Dominique Poulin a écrit :
Une tradition court sur lui : lorsque le dauphin Louis-Ferdinand mourut en 1765, on prétend souvent que ce dernier laissa une liste de conseillers dont pourrait se servir son successeur. En 1774, on dit toujours que Madame Adélaide exhiba cette fameuse liste et que Louis XVI s'en inspira. Est-ce une légende ou y aurait-il quelque fondement ?
André Picciola, dans son livre, réduit cette tradition à néant.
Je résume brièvement l'affaire. Dans l'après-midi du 12 mai 1774, au château de Choisy, Madame Adélaïde, aînée des filles survivantes de Louis XV, serait venue voir Louis XVI, lui aurait présenté la fameuse liste évoquée par Dominique et aurait fortement engagé son royal neveu à faire le choix de Maurepas, "ancien ministre disgracié qui a conservé, suivant ce que j'en apprends, son attachement aux vrais principes de la politique que Mme de Pompadour a méconnus et trahis."
La liste comptait une quinzaine de noms. Le nom de Maurepas aurait été le seul dont l'appréciation par feu dauphin Louis-Ferdinand ne comportât aucune réserve. Après lui se trouvait le duc d'Aiguillon et en troisième position, Machault.
Or, Louis XVI avait déjà envoyé une lettre à Machault pour l'appeler aux affaires !
Quelle déveine !
Comment faire ? Il faut rattrapper le page, parti pour les terres de Machault, à Arnouville, de l'autre côté de Paris, à l'opposé de Choisy !
Mais Dieu et tous ses saints sont avec Mme Adélaïde en cet après-midi du 12 mai.
Le page, depuis le matin, n'a toujours pas quitté Choisy car l'un de ses éperons était cassé et la recherche d'un nouvel éperon l'avait suffisamment occupé longtemps pour qu'on le trouvât encore au château !
On l'informe donc du changement de destinataire.
Pour André Picciola, tout cela est du roman. Pourquoi ?
1.
On sait que Mesdames avait veillé leur père jusqu'au dernier moment et qu'on craignait fort qu'elles ne fussent contaminées. A Choisy, elles furent d'ailleurs installées à l'écart de la résidence royale, dans un petit château, dans l'attente de leur inoculation.
Il est impossible que le Roi, qui ne pouvait recevoir les ministres de Louis XV, ait reçu sa tante. Je rappelle que Louis XVI, contrairement à Marie-Antoinette inoculée à Vienne, ne sera inoculé qu'en 1776.
De même, comment Madame Adélaïde n'aurait-elle pas craint d'exposer les jours de son neveu en venant chez lui ?
2.
Louis XVI aurait été obligé de rédiger 2 lettres : l'une pour prier Machault de ne pas se déranger, l'autre pour prier Maurepas de venir. Selon André Picciola, c'était beaucoup lui demander. Jamais le roi ne se serait résolu à envoyer une seconde lettre alors qu'on pensait le page déjà en route pour Arnouville. C'eut été insultant pour Machault.
3.
le 15 mai 1774, Mme du Deffand écrit à son ami Horace Walpole :
"Voici la grande nouvelle de toutes. Jeudi soir, M. de la Vrillière fut porter à M. de Maurepas cette lettre du roi. Le lendemain matin, M. de Maurepas arriva à Choisy, eut une audience de cinq quarts d'heure et fut très bien reçu par la reine."
C'est le témoignage le plus proche de l'événement que l'on ait. Pour une mission de cette importance, La Vrillière, proche parent de Maurepas était la personne idéale en effet. Invalidée, donc l'histoire du page et conséquemment...
4.
"On voit mal, selon André Picciola, pourquoi le roi aurait arrêté son choix sur Machault. Il ne le connaissait pas. Ou, s'il le connaissait c'était pour en avoir entendu parler comme d'un ennemi du clergé : réputation contestable sans doute mais qui ne pouvait que troubler les sentiments religieux du nouveau roi."
Enfin, André Picciola fait encore remarquer qu'aucun des contemporains proches de l'événement ne font mention d'un appel de Machault ou, s'ils l'évoquent, c'est pour le rejeter catégoriquement.
De plus, si le bruit de ce rappel avait couru à Choisy, la Reine en aurait été informée et Mercy, l'oeil et l'oreille de Vienne à la cour de France, en aurait immanquablement informé sa souveraine. Or, il n'en souffle mot dans ses
tibi soli à l'Augustissima.
Tout cela conduit André Picciola à penser que l'histoire du rappel de Machault, du page et de l'éperon a été forgée après coup.
Il doute même, d'ailleurs, de l'existence de la liste établie par le Dauphin qui ne nous est connue que par Soulavie, témoin peu fiable et s'étonne que l'existence d'une telle liste, restée à Versailles pendant 9 ans, ait si peu fait parler et ait pu demeurer ignorée...pour resurgir tel un deux ex machina, exhibée par Mme Adélaïde...
A vous de vous faire votre opinion.