J'ai hélas été coupé de ma connexion internet pendant ces dernières 36 heures, et n'ai donc pas pu contribuer au fil. Je vais néanmoins reprendre les questions d'Aigle - désolé si je doublonne avec une réponse recoupant tout ou partie des éléments que j'avance.
L'essentiel des problèmes que vous mettez en avant (armées peu nombreuses, lentes à la manoeuvre, à la loyauté variable) relèvent de la logistique de guerre, qui est encore extrêmement embryonnaire à l'époque - il faudra attendre Louis XIV, en fait surtout Louvois, pour qu'une logistique rationalisée apparaisse et permette de dépasser ce "mur du nombre" qui existe depuis plus ou moins la fin de l'empire romain d'occident.
En effet, aucune structure n'existe pour approvisionner les soldats en temps de paix. On ne conserve donc dans les rangs que le minimum syndical. Je crois me rappeler que l'armée du temps de paix sous Charles IX, immédiatement avant le début des guerres de religion, chiffre 10 000 soldats, incluant les gardes du monarque, ce qui est dérisoire pour un royaume du rang de la France. Cela implique 1) qu'il n'y a aucune amélioration du niveau de la troupe dès le temps de paix, l'armée étant ventilée aux quatre coins du royaume et occupée à des tâches de garnison ou de police ; 2) qu'il y a une inflation des effectifs très marquée à l'approche de périodes de troubles, avec des mercenaires recrutés à prix d'or en Suisse ou en Allemagne, licenciés dès que leur nécessité a disparu ou que les caisses sont vides pour les rémunérer, ou des recrues locales sans aucune expérience militaire et donc foncièrement peu aptes à faire campagne pendant une période significative de temps (jusqu'à ce que l'expérience soit emmagasinée). Les guerres de religion modifient la donne : elles génèrent des armées et des chefs qui se forment sur le tas, même si la nature civile du conflit, et le faible nombre de participants à temps plein (les armées belligérantes ne chiffrent guère, prenons l'exemple de celle de Duras qui se fait écraser par la petite force de Monluc à Vergt en 1562, ou même les armées qui s'affrontent à Dreux, Jarnac, Moncontour... Il faut attendre l'implication totale du roi de France à partir de 1588 pour que les chiffres deviennent plus abondants, et encore restent-ils du domaine de quelques milliers d'hommes sous Henri IV), empêchent de créer un véritable cadre pour une nouvelle armée. Surtout, ces guerres civiles, en rendant licites de subsister sur l'adversaire et en mettant en jeu des ressources limitées (l'Etat n'étant plus en mesure, en raison de la sédition, de collecter l'impôt convenablement et de constituer des réserves de vivres à utilisation militaire sauf de manière erratique), désorganisent et in fine font disparaître toute notion de logistique raisonnée parmi les généraux qui émergent à cette époque. La période de paix qui s'étend de 1601 à 1616, en gros, n'améliore en rien cet état de fait, d'autant plus qu'il y a un renouvellement complet du personnel décisionnel militaire et que ce sont des nouveaux sans expérience qui sont placés aux commandes de l'armée royale (mis à part Lesdiguières qui sait mener une guerre d'usure comme il l'a pratiqué en Franche-Comté en 1595 et en Savoie en 1600, les Guise, Condé, Luynes n'ont pas laissé une trace très élogieuse dans leurs commandements exercés entre 1616 et 1622...). Bref, au début de la dernière phase des luttes religieuses en France (1620-1629) et des derniers troubles princiers (jusqu'en 1632 et la décapitation de Montmorency en gros), tout est à réapprendre et la capacité à résister de l'ennemi, Huguenots ou Grands, n'oblige en rien à créer un outil autre qu'une force de police intérieure. Rien à voir avec les nécessités liées à des opérations de guerre complexes que se livrent Autrichiens, Bavarois, Danois, Espagnols, Rhénans, Suédois, Transylvains, depuis 1618 (et encore, le désastre de la Montagne Blanche en 1620 ou la piètre performance du Danemark, obligé à sortir de la guerre par la petite porte en 1625, montrent bien qu'une partie de ces belligérants n'est pas au niveau, en particulier, des Tercios espagnols ou des redoutables armées mercenariales dirigées par Tilly ou Wallenstein d'un côté, des armées "professionnelles" parfaitement encadrées des Suédois de l'autre). En 1633, quand le cardinal peut envisager l'entrée prochaine de la France dans le conflit germanique parce qu'il n'a plus guère de source de préoccupation intérieure, il doit se rendre à l'évidence : l'armée qui a pris la Rochelle et Privas ou châtier Montmorency est une armée saisonnière, aux cadres insuffisants, à la logistique inexistante et à l'expérience défaillante. Que faire pour corriger ça ? Prendre le temps de recruter des soldats et de les former auprès des plus anciens, préparer des stocks (en particulier de numéraire) et... entrer en guerre pour acquérir l'expérience sur le tas, la seule qui soit "bonne de guerre".
