Genava55 a écrit :
Je voyais dans les Asthetairoi, une unité expérimentée, qui aurait agit de manière honorable dans une bataille ou qui était formé par les plus âgés des Pezhetairoi. […] Peut-être que les Asthetairoi avaient une fonction différente en dehors de la guerre, comme avoir la garde de la ville, le devoir de patrouilles autour du palais mais là je ne sais pas.
Assurément : non. Nous connaissons bien la
taxis de Coenos, que nous pouvons suivre à la trace tout au long de l’épopée. Sa seule particularité est d’être recrutée en Elimiotide, comme d’autres proviennent d’Orestide, etc. Elle ne bénéficie d’aucun emploi particulier dans la tactique (par exemple, d’autres taxis mènent des assauts, elle n'en ) ni dans la ligne de bataille, comprise dans la phalange, en général à l’aile gauche : à Issos et Gaugamelès, elle flanque directement les hypaspistes, et est épaulée par Perdiccas, alors qu’au Granique, les taxis de Perdiccas et de Coenos sont inversées. Le rang est honorable (3e place la plus prestigieuse, détrôné systématiquement par Cratère toujours placé à l’extrémité droite), en concurrence avec Perdiccas. Cela ne tient pas à une qualité particulière des troupes, mais au prestige du chef, reflet de la faveur royale et de la confiance qui lui est conféré. Par la suite, la contribution active de Coenos à l’élimination de son beau-père Parménion sera récompensée, et Coenos est promu stratège, et par conséquent son régiment, sera souvent détaché avec d’autres corps d’armée réduits pour mener ses propres opérations, indépendamment d’Alexandre. Mais là non plus, rien n’indique une quelconque spécialisation.
Il ne faut pas trop fantasmer sur ce terme d’
Asthetairoi : la seule et unique mention est celle d’Arrien que j’ai cité, et il n’y a pas grand chose à en tirer. Je suis à peu près convaincu qu’il s’agit d’une erreur de copiste…
Genava55 a écrit :
Après, le problème réside dans le temporel. Les Argyraspides originels se font disperser par Antigone dans plusieurs opérations militaires où ils sont massacrés car ils étaient trop insoumis et trop enclin à la mutinerie. Mais à la fin du IIIème siècle, ils sont de nouveau mentionnés, peut-être qu'à ce moment là ils étaient devenus un corps de phalangites et non d'hypaspistes. Antigone a peut-être été la cause de ce changement, c'est sous son règne que les Chalcaspides apparaissent il me semble et que les peltastes deviennent plus nombreux dans l'Agèma.
Il n’y pas vraiment de disparition ; notre problème provient du manque de source : entre la fin du livre XX de Diodore (en 302) et le début du récit de Polybe (229 pour les affaires macédoniennes), nous ne disposons d’aucun récit exhaustif et détaillé, uniquement des fragments, des allusions, des passages.
Que les Argyraspides soient confondus avec les Hypaspistes d’Alexandre, cela ne fait aucun doute grâce aux anachronismes d’Arrien et de Quinte-Curce qui nomment ainsi les unités placés sous le commandement de Nicanor, donc les Hypaspistes ; de plus les effectifs concordent.
