjournés, à commencer par Hérodote. A priori, rien non plus dans Ctésias, etc. Aussi, je commence à douter sérieusement de leur réalité, même si Quinte Curce les présente comme toujours debout (mais c'est le même qui nous assure qu'Alexandre a rencontré la reine des Amazones...) et Strabon semble lui aussi les considérer comme contemporains (mais il n'y a pas mis les pieds).
En tout cas, à la base des textes, je ne vois vraiment pas les arguments qui soutiennent leur emplacement à Ninive. Le fait que Sémiramis soit l'épouse de Ninos, fondateur mythique de Ninive, ne doit pas occulter qu'elle-même passait pour la fondatrice de Babylone. Et tous les textes sont unanimes pour la localisation babylonienne. Soit on accepte les témoignages de Strabon et Quinte Curce et il faut admettre que les Jardins existaient encore à l'époque romaine à Babylone, soit on en doute, et ils deviennent purement légendaires, une espèce de mélange entre deux traditions locales prestigieuses, la zigourrat et le jardin d'agrément. Pourquoi les transplanter à Ninive ?
Strabon XVI.1.5 : Babylone est située, elle aussi, dans une plaine. Ses remparts ont 365 stades de circuit, 32 pieds d'épaisseur et 50 coudées de hauteur dans l'intervalle des tours, qui elles-mêmes sont hautes de 60 coudées. Au haut de ce rempart on a ménagé un passage assez large pour que deux quadriges puissent s'y croiser. On comprend qu'un pareil ouvrage ait été rangé au nombre des sept merveilles du monde, et le Jardin suspendu pareillement. Ce jardin, immense carré de 4 plèthres de côté, se compose de plusieurs étages de terrasses supportées par des arcades dont les voûtes retombent sur des piliers de forme cubique. Ces piliers sont creux et remplis de terre, ce qui a permis d'y faire venir les plus grands arbres. Piliers, arcades et voûtes ont été construits rien qu'avec des briques cuites au feu et de l'asphalte. On arrive à la terrasse supérieure par les degrés d'un immense escalier, le long desquels ont été disposées des limaces ou vis hydrauliques, destinées à faire monter l'eau de l'Euphrate dans le jardin, et qui fonctionnent sans interruption par l'effort d'hommes commis à ce soin. L'Euphrate coupe en effet la ville par le milieu. Sa largeur est d'un stade et le jardin suspendu le borde.
Flavius Josèphe, Ant.Jud.X.11 : Après avoir fortifié puissamment la ville et décoré les portes d’une manière digne de leur sainteté, il édifia auprès du palais royal de son père un second palais contigu dont il serait peut-être superflu de décrire la hauteur et les autres magnificences ; qu’il suffise de dire que, grandiose et splendide à l’excès, il fut achevé en quinze jours. Dans ce palais il fit élever de hautes terrasses de pierres, leur donna l’aspect de véritables montagnes, puis les cultiva en y plantant des arbres de toute espèce et installa ce qu’on appelle le parc suspendu, parce que sa femme, élevée dans le pays mède, voulait retrouver les sites montagneux de sa patrie.
Quinte-Curce, V.1 : Au-dessus de la citadelle sont ces jardins suspendus, merveille devenue célèbre par les récits des Grecs; ils égalent en élévation le sommet des murailles, et doivent un grand charme à une foule d'arbres élevés et à leurs ombrages. Les piliers qui soutiennent tout l'ouvrage sont construits en pierre: au dessus de ces piliers est un lit de pierres carrées fait pour recevoir la terre que l'on y entasse à une grande profondeur, ainsi que l'eau dont elle est arrosée. Et telle est la force des arbres qui croissent sur ce sol créé par l'art, qu'ils ont à leur base jusqu'à huit coudées de circonférence, s'élancent à cinquante pieds de hauteur, et sont aussi riches en fruits que s'ils étaient nourris par leur terre maternelle. D'ordinaire le temps, dans son cours, détruit, en les minant sourdement, les travaux des hommes et jusqu'aux œuvres de la nature; ici, au contraire, cette construction gigantesque, pressée par les racines de tant d'arbres et surchargée du poids d'une si vaste forêt, dure sans avoir souffert aucun dommage: c'est que vingt larges murailles la soutiennent, séparées les unes des autres par un intervalle de onze pieds, de telle sorte que, dans le lointain, on dirait des bois qui couronnent la montagne où ils sont nés. La tradition rapporte qu'un roi de Syrie, qui régnait à Babylone, entreprit ce monument par tendresse pour son épouse, qui, sans cesse regrettant l'ombrage des bois et des forêts dans ce pays de plaines, obtint de lui d'imiter, par ce genre de travail, les agréments de la nature.
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