Bergerac a écrit :
J'entends tout ce que vous dîtes, cher CNE053, mais vous persistez à vous placer sur un point de vue purement opérationnel, alors que le concept de Raubkrieg s'applique au caractère injustifié de la guerre, dans le sens biblique de la guerre juste. Et là, oui Louis XIV et plus encore ses ministres sont responsables d'avoir conduit des guerres injustes, c'est d'ailleurs ce que le roi aurait dit lui-même en prétendant avoir trop aimé la guerre, manière élégante de reconnaître qu'elles n'ont pas été toutes justifiées
Nous nous rejoignons alors
La "guerre juste", concept existant dès la chrétienté médiévale mais revigoré dans la première moitié du XVIIe (sous l'impulsion d'un Grotius, par exemple), n'est "réactivée" après les traités de Westphalie que parce que ça correspond au ressenti de peuples qui commencent à s'unir dans une germanité auparavant éclatée et remplie d'antagonismes. C'est bien l'apparition d'une conscience nationale qui pousse les Allemands - et encore, surtout les lettrés, je le rappelle - à s'insurger contre les excès français de 1689.
Ces excès, et bien pires encore, étaient monnaie courante dans la guerre des XVIe et XVIIe (et avant, aussi, bien sûr). La question est de savoir pour quelle raison leur contestation éclate avec une telle vigueur à la toute fin du XVIIe. Est-ce un caractère précis de la "Way of War" louisquatorzienne qui la provoque ? Je n'y crois pas (bien que la fréquence et l'échelle des guerres, signes d'une volonté hégémonique continentale, amènent forcément une réaction défensive de rejet viscéral - mais ce n'est pas en rapport avec le mode opératoire des armées en campagne), je pense vraiment que c'est essentiellement l'apparition d'une conscience nationale allemande qui en est la cause.
Les Franc-Comtois de 1595 n'ont guère tenu grief à Henri IV ou plus largement à la monarchie française, parce qu'ils ont été assimilés et étaient culturellement proches dès l'époque de leurs agresseurs ; leurs défenseurs, italo-espagnols, ont même commis des excès pires encore. De la même manière, les Allemands n'ont guère gardé le sac de Magdebourg ou les exactions françaises des années 1640 en mémoire - alors que ce sont les mêmes actes sur une échelle similaire ! - parce qu'à l'époque, ils n'étaient pas allemands mais brandebourgeois, prussiens, saxons, bavarois, palatins, mecklembourgeois, hansois, brunswickois, hanovriens, franconiens, bref, pas allemands. L'écho de tels actes était infiniment moins fort au-delà de la communauté concernée (encore que Magdebourg...).
Bref, Louis XIV plus injuste que ses homologues d'alors ? J'en doute beaucoup. Il s'est juste mis tout le monde à dos par une politique agressive essentiellement dictée par un complexe d'encerclement - récurrent jusqu'à 1713 dans la diplomatie française - et une volonté de protéger de manière définitive et irrémédiable son royaume (résultat qui génère aussi la gloire du monarque, même s'il est complètement illusoire), dusse-t-il mener des actions préventives dévastatrices et horrifiant le "concert des nations". Il n'a de ce fait guère trouvé de gens pour le défendre au-delà de ses propres sujets ou de ses clients politiques les plus dépendants, parce que cette agressivité stratégique - pourtant motivée par des conceptions essentiellement défensives - a trouvé son pendant, son illustration cruelle, dans les excès des armées françaises. Mais ces excès ne sont qu'un raccourci facile fait par les détracteurs de la puissance française ; ce sont les mêmes que ceux commis par les autres armées (à part peut-être l'échelle, qui provient de la massification et de la rationalisation de la guerre opérées justement sous Louis XIV).
A titre personnel, dans le contexte d'alors bien sûr, je trouve qu'il y a une certaine cohérence à vouloir à tout prix protéger son royaume et ses sujets des excès mêmes que l'on peut par contre trouver licites et ordonner sur les populations voisines. Les Français qui n'ont plus guère connu la guerre sur leur territoire - exception faite de la courte parenthèse 1709-1712 - entre 1652 et 1792 auraient sans doute pu trouver les conceptions de Louis XIV très justes, et Louis XIV s'en enorgueillir et en tirer une gloire qui était sa motivation principale.
CNE503