Maintenant, pour le cas des Argyraspides, il faut faire faire la différence entre les Argyraspides d’Alexandre et les Argyraspides séleucides. La Macédoine proprement dite n’a connue qu’une seule génération d’Argyraspides, celle d’Alexandre. Lorsqu’ils sont placés en « pré-retraite », cantonnés dorénavant à la garde d’une partie du trésor royal déplacé en Cilicie, ce sont 3000 vétérans âgés de plus de 60 ans, certains mêmes plus de 70 ans. Leurs successeurs au rôle prestigieux de garde royale reprennent le nom d’Hypaspistes, tandis que ces vétérans conservent celui d’Argyraspides, qui est un marque d’honneur non destinée à se transmettre. C’est ainsi que lorsqu’ils entrent à nouveau en campagne au service d'Eumène en 317-316, nous les voyons combattre aux côtés de 3000 (nouveaux) Hypaspistes. Après la défaite d’Eumène, Antiochos va s’arranger pour les disperser s’en débarrasser discrètement, du moins selon les dires de Hiéronymos de Cardia, compatriote d’Eumène et par conséquent hostile à la fois à Antipatros et aux Argyraspides qui livrèrent son héros à l’ennemi… A leur âge, ils ne représentaient plus vraiment une menace une fois dispersé et privés de leurs chefs ambitieux, et devaient aspirer au repos…
Les Séleucides reprirent l’appellation, mais avec un autre sens (j’avais bien préciser au début que je me concentrait sur le cas macédonien, pas séleucide ou lagide), largement étendu puisqu’à Raphia (217) les Argyraspides alignent près de 10 000 hommes. Apparemment, le terme s’est étendu à tous les Macédoniens, soldats professionnels ou semi professionnels, les
epilectoi, descendants des vétérans installés dans l’empire, par opposition aux autres phalangites, « armés à la Macédonienne », mais de nationalités diverses (20 000 à Raphia). Ils n’ont plus aucun rapport avec les Hypaspistes, nommés dorénavant Peltastes y compris dans les armées séleucides : ces derniers combattent à leur place, à l’extrémité de l’aile gauche, en compagnie de l’Agêma.
Du moins, c’est ainsi que je dépatouille le schmiblick.
Genava55 a écrit :
A propos des Hypaspistes, il est tentant de voir une unité armée différemment car la mobilité montre le besoin d'une lance plus courte, en effet la sarisse n'est utile qu'en formation compacte. J'ai lu aussi qu'ils avaient des boucliers plus large que ceux des phalangites. […] Mais là où ton raisonnement me laisse à penser que tu as raison, c'est que les Argyraspides qui étaient en somme des Hypaspistes aux boucliers d'argent, aient une dénomination aussi proche des Chalcaspides qui étaient phalangites et les phalangites utilisaient aussi à moindre mesure la doriata (lance courte) certainement pour mieux lutter au corps-à-corps .
Cette histoire d’armement est un faux problème.
Tout d’abord, il est indéniable que les Hypaspistes utilisent la plupart du temps la sarisse et combattent en formations phalangites classiques, en ordre profond. L’exemple le plus flagrant est celui des Argyraspides lors de la campagne de 317-316, où leurs combats sont détaillés, puisqu’ils sont alors les héros aux yeux du narrateur, alors que sous Alexandre, les mentions sont plus sporadiques. Mais les exemples abondent : ainsi, Horratas, le soudard macédonien qui combat en duel l’athlète Dioxippe (Quinte Curce IX.7.16-22) est vraisemblablement un hypaspiste, et il combat à la sarisse. Lorsqu’Alexandre assassine Cleitos sur le coup de la colère, il l’embroche avec la sarisse arrachée à un garde ; or la garde du roi est la principale tâche dévolue aux hypaspistes. Lors de son expédition contre les Gètes en 335, les quelques fantassins qui l’accompagnent sous le commandement de Nicanor, chef des Hypaspistes, couchent les blés à l’aide leurs sarisses (afin de tromper l’ennemi sur leur nombre réel, occupant et détruisant ainsi une bien plus vaste surface). Dans toutes les batailles, ils combattent aux côtés du reste de l’infanterie lourde, exactement de la même manière qu’eux, et sont toujours catalogués au sein de la Phalange ; ils jouent le rôle du Bataillon Sacré et de la Phalange thébaine sur 50 rangs tel qu’il fut défini par Epaminondas, le mentor de Philippe, selon le principe de l’ordre oblique : une aile surpuissante qui emporte localement la décision. Rien à voir avec les peltastes des armées grecques classiques ! Les tactiques employées de leur côté sont celles décrites par les traités de tactiques, ces exercices imaginés par Philippe et vigoureusement pratiqués par Alexandre : à Chéronée, refus du front avec retraite en ordre puis contre-attaque violente sur l’ennemi poursuivant en désordre car moins discipliné. A Sellasia en 222, les Peltastes de Philippe affrontent seuls les Lacédémoniens de Cléomène armés de sarisses. Le combat se fait front contre front, et les peltastes combattent sur 32 rangs et finissent par l'emporter grâce "au poid de leur formation". Inimaginable avec des lances courtes ! Etc.
