Inscription : 13 Mars 2006 10:38 Message(s) : 2476 Localisation : Lorraine
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Savinien a écrit : Je partais du prinçipe que seul un tourisme de masse peut créer un préjugé car je ne vois pas trop bien comment des personnes isolées pourraient créer ces mêmes préjugés. Cela dit, je n'affirme rien Après bon, il y a le "tourisme" militaire aussi. Un préjugé étant par définition le résultat d’une généralisation hâtive, il me semble au contraire que la rencontre d’un seul étranger peut suffire à le créer, tandis que la multiplicité des expériences devrait en prouver la fausseté. Mais bon, puisque je donnais l’exemple de Stendhal, voici quelques citations de son journal de voyage en Italie, précisément à Milan entre septembre et novembre 1816 ; c'est le début de son voyage, je n’ai pas été plus loin, mais il y en a tellement d’autres, surtout dans les Promenades dans Rome, quand il relate les discussions de la petite société cosmopolite dans laquelle il évolue… le touriste Stendhal ne se prive d’ailleurs pas, quasiment à chaque page, de juger lui-même les Italiens et leurs mœurs. Bon, bien sûr, c’est Stendhal, pas le péquin moyen, aussi ce sont des préjugés « de luxe » qu’il évoque, pas ceux qui font les délices du … café du commerce. D’abord, l’avis d’un Français à l’étranger sur un autre Français à l’étranger :"Avec quelle amertume je me suis repenti d'avoir adressé la parole à M. Mal***. J'avouerai, dût l'honneur national me répudier, qu'un Français, en Italie, trouve le secret d'anéantir mon bonheur en un instant. Je suis dans le ciel, savourant avec délices les illusions les plus douces et les plus folles ; il me tire par la manche pour me faire apercevoir qu'il tombe une pluie froide, qu'il est minuit passé, que nous marchons dans une rue privée de réverbères, et que nous courons le risque de nous égarer, de ne plus retrouver notre auberge, et peut-être d'être volés. Voilà ce qui m'est arrivé ce soir, l'abord du compatriote est mortel pour moi. Comment expliquer cet effet nerveux et cet agréable pouvoir de tuer le plaisir des beaux-arts que possède l'amabilité française ? Est-elle jalouse d'un plaisir qu'elle est impuissante à partager ? Je crois plutôt qu'elle le trouve d'une affectation ridicule".Puis il rencontre dans une soirée le général autrichien Bubna, qui lui livre son avis sur les femmes :"Le général Bubna, qui a été en France, et qui joue ici le rôle d'esprit léger et à bons mots, disait ce soir : "Les femmes françaises se regardent entre elles, les Italiennes regardent les hommes".Tourisme "militaire", disiez-vous ? Portraits comparés de soldats français, allemands et autrichiens :"Ce soir l'on disait chez madame N***: nous ne pouvons pas nous plaindre de l'insolence des Autrichiens qui campent au milieu de nous. On dirait une armée de capucins; d'ailleurs le maréchal Bellegarde est un homme fort raisonnable. " Et les Français, ai-je dit, vous savez que vous pouvez me répondre librement vengo adesso di Cosmopoli." Un officier français, commandant de place, répond un de mes amis, se faisait donner 300 francs par mois, mais il en mangeait 400 à l'Osteria, gaiement avec les amis qu'il s'était faits dans sa place. L'officier allemand serre dans trois bourses de cuir, placées l'une dans l'autre, les 42 francs destinés à sa chétive dépense pendant le mois; rien que de le rencontrer dans la rue me fait bâiller. Quant à l'insolence du soldat français, elle était superlative".Lorsqu’il se rappelle sa conversation avec l’historien suisse Jean de Müller, qu’il avait rencontré à Cassel en 1808 :"Je comprends maintenant ce que Jean de Müller nous disait à Cassel, que le Français est le peuple le moins dramatique de l'univers; il ne peut comprendre qu'une passion, la sienne; en second lieu, il a si bien mêlé cette passion à toutes les actions nécessaires de la vie de l'animal nommé homme, la mort, le penchant des sexes, etc., que lorsqu'on lui montre ces actions nécessaires chez les autres peuples, il ne peut les reconnaitre. Jean de Muller concluait de là que Voltaire devait être le plus grand tragique des Français précisément parce qu’il est le plus ridicule aux yeux des étrangers. Pendant huit ans, cette idée a été un paradoxe pour moi, et je l'aurais oubliée sans la grande réputation de l'auteur. L’Allemand, au lieu de rapporter tout à soi, se rapporte tout aux autres. En lisant une histoire d’Assyrie, il est Assyrien ; il est Espagnol ou Mexicain en lisant les aventures de Cortès. Quand il se met à réfléchir, tout le monde a raison à ses yeux; c'est pour cela qu'il rêve vingt ans de suite et souvent ne conclue pas. Le Français est plus expéditif, il juge un peuple et toute la masse de ses habitudes physiques et morales en une minute. Cela est-il conforme à l'usage ? Non ; donc cela est exécrable, et il passe à autre chose".
_________________ Tous les désespoirs sont permis
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