pierma a écrit :
Quand je dis "leur camp était devenu fou", j'entends par là que leur camp (leur pays, leur parti, leur gouvernement...) avait fini par devenir nuisible ou criminel.
[...]
Il me semble que le simple bon sens suffit à repérer les cas les plus évidents de systèmes politiques qui ont dérapé vers l'oppression criminelle ou le crime.
Ici, vous risquez fort de tomber dans le jugement a posteriori. Tous les grands évènements ont eu leurs côtés sanglants : l'Histoire est rarement morale. Ils ont toujours été justifiés par les impératifs d'urgence et de fermeté qui l'emportaient sur tout. On trouve dans
Le Zéro et l'infini, d'Arthur Kœstler - consacré au régime soviétique - une citation d'un religieux :
Lorsque son existence est menacée, l'Église est dégagée des commandements élémentaires de la morale et un des personnages, officier chargé de l'interrogatoire des prisonniers politiques, a cette parole :
Ceux qui promettent la paix et l'amour, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, passent sous silence le fait que l'Histoire n'est rien d'autres qu'une suite continue de circonstances exceptionnelles ! (je cite de mémoire).
D'autre part, si vous partez du principe qu'un prince est devenu fou lorsqu'il est devenu nuisible, ne vous focalisez-vous pas sur les vaincus de l'histoire ? Si Napoléon avait gagné à Waterloo, quel souvenir auraient laissés ceux qui l'ont trahis ?
Et quand il devient évident que le dirigeant mène le pays à la ruine, devient-on "traître par devoir" ou bien "traître pour préserver ses intérêts bien compris" ?
Plus compliqué : le cas de la Révolution, et par exemple de La Fayette. Où sont les traîtres ? Les Nobles qui ont combattu du côté des révolutionnaires car la Révolution était dans "le sens de l'histoire" ? Ceux qui ont combattu car elle représentait une catastrophe pour la France (voir
Livre Noir de la Révolution Française ) ? Ces derniers étaient-ils dans le camp des vainqueurs finaux, car la Restauration arriva finalement, ou des vaincus car en 1873, le Comte de Chambord ne put restaurer la monarchie ?
pierma a écrit :
Techniquement, le régime de Vichy a pactisé avec un pays avec lequel la France était encore en guerre. (la paix n'a jamais été signée, il n'y a eu que l'armistice)
C'est un peu juridique comme raisonnement, non ?
Le régime de Vichy était le seul légitime a signer ou non la paix. Du reste, l'armistice suffisait à cesser les hostilités, et ses clauses, notamment la zone occupée, impliquaient des tractations sans fin entre vainqueur et vaincu. Ce dernier, dans le but qu'il s'était donné de protéger les Français, allait être amené à collaborer.
Et si après Mers-El-Kebir, la France avait déclaré la guerre à l'Angleterre ? Où auraient été les traîtres ? D'ailleurs, pour ce fait d'arme, Churchill mérite aussi de faire partie des traîtres par devoir - ou plutôt par stratégie. Ceci dit, je suis persuadé qu'il avait raison.
Citer :
Pas forcément après l'avoir servi. Hans et Sophie Scholl n'ont jamais servi le régime nazi. Ils se sont placés en opposants, au risque d'être considérés comme traîtres à l'Allemagne.
Ceux qui n'ont pas servi un prince ne peuvent être qualifié de traîtres.
Citer :
Et puis il me semble que la notion de trahison a un peu évolué au cours des siècles : au Moyen-Age, on pratiquait volontiers une loyauté variable en fonction des conflits de suzeraineté, ou de la personnalité même du souverain.
La période féodale est effectivement marquée par un enchevêtrement de loyautés qui nous déroute. La notion de royauté est fluctuante, et celle de nation inexistante.
Rappelons que les premiers rois d'Angleterre issus de France, les Plantagenets, se faisaient enterrer sur leurs terres d'Anjou, car avant d'être rois d'Angleterre, ils étaient seigneurs angevins. On peut voir le gisant de Richard Cœur de Lion à l'Abbaye de Fontevraud.
Citer :
Il me semble qu'on ne peut vraiment parler de "traîtres par devoir" qu'avec l'apparition des Etats modernes qui se veulent (ou se prétendent) au service du peuple et représentant le peuple. Disons à partir de 1789, pour simplifier.
Je me demande si vous ne basez pas votre raisonnement sur une conception trop restrictive du devoir. En quoi trahir ses devoirs envers la nation est-il plus haïssable que de trahir ses devoirs envers son seigneur ou sa religion ?
Voici quelques autres personnalités qui entrent dans la catégorie de traîtres par devoir :
- Saladin, qui trahit ses bienfaiteurs, les zengides, et le dernier sultan fatimide après être entré à son service, pour unifier le Moyen-Orient et reconquérir Jérusalem
- Frédéric II Hohenstauffen, excommunié, donc déclaré traître à l'Église, mais qui n'en reconquit pas moins Jérusalem.
- Son homologue musulman, Al Kamil, qui lui redonna pacifiquement Jérusalem, trahissant ainsi ses devoirs envers l'Islam.
- Baybar l'Arbalétrier, qui se débarrassa des derniers Ayyoubides dont il était esclave pour fonder l'empire Mamelouk
En gros, dans les périodes agitées, tout individu plus talentueux que son chef est fondé à remplacer celui-ci pour faire triompher sa cause. Je vous le dit : vous allez avoir du monde !