Ensuite, ce soit-disant bouclier plus gros… Nous avons de nombreuses descriptions détaillées de l’armement de la phalange à l’époque hellénistique, mais aucune ne remonte à Alexandre ou Philippe. Par contre, nous disposons de quelques représentations graphiques, en particulier le sarcophage de Sidon. Et là, ô surprise, le bouclier des Macédoniens est bien plus impressionnant que celui décrit par Polybe par exemple, de bons gros hoplon de 80/100 cm, à comparer avec les 4 palmes (60 cm) du bouclier macédonien selon Asclépiodote. Aussi en a-t-on déduit pour effacer la contradiction qu’il s’agissait d’une représentation des Hypaspistes, pas des phalangites. Qui du coup n’apparaissent nulle part… Tout d’abord, il faudrait prouver qu’il s’agisse exclusivement d’Hypaspistes représentés, et non de phalangites. Ensuite, il faudrait prouver que les phalangites disposent d’un bouclier plus petit à cette époque.
Or justement, lors de la campagne de Thrace en 335, la phalange (et non les Hypaspistes, occupés ailleurs) est confrontée à un problème inattendu : ces Thraces prévoient, du haut du col où ils sont retranchés, de précipiter sur la phalange compacte de lourds chariots, espérant ainsi faire éclater leur formation avant qu’ils n’arrivent au contact. Alexandre donne des consignes : ouvrir les rangs pour laisser passer le char, et si la manœuvre est impossible, «
ceux qui étaient enserrés de toute part devraient s’aplatir au coude à coude, en ne laissant aucun intervalle entre les boucliers : ainsi, les chars bondissant vraisemblablement du fait de l’élan acquis leur passerait dessus sans leur faire de mal. » (Arrien I.1.9). Tout se passe comme prévu, «
les chars, roulant sur les boucliers, causèrent peu de dommages et ne firent aucun mort ». Je mets au défis quiconque de tenter l’expérience avec un petit bouclier léger de 60 cm… Ajoutons à cela que Arrien, s'inspirant de Ptolémée et d'Aristobule, parle d’hoplites quand il désigne les phalangites d’Alexandre, et que la réforme de Philippe est issue de l’adaptation et de l’allègement de l’armement hoplitique, et non du renforcement de l’armement du peltaste thrace. Pour ma part, je suis convaincu que l’armement d’origine était plus lourd que celui de l’époque classique. Les réformes de l’armement et de la tactique se succèdent tout au long du règne d’Alexandre et de ses successeurs, certaines mentionnées (comme l’adoption de nouvelles armures par Alexandre), d’autres constatées (les variations dans la taille des sarisses signalées par Polybe). Il n’y a aucune raison de croire que la taille des boucliers fut figées dès l’origine selon le canon du IIe siècle. D’ailleurs, nous pouvons aisément imaginer que les hypaspistes ("porteurs de bouclier") furent rebaptisée Peltastes lorsqu’ils adoptèrent, comme tous les autres phalangites, un bouclier plus léger, le fameux bouclier macédonien vanté par Asclépiodote, une pelté inspirée de celle des peltastes d’Iphicrate (en bronze, plus large et solide que la pelté d’origine, cette dernière en cuir de seulement 40 cm).
