Le règne de Charles VII est plus glorieux qu'il ne laisse à penser aux yeux de la postérité. Celui qui fut surnommé "le bien servi et le bien aimé", "le victorieux" pour finir sa vie en étend salué de "roi des rois" se posa comme un chef d'état constitutionnel à la différence de Louis XI qui préfigurait le type du dictateur couronné.
La conclusion du livre de Philippe Erlanger, "Charles VII", me paraît illustrer admirablement le règne du "trés victorieux roy de France, Charles septiesme de ce nom" (légende du tableau de J. Fouquet). En voici les derniers passages :
"Charles connut cette chance suprême de disparaître à l'apogée de son succès. [...] Tandis qu'on vantait justement sa religion, sa clémence, sa bonté envers les humbles, toutes les trompettes de la renommée chantaient sa gloire. [...] Charles VII ne méritait pas semblable apothéose. Pas plus que le mépris dont il fut accablé par la suite. Tributaire d'atavismes redoutables, il naquit fragile de corps et d'esprit, mais doté de qualités profondes [...]. S'il avait rencontré une époque paisible, il aurait apparemment compté parmi ces monarques sans éclat qui maintiennent les traditions, préservent l'héritage et le transmettent, intact, à leur successeur. Au contraire, dès le premier âge, il servit de jouet à la fatalité. Une enfance dramatique, une adolescence peuplée de scènes horrifiantes, la malédiction maternelle, le doute de lui-même et de son droit, le fardeau d'une responsabilité démesurée le réduisirent à un état de somnambulisme moral où sa volonté devait tomber en esclavage. Son bonheur fut, alors, qu'aux mauvais génies s'opposa constamment un ange gardien. Son malheur que l'orgueil, la défiance, la jalousie, encore vivaces au fond de sa torpeur, le firent résister, dix années durant, au pouvoir de celle qui travaillait à le sauver. Jeanne d'Arc parut. Elle métamorphosa l'âme de la France sans éveiller celle du Roi. Lorsque Yolande s'empara du gouvernail, lorsque les ministres funestes eurent à jamais disparu, Charles, d'abord spectateur critique, s'éprit enfin de l'oeuvre réalisée en son nom. A défaut de s'inspirer il s'y associa, en devint le protecteur et, bientôt, l'ouvrier. Le climat nouveau qu'avait créé l'Aragonaise suscita, à la place du neurasthénique sans courage, un chevalier, un roi. [...] L'amour, sous les traits ravissants d'Agnès, lui apporta une alliance posthume. Charles, dépassant sa nature, grandi grâce à ses faiblesses mêmes, devint le victorieux. Puis il retomba. Trop tard, heureusement, pour contrarier le courant qui l'entraînait. Là encore sa faiblesse le servit en lui évitant de se dérober à l'influence de son conseil. [...] Tel fut ce roi. Quant à son règne, il tient, tout entier, du miracle. Miracle dû à une triple incarnation du génie national : génie dynastique et politique exprimé par Yolande, génie de l'âme populaire exalté par Jeanne d'Arc, génie du bon sens et de la fidélité représenté par les admirables serviteurs d'une grande cause qui, cinq siècles d'avance, nous ont appris à ne jamais douter d'une résurrection française."
D'une nation humiliée et déchirée par la guerre, il fit d'elle l'Etat le plus fort et le plus unifié d'Europe. Sans doute est-il devenu le fondateur d'une patrie (aidé par des femmes d'exception et des serviteurs dévoués).
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