Inscription : 06 Fév 2004 7:08 Message(s) : 3532
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Citer : Je crois que Lentz effectue une comparaison entre le Prince et la stratégie de Napoléon entre 1796 et 1804 - en soulignant la dissimulation des objectifs, le mélange de séduction et de dureté, la solitude du chef qui doit se méfier de tous, etc ... un parallèle intéressant qui se trouve au début du 1er tome de son histoire de l'Empire (j'écris de mémoire car je n'ai pas l'ouvrage sous la main hélas). Sans doute faites-vous ici référence au Grand Consulat de Lentz : « Bonaparte vivait par et pour le pouvoir. Il savait où pouvait le mener son ambition. Il savait aussi avancer à couvert, appliquant à la lettre le conseil de Machiavel : « Tout le monde voit ce que vous paraissez, peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité soutenue par la majesté du pouvoir souverain […] Au surplus, dans les actions des hommes et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutés devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe uniquement à conserver sa vie et son état ; s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde ; le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’évènement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? »« L’intérêt politique d’exécuter le duc d’Enghien nous paraît incontestable, malgré le cynisme d’une telle opinion. Mais nous savons que Bonaparte, tel le Prince de Machiavel, n’en était pas dépourvu. »Dans le cadre de La nouvelle histoire du Premier Empire , Lentz a aussi fait de nombreuses références à Machiavel dans le tome III ( La France et l'Europe de Napoléon - 1804-1814): « Au-delà de ses préférence idéologiques, [Napoléon] déploya des qualités personnelles que n’aurait pas reniées ces chefs des « principautés civiles » décrits par Nicolas Machiavel.« Admirateur de la République romaine, Machiavel appelle de ses vœux un régime de liberté. Mais en tant que théoricien de la politique, c'est-à-dire technicien de la puissance, il suggère une manière de traiter les peuples qui ravale ceux-ci au rang de moyens, la fin étant le maintien au pouvoir des princes ou de la puissance de l’Etat », a analysé Raymond Aron. Bien qu’il date de 1513, Le Prince semble avoir été écrit pour Napoléon. Celui-ci l’avait lu, de même qu’il avait approfondi les autres écrits du Florentin, « un de ses auteurs favoris ». et de ce fait, dans la pratique du pouvoir, il n’hésita jamais à exprimer ce que Machiavel appelait la virtù, terme que l’on peut se contenter de traduire par « vertu ». la virtù, en effet, n’est pas une morale mais un concept politique qui évoque à la fois les talents, la force de caractère, la chance et l’ »adresse heureuse » de l’homme d’Etat. S’il n’était ni plus ni moins cynique que ne furent les dirigeants de son temps et de toutes les époques, la vie bien plus que la philosophie avait enseigné à Napoléon qu’un prince « qui veut se maintenir [doit] apprendre à ne pas toujours être bon. »[…] Napoléon disait lui-même qu’il était « tantôt renard, tantôt lion », ajoutant que « tout le secret du gouvernement consiste à savoir quand il faut être l’un ou l’autre ». Machiavel n’avait pas écrit autre chose : « Le prince [tâchera d’être à la fois renard et lion, car s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges, et s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. » Démarche normale d’un homme d’Etat de ce niveau, Napoléon savait donc décider sans trembler et imposer son point de vue. Il n’hésitait pas non plus à dissimuler, à ruser et à tromper : « Pour l’exécution des projets qu’il allait sans cesse roulant dans sa tête, l’artifice ne lui était guère moins nécessaire que la force », a noté Talleyrand, un expret. L’ancien évêque n’avait pas moins lu et compris que son maître les conseils machiavéliques : « Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuissible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. » L’Empereur suivit sans doute ces recommandations, mais ni plus ni moins qu’un autre gouvernant dans sa position. »« Le gouvernement républicain ne pouvait, sans compromettre sa dignité, faire moins, lorsque l’on complotait publiquement l’assassinat de son chef, que de frapper de la foudre ceux qui avaient osé se lancer dans une telle entreprise », laissa écrire plus tard le proscrit de Sainte-Hélène, comme en écho au conseil de Machiavel : « En faisant un petit nombre d’exemples de rigueur, vous serez plus clément que ceux qui, par trop de pitié, laissent s’élever des désordres. »« Les coalitions antifrançaises ont su et sauront de mieux en mieux emprunter aux fils de la Révolution leurs atouts idéologiques (la nation) et leurs solutions techniques (la conscription). Napoléon a oublié que Machiavel estimait que la prince « échouera si, la nature et les circonstances des temps changeant, il ne change pas lui-même de système », pour ne retenir de son œuvre que ce qui correspondait le mieux à son tempérament : « Il vaut mieux être impétueux que circonspect ; car la Fortune est une femme : pour la tenir soumise, il faut la traiter avec rudesse. »« Il avait dit que, même si les Russes arrivaient sur les hauteurs de Montmartre, il ne céderai pas. Il tient parole et préfère tout perdre plutôt que de plier. Machiavel avait une fois de plus raison : « Un prince qui s’appuie entièrement sur la Fortune tombe à mesure qu’elle varie. »« Tous [les ministres] furent titrés, à l’exception de Portalis et de Forfait, morts avant l’instauration de la noblesse d’Empire : deux barons, quatorze comtes, neuf ducs et cinq princes ; Machiavel conseillait déjà à son prince : « Il faut aussi que, de son côté, le prince pense à son ministre, s’il veut le conserver toujours fidèle ; il faut qu’il l’environne de considération, qu’il le comble de richesses, qu’il le fasse entrer en partage de tous les honneurs et de toutes les dignités, pour qu’il n’ait pas lieu d’en souhaiter davantage ; que, monté au comble de la faveur, il redoute le moindre changement. »« Les fêtes civiles, officielles et fixes, furent liées aux évènements du règne ou à ceux de la vie du souverain : anniversaire de l’empereur, anniversaire du couronnement et de la bataille d’Austerlitz (2 décembre) : « Le prince doit, à certaines époques convenables de l’année, amuser le peuple par des fêtes », écrivait Machiavel. »« Il n’y a que les militaires qui ont de l’honneur, devait en substance se justifier Napoléon à Sainte-Hélène. Il aurait pu citer aussi Machiavel qui écrivait : « Un prince doit se montrer amateur de toutes les vertus, en récompensant ceux qui les manifestent et honorer ceux qui se distinguent dans leur profession […]. Il doit faire espérer des récompenses. »« Féru d’histoire, Napoléon n’a tiré aucune leçon du passé. « Le prince doit lire l’Histoire, y considérer les actions des hommes illustres, examiner leur conduite dans la guerre, rechercher les causes de leurs victoires et celles de leurs défaites, et étudier ainsi ce qu’il doit imiter et ce qu’il doit fuir. », avait pourtant conseillé Machiavel. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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