Enfin, s’ils combattent comme phalangites, avec sarisse, lors des batailles rangées, les opérations variées auxquelles ils sont confrontés suppose aussi effectivement l’emploi d’armes plus maniables, comme lors des assauts des villes par exemple. Rappelons au passage que Horratas mentionné plus haut utilise épée mais aussi des javelots dans son arsenal («
Le Macédonien s'était revêtu d'une armure complète: il portait de la main gauche un bouclier d'airain et une pique, de celles qu'on appelle sarisses; de la main droite, un javelot, et au côté une épée, comme s'il eût eu à combattre à la fois plusieurs ennemis. » Quinte Curce IX.7.16-22). Quelle est la différence entre une sarisse macédonienne et une lance d’hoplite grec ? La taille. La sarisse mesure entre 4,5 et 6 mètres, la lance des Grecs moitié moins. Ben ça tombe bien. Les sarisses, au moins certaines d’entre elles, sont démontables : on a retrouvé à Vergina un cylindre de jonction réunissant la partie supérieure à pointe avec la partie inférieure à culot. En cas de besoin, le passage de l’un à l’autre doit être possible sans trop de difficulté. Ceci dit, j’aimerai confirmation de ce point, n’ayant jamais vu la pièce en détail.
Mais que sont finalement exactement les Hypaspistes (et les Peltastes des successeurs, il s’agit d’un seul et même corps qui a simplement changé de nom, les remarques sur l’un étant valables pour l’autre ; la seule différence, outre le nom, concerne les effectifs : ils ont augmenté, passant de 3000 hommes à la fin du règne de Philippe II pour atteindre 5 000 sous Persée, dont 2000 de l’Agêma.) ?
Il s’agit de l’armée permanente professionnelle qui sert aussi de garde royale, organisée en loches de 500 hommes, dont l’une, l’élite de l’élite qui entoure la tente du roi et veille sur sa personne, forme l’Agêma (de même on trouvera une Agêma dans la cavalerie des Compagnons, le fameux escadron royal,
ilê basilikê). L’Agêma est donc une partie intégrante des Hypaspistes.
Leur professionnalisme, leur endurance (les marches forcées instaurées par Philippe atteignent 300 stades par jour, soit près de 54 km, barda et ravitaillement compris; cf. Polyen IV.1.10), leur adaptibilité les rend redoutable et apte à des missions plus variées que le simple phalangite, dont on ne demande rien d’autre que de tenir sa place dans la phalange, ce qui est à la portée d’un amateur, d’où les effectifs pléthoriques des phalanges hellénistiques. C’est la seule raison qui pousse Alexandre à leur confier toute les taches délicates, en terrain plus hostile, ou toute mission où la vitesse d'exécution est primordiale. Non une différence d’armement, mais une différence de savoir faire, le professionnel face à l’amateur. De même, leur entraînement intensif les rend plus mobile : nul besoin de chercher un quelconque allègement particulier du matériel (au passage, admire la contradiction des tenant du hypaspiste = troupes légère… mais portant un bouclier beaucoup plus lourd que les autres, portant toujours une armure alors qu’elle est accessoire auprès du phalangites… bref une troupe « légère » qui pèse plus lourd que la « lourde » !
)
Juste encore une remarque concernant les Peltastes de Philippe V : ne surtout pas s’appuyer sur Tite-Live. Ce dernier navigue en plein flou, traduisant improprement Peltastes par cétrates, ceux qui portent la caetra, l’équivalent ibérique de la petite pelté thrace d’origine, un petit bouclier léger rond en cuir ; rien à voir avec la solide et plus grande pelté macédonienne en bronze. Mais le malheureux en perd du coup son latin, il ne sais plus ce qui ils sont ni à quoi ils servent, et il arrive même parfois à parler d’eux comme de « l’infanterie légère », mais dans une ligne de phalange… Heureusement, Polybe est là pour nous éclairer sur la nature réelle de ces derniers ! Il faut donc chaque fois se poser la question si Tite-Live fait allusion aux Peltastes ou à des troupes autentiquement légères comme les Thraces de l'armée macédonienne, et adapter ou corriger en fonction...