Des évolutions, il y a en eu, c'est certain. Polybe en particulier signale les variations dans la taille des sarisses (même si on ne peut pas exclure que pour une partie des mesures qu'il donne, le problème soit une simple traduction des unités de mesure, tantôt en pied attique, tantôt en pied macédonien, etc.). Alexandre de son côté a effectué de nombreuses réformes tout au long de son règne, tant dans l'armement (les armures individuelles par exemple, allégées) que dans la structure interne des unités (la créations des chiliarquies de 1000 hommes ; la suppression du recrutement régional, etc). Mais ces réformes ont-elles été appliquées en Macédoine ? Rien de moins sûr, et rares furent les hommes de son armée à revenir au pays.
J'avais lancé l'hypothèse, contre les idées reçues, au contraire d'un allègement de la phalange entre le début et la fin du IIIe, avec l'apparition d'un nouveau bouclier plus petit, plus léger que l'original, dans la seconde moitié du IIIe, en m'appuyant sur trois constats spectaculaires :
La phalange ne s'exporte pas avant la fin du IIIe. Pendant plus d'un siècle, elle reste le monopole des armées macédoniennes (et diadoque bien entendu), alors que théoriquement leur armement est censé être plus efficace et moins cher. Et pourtant, en dépit de ses succès militaires spectaculaire, aucun autre état n'adopte ce système. Et tout à coup à la fin du IIIe : a) dans la décennie 220, Cléomène réforme l'armée spartiate, lui imposant l'armement macédonien, réforme jointe à l'intégration de milliers et périèques et même d'hilotes armés aux frais de l'état. b) en 222, les Mégalopolitains sont armées à la macédonienne aux frais d'Antigonos c) en 218/217, les sujets égyptiens et libyens des lagides sont massivement armés à la macédonienne, il combattront pour la première fois à Raphia ; d) vers 209, c'est au tour de la Ligue achéenne de franchir le paix, avec les réformes de Philopoemen.
Quelle rupture avec le siècle qui précède ! Que c'est-il donc passé pour que tout à coup, le système macédonien devienne compétitif ? Or justement, en parallèle, on constate une évolution sémantique. Les troupes d'élites de toutes les armées hellénistiques, appelées sous Alexandre et les premiers diadoques "Hypaspistes", "Portes-boucliers", se batisent désormais "Peltastes", "Porteurs de pelte". Certes, la pelte macédonienne n'est pas la pelte thrace, mais cela dénote une évolution du bouclier, devenu plus petit, plus maniable. Qui dit bouclier plus petit dit coût moins élevé ; qui dit coût moins élevé dit compétitivité et capacité à armer beaucoup de monde, et du coup s'explique la soudaine expansion géographique des phalanges à la fin du IIIe, en particulier dans un contexte où l'état doit brutalement armer beaucoup d'hommes (Sparte, Mégalopolis, Egypte). A cette date et grâce à une diminution de la taille du bouclier, le sarissophore est devenu meilleur marché que l'hoplite.
Cette évolution, qui je pense à commencer chez les Séleucides, qui ont toujours intégré de nombreux indigènes dans leurs armées, se poursuivra pour aboutir au bouclier riquiqui décrit par Asclépiodote et consorts, qui décrit un bouclier vraisemblablement séleucide d'une soixantaine de centimètres, très différent de ceux que le sarcophage de Sidon par exemple représente. Mais toute ce scénario est très théorique et personnel et demanderait à être confirmé par l'archéologie...
Moralité, contrairement à l'idée reçue, je ne crois pas que l'armée de Philippe V soit structurellement et matériellement "plus rigide et monolithique" que celle de Philippe II et d'Alexandre III, au contraire, son armement la rend peut-être plus maniable.
La différence est ailleurs : dans les hommes qui la composent. L'armée d'Alexandre (on connait très peu celle de Philippe) est composée des vétérans des guerres de Philippe, et après son passage en Asie, elle est de fait formée de professionnels, qui vivent sur le pied de guerre au quotidien pendant des décennies. A l'inverse, l'armée de Persée est composée de bleusaille qui n'ont soit aucune expérience, soit très peu, une ou deux campagnes en Thrace ou en Illyrie. On ne peut pas demander les mêmes manœuvres à ces deux groupes d'hommes. D'où leur aspect plus lente, plus passive : on ne leur demande que de tenir leur ligne. Ce qui contraste par contre avec les opérations menées par les Peltastes de Philippe V, où l'on retrouve la variété et l'audace des hypaspistes : eux sont des professionnels. Ce caractère est encore renforcé par les recrutements de Persée, massifs ; il a vraiment raclé les fonds de tiroirs pour alignée la plus nombreux armée macédonienne jamais réunie. On peut y ajouter les "Leucaspides" à la qualité douteuse, et qui selon ma pomme sont formés de sujets indigènes armés à la macédonienne. Quelle différence avec l'armée de Philippe composée de pezhétaires, qualificatif aristocratique qui dénote au moins le prestige du fantassin sous son règne, assimilé aux Hétaires nobles de la cavalerie, et reflétant sans doute en partie leur origine sociale (de petits nobles, qui fournissent leur équipements et qui sont enterrés avec, cf. la tombe de l'article qui nous a occupé plus haut). Le statut social des guerriers n'est donc plus le même ; leur prestige et leur esprit de corps non plus, avec l'intégration de tout et n'importe quoi pour gonfler les effectifs ; enfin l'expérience n'est plus la même. Donc leur emploi diffère sensiblement, on ne peut pas leur demander des miracles.
|