Alfred Teckel a écrit :
Beaucoup de passionnés d'histoire contemporaine la connaissent très bien sous le nom d'Alexandrette
Oui, l'exemple n'était vraiment pas le mieux choisi... et qualifier d'anecdotique une ville de près de 200 000 habitants...
Je réagissait surtout aux réactions qu'on lit souvent, y compris dans des ouvrages sérieux, que l'entreprise coloniale d'Alexandre a été un échec, que la plupart de ses fondations sont tombées dans l'oubli. Le "problème" provient du destin exceptionnel d'Alexandrie d'Egypte, qui a éclipsé toutes les autres. Mais n'oublions pas que les royaumes hellénistiques puis parthes se sont bâtis en partie sur ce réseau urbain alexandrin, Isidore de Charax par exemple en témoigne. Il suffit de jeter un œil sur la carte urbaine de l'Afghanistan pour comprendre la pérennité des choix d'Alexandre, préservés par l'intermédiaire des rois greco-bactriens et maintenu jusqu'à nous.
Nebuchadnezar a écrit :
Si mes souvenirs sont exacts, Kandahar en Afghanistan s'était vantée un temps de ses origines alexandrines : abréviation de "Iskandahar". Mais cette étymologie et cette aitiologie (histoire des origines) n'avaient jamais convaincu.
L'identification de Kandahar à Alexandrie n'est pas remise en question, autant que je sache. Il est indéniable qu'une grande ville hellénistique se cache sous elle : on y a trouvé du matériel hellénistique dont des bases de statue, etc. De plus, c'est à Kandahar qu'Ashoka a fait dresser l'un de ses édits en
grec. Mais bon, on est pas près d'y faire des fouilles...
Par contre, l'étymologie est remise en question : le nom de Kandahar serait déjà attesté sur les tablettes de Persépolis. La ville aurait donc soit repris, soit conservé son nom antérieur. Après tout, ce n'est pas la première fois qu'une cité se fait connaître par deux nom, l'un officiel, l'autre local et/ou antérieur, comme par exemple Byzance/Constantinople/Istanbul.
Alain.g a écrit :
le Coran ne fait-il pas allusion au conquérant mythique ? . . . . Tous les musulmans lisent donc et apprennent qu'Alexandre etait le protégé de Dieu, lequel lui avait conféré la puissance.
Le Coran ne parle pas d'Alexandre, mais d'un personnage mystique surnommé le Bicornu dont on a bien du mal à voir une analogie avec le célèbre conquérant.
Par contre, très vite, en pratique dès qu'Antioche, Alexandrie et autres villes grecques se sont soumises et en partie converties, des exégètes vont effectivement assimiler le Bicornu à Alexandre. Tandis que les Juifs convertis y verrons Moïse, et les Perses Zoroastre, etc. Néanmoins, grâce à cela, il est vrai qu'Alexandre a bénéficié dans l'Islam d'une bonne image, d'autant que l'hellénisme étant une des composantes majeur de la culture dite arabe, et que l'Arabie elle-même n'a pas eu à subir l'horreur de l'invasion macédonienne. C'est par l'intermédiaire arabe que le Roman d'Alexandre va se populariser dans tout l'Orient, en version arabe, puis persane, puis au-delà encore jusqu'en Extrême Orient, faisant de ce mauvais roman une des œuvres majeure de l'humanité ! Néanmoins, après cela, la Perse musulmane va effectivement monter Alexandre au rang de héros national, déclinant la tradition grecque dans toute une ribambelle d'adaptations, Alexandre devenant un personnage digne des Mille-et-une-Nuit, archétype du souverain bon et généreux. Il sera même intégré aux généalogies princières. Mais il s'agit vraiment d'un retournement d'opinion : nous sommes là au mieux un millénaire après la mort d'Alexandre, alors que je mentionnais les destructions immédiates, entre 323 et 300 pour donner des dates.
Il faut donc se pencher sur l'image d'Alexandre
pré-islamique.
Le premier indice est fourni pour la tradition indienne Dans le mahabaratha (et dans quelques autres poèmes plus récetns) apparait un étrange guerrier maléfique nommé Kâlayavana (Yavana est le nom indien donné aux Grecs, Kala signifie "lié au temps de la mort"). Certes, c'est de la poésie indienne, donc un mythe intemporel et sans géographie, et il faut vraiment faire preuve d'imagination pour identifier Alexandre et ce Kâlayavana... s'il n'y avait son nom ! Un Grec qui apporte la mort, les Indiens n'en ont pas connu des masses ! Donc si on admet l'assimilitation, l'image d'Alexandre dans l'Inde archaïque (à la louche, entre le IIIe avant et le VIe après, je n'ose pas être plus précis pour sa rédaction) est celle d'un démon guerrier violent.
Second indice, la littérature persanne pré-islamique, c'est-à-dire la tradition zoroastrienne. Pour les Zoroastrien, Alexandre est un démon maléfique, un monstre qui a entre autres brûlés les écrits de Zoroastre. Pour remonter à eux, nous disposons d'une part de quelques textes d'époque variable, mais aussi de la tradition orale zoroastrienne actuelle, telle qu'elle a été conservée chez les Parsis réfugiés en Inde. Je renvois à leur sujet à
La Légende d'Alexandre chez les Parses par J. Darmesteter, 1878. C'est vieux, mais toujours central sur le sujet grâce aux témoignages écrits et oraux qu'il exploite. Pour quelque chose d'un peu plus récent, par exemple l'article de P. Guignou, "La démonisation d'Alexandre le Grand d'après la littérature pehlevie",
Iranica 13, 2007, p.87-97 avec une bibliographie récente (la littérature pehlevie désigne la littérature sassanide, donc encore une fois pré-islamique)
J'aurais souhaité donné un troisième exemple avec la tradition orale sur Alexandre en Afghanistan, mais je ne parvient pas à mettre la main sur une référence. J'avais découvert ça je ne sais plus trop où, dans une note en anglais d'une édition d'un historien d'Alexandre, je ne sais plus lequel. Si quelqu'un sait à quoi je fais allusion, ce serait aimable de préciser.
Pour les populations occidentales, le ressenti est différent puisqu'il n'y a qu'un simple transfert de souveraineté : en Asie Mineure, en Egypte, en Babylonie, la conquête fut assez gentille. Pour les Hautes Satrapie et la campagne de la vallée de l'Indus, c'est une paire de manche, et les populations ont subit de plein fouet les exactions macédoniennes, l'aventure militaire était ponctuée d'une nombre de plus en plus importants de massacre dissuasifs contre des populations farouches et rebelles. Les indigènes n'étaient pas près de l'oublier...