Quant à la loyauté, il est vrai que j'ai eu du mal à suivre la logique qui voulait que le soldat du maréchal-duc de Luxembourg, vers 1690, ne pouvait donner dans la poursuite de son ennemi battu en raison de son manque de "loyauté" qui risquait de l'amener à la désertion et obligeait donc à conserver l'armée groupée, empêchant le duc de transformer ses belles victoires du début de la Guerre de Huit Ans en succès décisifs ; quant le soldat républicain de 1796 n'avait lui aucun problème de ce genre et permettait à Bonaparte de remporter des séries de victoires impressionnantes et tout à fait décisives. Mais pourtant, un excellent professeur d'histoire militaire que j'ai eu la chance d'avoir a réussi à m'en convaincre, en pointant les prémices de la "totalisation" de la guerre à la fin du XVIIe, encore insuffisamment mûre sous Louis XIV, et en insistant sur le fait que la "loyauté" - en fait la discipline - du soldat en 1690 n'est pas encore suffisante à dominer son appât du gain et sa volonté personnelle d'enrichissement là où le soldat républicain y arrivera, certes par la force de son idéologie mais aussi parce qu'il a avec lui un corps d'officiers élus, formés sur le tas et ayant donc assis leur crédibilité parmi la troupe par leurs succès et non leur naissance, partageant une origine plébéienne leur assurant le respect d'une discipline consentie et non teintée de "lutte des classes" et in fine capables de susciter une adhésion dont les nobles du XVIIe était peu capables.
Je nuancerais juste un point, sur l'absence de victoires françaises jusqu'à Rocroi : si Rocroi est la première grande victoire en rase campagne de l'armée française contre les Tercios, les victoires sont innombrables entre 1636 et 1643, y compris des victoires de haute volée : Lerida, Ivrée, Wolfenbüttel et Kempen, en 1641 et 1642, sans compter les prises d'Arras, de Turin, de Casal, de Perpignan, de Brisach, etc. Les plus beaux succès français, toutefois, sont à mettre à l'actif de l'armée d'Allemagne de Guébriant, constituée essentiellement de solides mercenaires allemands. Quant à votre interrogation sur la compétence technique des soldats et officiers français, qui auraient dû apprendre des guerres d'Outre-Rhin depuis 1618, elle occulte deux aspects : 1) les cadres, essentiellement aristocrates, militaires français sont occupés à faire la guerre entre 1620 et 1632, mais une guerre civile, aux aspects donc très spécifiques et très différents de la "grande guerre" qu'ils auront à livrer à partir de 1635 (à noter que depuis 1620 et jusqu'en 1630, les armées impériales et espagnoles ne sont d'ailleurs guère défiées non plus), et n'ont donc que peu de raisons de s'intéresser aux détails étrangers d'une activité qu'ils pratiquent assidûment ; 2) la transmission héréditaire de l'imperium militaire aux grandes familles de France, le manque de sources de polémologie et l'absence de textes doctrinaux empêchent l'émergence d'une catégorie de chefs militaires détectés et/ou formés dès leur plus jeune âge, instruits au commandement y compris par les exemples étrangers et nommés pour leur valeur. L'expérience réelle du combat est donc indispensable à l'apparition de ces chefs de haute volée qui, de Guébriant à Turenne en passant par le Grand Condé, permettent à la France de prendre le dessus à partir de 1639-1640, et ce jusqu'à la Guerre de Succession d'Espagne.
CNE503
_________________ "Sicut Aquila"/"Ils s'instruisent pour vaincre"/"Par l'exemple, le coeur et la raison"/"Labor Omnia Vincit"/"Ensemble en paix comme au combat"/"Si Vis Pacem Para Bellum"/"Passe toujours !"
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