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Oui, le cercle des intimes propage le mythe, hypervalorise les "hauts faits" et la "haute destinée" du Führer. Mais il le fait parce que sincèrement et fondamentalement subjugué par Hitler, comme le sont la plupart de ceux qui l'approchent. Dans un autre topic quelqu'un avait parlé de ces généraux de la fin de la guerre, qui venaient le voir, accablés, vaincus, désespérés, et qui, après coup, ont témoigné comment la rencontre du Führer les galvanisait, leur rendait une foi mystique, irrationnelle dans la victoire finale, les armes secrètes, des réserves qui en fait n'existaient pas, etc. (Illustré d'une manière simpliste par l'entrevue Hitler-von Greim dans La Chute). C'était du vent, du pipeau et pourtant ça marchait à tout coup.
Oui bien sûr, K ne nie en rien l'existence de ce charisme et il enregistre parfaitement l'impression très forte que fait Hitler sur son entourage, des origines à jusqu'à sa fin; or ses "disciples" et supporters rendent généralement compte de cet impact en termes qui renvoient à l'origine du mot charisme: un "charme" au sens magique du terme, un je ne sais quoi, quelque chose d'indéfinissable, d'ineffable qui défie l'explication et ne peut être restitué par les mots.
Ces premiers apotres parlent de l'étrange lueur qui émanait de ses yeux clairs, référence à l'hypnotisme. De la capacité d'Hitler a deviner ce que la foule voulait entendre, ce qui pouvait l'émouvoir au plus profond, ce qui renvoie à une autre pratique magique, le don de double vue, la capacité de lire dans l'âme humaine. De son magnétisme. Et bien sûr, de la puissance perfomatrice de sa parole, référence de nouveau au magicien qui impose sa volonté aux hommes et aux éléments en prononçant des formules magiques.
Mais, bien que les disciples d'Hitler rendent presque tous compte de son emprise sur les individus et sur les foules sur ce mode qui renvoie à la pensée magique, et que Kershaw en soit très conscient, il n'entre a aucun moment dans l'adhésion à ces explications irrationnelles. Pour lui, la notion qu'Hitler détenait en quelque sorte des pouvoirs surhumains ne relève que d'une illusion projective relayée par un culte de la personnalité mis en place dès l'année 23: ces pouvoirs inexplicables et exceptionnels,ce charisme EN TANT QUE DON INEXPLICABLE ET SURHUMAIN, ils ne les a pas, ce sont ses disciples qui les lui prêtent, et c'est ce point précis que je voulais souligner.
En d'autres termes, Kershaw reconnait bien du charisme à Hitler mais il privilégie les explications rationnelles et matérielles de ce charisme: foi inébranlable dans ses idées, puissante rhétorique, méthodes oratoires habiles (simplifications dualistes, répétitions, construction "musicale" des discours avec une phase rhapsodique à la fin, bouclée sur une sorte de conclusion orgasmique etc);
ce que les croyants nazis voient comme un pouvoir quasi-surnaturel, la présence d'une étincelle divine, Kershaw en rend compte au contraire par la mise en oeuvre de recettes soigneusement élaborées, le recours à des trucs peut être pas de charlatan mais presque, un travail en somme, toute une préparation de technicien consommé de la communication totalement à l'opposé de l'ineffable et de l'inspiration dont parlent les fidèles.
Si Hitler est un magicien, dans la vision de Kershaw, il serait donc quelque chose comme le magicien d'Oz
Et je ne comprends toujours pas pourquoi il considère qu'Hitler est dénué de toute personnalité. Au contraire, en lisant des ouvrages sur AH d'amis des débuts comme Kubizek ou Putzi, (très intéressant celui d'Hanfstaengl) dont certains sont devenus très critiques par la suite, la personnalité d'Hitler, avec ses gouts, ses dégouts, ses idiosyncrasies, est tout à fait perceptible. En fait, à cette époque là du moins, sauf éventuelles sautes d'humeur, le futur leader nazi pouvait être un compagnon très agréable, drôle, divertissant, souvent enjoué, faisant rire tout le monde avec ses imitations, charmant avec les dames etc.
Mais tout ça ne cadre pas avec les millions de morts et les atrocités diverses: quelque part, il faut qu'Hitler reste un monstre, c'est rassurant. Et donc j'aurais tendance à considérer les expressions utilisées par Kershaw (vide intérieur, non-personne, etc) comme essentiellement une reformulation plus sophistiquée de cette essence monstrueuse qui doit impérativement être attribuée à Hitler.