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Autre témoignage sur les Baskirs, celui de Thiébault (Mémoires), lors des accords de Tilsit : « J'appris que de l'autre côté du Niémen se trouvaient un camp de Cosaques, un camp de Kalmouks et un camp de Baskirs. Je m'informai si quelques généraux français étaient allés les visiter, on me répondit qu'on s'en abstenait ; je demandai si cela était défendu, on me dit qu'il n'existait à cet égard aucun ordre; je pris donc à l'instant une barque et, en redingote bourgeoise et chapeau rond, accompagné seulement de mon secrétaire, je passai le fleuve. J'avais à peine mis pied à terre qu'un officier vint me demander de la part du général commandant les Cosaques réguliers du Don, campés en face du pavillon des deux empereurs, qui j'étais et ce que je voulais. Je me nommai et je répondis que, par un simple mouvement de curiosité, je désirais visiter le camp des Kalmouks et des Baskirs. Un moment après, cet officier revint, suivi de quatre Cosaques et d'un brigadier, et me dit : « Mon général, en vous offrant ses compliments, vous fait savoir que vous êtes absolument le maître de faire cette promenade; mais, comme vous pourriez courir quelques risques au milieu de ces hordes à moitié sauvages, il m'a chargé de vous amener une garde d'honneur et de sûreté, et même de vous accompagner. » Et je partis avec mon escorte et mon espèce d'aide de camp cosaque.[…] [Les Baskirs] sont beaucoup plus blancs [que les Kalmouks], leur figure est fine, et leurs yeux obliques leur donnent un petit air de bêtes fauves qui leur sied à merveille. Leur camp, formé de deux rangées de petits auvents ouverts du côté de la rue et bien alignés, était propre et symétrique. Leurs armes, consistant en lances, arcs, flèches et sabres, étaient arrangées en faisceaux ou accrochées à leurs auvents, auxquels leurs chevaux étaient attachés; quelques-uns possédaient des pistolets, mais en mauvais état. Leur accoutrement était à peu de chose près celui des Cosaques irréguliers, mais de couleurs plus claires; la plupart avaient des manteaux, plusieurs des cottes de mailles dont ils étaient assez fiers pour me les montrer; presque tous étaient coiffés d'une calotte enfer garnie d'une pointe. Au centre de la première ligne, un auvent plus grand abritait le chef, en même temps grand prêtre. C'était un bel homme, d'une quarantaine d'années et portant avec une certaine dignité un costume assez noble, qui se composait d'un bonnet et d'une espèce de robe de drap violet, croisée, tenue par un ceinturon et bordée d'un petit liséré en or. Bref, ces Baskirs m'intéressèrent au point que je demandai à mon officier cosaque s'il me serait permis de venir répéter ma promenade ; sur la réponse affirmative, je remis une visite plus complète à un jour où je ne serais pas suivi par un officier.[…] Le lendemain et le surlendemain, je recommençai mon excursion. J'avais, au reste, un grand avantage; mon secrétaire Delaveau avait voyagé dans tout l'Empire russe, il était allé au delà du Caucase, dans le pays même des Baskirs ; parlant leur langue, il me servait de truchement. Grâce à cette circonstance, me trouvant en rapport direct avec ce shommes qui m'entouraient toujours, parce que je leur semblais aussi singulier qu'ils l'étaient pour moi, je leur fis demander par Delaveau s'il y en avait parmi eux sachant chanter ; l'un d'eux' se présenta et me chanta un air que de suite je notai sur un calepin ; ce calepin, tout plein des notes et des croquis pris pendant ces courses, a disparu, et c'est un regret ajouté à tant d'autres.[…] Après avoir donné un écu au chanteur, j'en promis deux si ces Baskirs exécutaient devant moi des danses; à la voix du chanteur, deux d'entre eux se mirent à sauter en mesure en tournant sur eux-mêmes et en gesticulant de la tête et des bras d'une façon plus ou moins baroque. Je désirai voir comment ils faisaient leurs prières, mais aucun d'eux ne voulut à prix d'argent profaner ce qui tenait à leur culte; tout ce que je sus, c'est qu'au lever et au coucher du soleil, celui qui était à la fois et leur chef et leur prêtre faisait une prière publique, et, pour cette prière, tous ses hommes se réunissaient autour de lui. Leur nourriture, en temps de guerre je suppose, n'est ni sensuelle, ni variée; ils la préparent eux-mêmes et chacun pour soi. Elle consiste généralement en pâte et en viande. La pâte est faite de farine et d'eau sans levain, et divisée en petites boulettes grosses comme une noix de muscade, mal arrondies, séchées au soleil ; ils ont toujours un ou deux sacs remplis de ces boulettes et pendus à leurs arçons, pour en manger quand la faim se fait sentir. Quant à leur viande, on ne peut pas rappeler sans dégoût la manière dont ils la préparent; ils la mettent à nu sur l'échiné de leurs chevaux, la recouvrent d'une couverte, grimpent dessus et la font, non pas cuire, mais meurtrir par une course au galop, pendant une ou deux lieues ; ainsi chauffée de leur propre chaleur et de celle du cheval dont elle a bu la sueur, ils trouvent à cette viande un goût délicieux. Eh bien, cette vomi- tique nourriture fait, par bénéfice de frugalité et de sobriété, des hommes forts, agiles, bien portants, propres aux plus grandes fatigues, et qui supportent nuit et jour toutes les températures des saisons. Je voulus savoir quel était le degré de leur habileté dans le tir de l'arc, et je leur fis demander si, à cent pas, ils seraient de force à toucher un écu de cinq francs, les prévenant que celui qui l'aurait touché l'aurait gagné. À l'extrémité d'une baguette de trois à quatre pieds, on fit une entaille, on y ficha l'écu, puis on planta la baguette en terre à la distance dite. Le second qui tira l'abattit ; je fournis un deuxième écu, il fut gagné du premier coup ; j'en donnai un troisième, et il le fut au troisième ; je m'en tins là. Delaveau leur demanda de tirer quelques flèches perdues ; elles furent lancées à une hauteur et à une distance étonnantes : « Mon général, me dit alors Delaveau, permettez-moi d'en tirer une. -Certes non, lui dis-je, je n'ai nullement envie que vous fassiez rire ces gaillards à nos dépens. -Ne craignez rien, reprit-il, je suis sûr de mon fait. » Il demanda donc à un des Baskirs de lui laisser essayer de tirer une flèche; ils se prirent tous à rire ; il insista, et, pour deux francs, l'un d'eux lui livra son arc et une flèche. A l'instant mon Delaveau, garçon fort et très agile, mit l'habit bas et, tirant par derrière le dos, lança sa flèche avec une telle vigueur qu'elle disparut. Ces hommes furent confondus, et à notre tour nous rîmes de leur étonnement.[…] Comme j'allais quitter ces messieurs [deux officiers russes des chevaliers gardes] et les Baskirs, pour ne pas les revoir, m'étant arrêté un moment pour jeter un dernier regard sur leur camp et sur ceux qui m'avaient suivi, l'un d'eux arriva jusqu'à moi et, en se retirant bien vite, donna un petit coup sur les breloques de ma montre. Je sus par Delaveau qu'il désirait voir ma montre, que je tirai et que j'approchai de lui pour qu'il pût bien l'examiner. Il la regarda avec avidité, et, pendant qu'il penchait son oreille pour mieux entendre le mouvement, je la fis sonner. La surprise fut complète ; sans cesser de porter successivement les yeux de ma montre à moi et de moi à ma montre, il demanda à Delaveau si elle était à vendre. « Oui, répondis-je. -Combien? -Deux cent cinquante sequins. » A ces mots, sa figure devint furieuse, et il s'en alla, en frappant sur son arc et ses flèches et en disant : « Voilà avec quoi je la payerai. » A-t-il jamais satisfait sa convoitise? J'espère que non; car, si le hasard lui en a fourni l'occasion, il a dû, au souvenir de cette montre, viser bien des officiers. »Uploaded with ImageShack.usUn autre témoin de Tilsit : Constant ( Mémoires) : « Au nombre des galanteries que l'empereur de Russie fit au nôtre, je citerai un concert exécuté par une troupe de Baskirs, à qui leur souverain fit à cet effet passer le Niémen. Certes, jamais musique plus barbare n'avait résonné aux oreilles de Sa Majesté, et cette étrange harmonie, accompagnée de gestes au moins aussi sauvages, nous procura le spectacle le plus burlesque que l'on puisse imaginer. Quelques jours après ce concert, j'obtins la permission d'aller visiter les musiciens dans leur camp, et j'y allai avec Roustan, qui pouvait me servir d'interprète. Nous eûmes l'avantage d'assister à un repas des Baskirs : autour d'immenses baquets en bois étaient rangées des escouades de dix hommes, chacun tenant à la main un morceau de pain noir qu'il assaisonnait d'une cuillerée d'eau dans laquelle ils avaient délayé quelque chose qui ressemblait à de la terre rouge. Après le repas, ils nous donnèrent le divertissement du tir à l'arc ; Roustan, à qui cet exercice rappelait ceux de son jeune âge, voulut essayer de lancer une flèche ; mais elle tomba à quelques pas, et je vis un sourire de mépris sur les lèvres épaisses de nos Baskirs ; j'essayai l'arc à mon tour, et je m'en acquittai de manière à me faire honneur aux yeux de nos hôtes, qui m'entourèrent à l'instant en me félicitant par leurs gestes de mon adresse et de ma vigueur. Un d'eux, plus enthousiaste et plus amical encore que les autres, m'appliqua sur l'épaule une tape dont je me souvins assez longtemps. »Uploaded with ImageShack.us
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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