Benoît Lemay est spécialiste d'histoire militaire. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment une biographie d'Erich von Manstein, publiée aux éditions Perrin en 2006.
Lemay aborde les préparatifs de Barbarossa dans les pages 199 à 203. Il révèle l'existence du plan "Otto", un précurseur du plan "Barbarossa".
Le général Halder, chef d'état-major général de l'OKH, dès la fin mai 1940, alors que la victoire de l'Allemagne sur la France ne laissait plus aucun doute, envisageait d'amorcer les préparatifs pour une guerre à l'Est. A la mi-juin, il élaborait, avec l'aide d'officiers de son état-major général, un plan pour une prochaine campagne militaire. Achevé le 19 juin, ce plan prévoyait une guerre éclair en URSS dès la fin de l'été 1940, avec 80 divisions et 400 000 hommes placés en réserve. Halder projetait une campagne militaire de neuf semaines tout au plus. Même s'il s'agissait d'une campagne limitée, il était prévu de s'emparer de Moscou, de Leningrad et de Kharkov.
A l'instigation de Halder, le général Brauchitsch, commandant en chef de l'OKH, entreprenait, le 25 juin, le redéploiement de la 18eme armée en Prusse-Orientale.
Hitler ne fut informé de ces préparatifs que le 21 juillet. Frappé de stupeur, le Führer apprenait alors de Brauchitsch que l'OKH avait déjà préparé une campagne militaire contre la Russie bolchévique. Selon Brauchitsch, 80 divisions de première ligne et 20 divisions en réserve suffiraient pour l'opération. Les Russes, soutenait-il, ne possédait que 50 à 75 bonnes divisions. Pour l'instant, affirmait-il fièrement à Hitler, l'armée disposait sur le front de l'Est d'effectifs qui pouvaient être accrus jusqu'à 60 divisions (42 d'infanterie et 18 rapides). Les préparatifs du déploiement ayant commencé le 19 juin, il mentionnait à Hitler que la Wehrmacht pourrait entreprendre une guerre éclair contre l'URSS quatre ou six semaines plus tard, c'est à dire vers la fin de l'été 1940. L'objectif était d'envahir les pays baltes, la Biélorussie et l'Ukraine avant les premières boues automnales. Il tablait donc sur une campagne expéditive de deux mois tout au plus.
Le 31 juillet Hitler convoquait au Berghof ses chefs militaires pour leur annoncer sa décision d'attaquer l'URSS. Mais, à la campagne planifiée par Halder et limitée à 80 divisions de première ligne et 20 divisions de réserve, Hitler préférait une opération militaire de plus grande envergure dans laquelle 120 divisions de première ligne et 20 divisions de réserve seraient affectés à l'ensemble des opérations sur le front de l'Est. Cependant, pour des raisons logistiques et opérationnelles, à cause notamment de l'augmentation des effectifs de 100 à 140 divisions, des énormes difficultés de transfert du gros de l'armée de l'Ouest vers l'Est et du mauvais état des voies de transport en Pologne, l'offensive projetée en Russie soviétique était remise au printemps 1941.
CNE503 a écrit :
Jusqu'à plus ample informé (la réunion "fatidique" du 21 juillet 1940, quand on daignera nous donner des éléments sur son côté "fatidique" ?), j'en reste là.
Est-ce que vous m'autorisez à redire ce que j'ai indiqué récemment ?
CNE503 a écrit :
Faire un plan ne coûtait rien... A l'heure actuelle, qui sait, on a peut-être un plan d'invasion de l'Allemagne, de la Syrie ou de la Chine qui traîne dans un placard ? Ca ne préjuge en rien d'une volonté absolue de l'OKH d'en découdre avec les Soviétiques au plus vite et dans n'importe quelles conditions.
Brauchitsch, avec l’aide de Halder, ne se contente pas de rédiger un plan intitulé "Otto" ; il veut convaincre Hitler que le plan doit être lancé à la fin de l'été 1940 ; il n'a pas caché son enthousiasme à Hitler lors de la rencontre du 21 juillet. Le Führer est frappé de stupeur. De toute évidence, c'est un plan d'invasion de l'Union soviétique. Dans le cas contraire, comment expliquer l'étonnement de Hitler ?
CNE503 a écrit :
Le dispositif mis en place au cours du mois de juillet ne peut laisser croire à une intention offensive allemande tant il est faible.
Le dispositif est insuffisant, mais il est loin d’être négligeable.
Si le dispositif est incomplet, c’est probablement parce que Halder et Brauchitsch ( H & B ) ont sous-estimé le temps nécessaire pour réaliser le redéploiement de l’Ouest vers l’Est. Quoi qu'il en soit, H & B savent bien que le déploiement ne pourra pas être terminé avant la fin de l'été.
CNE503 a écrit :
Le dispositif mis en place au cours du mois de juillet ne peut laisser croire à une intention offensive allemande tant il est faible.
Difficile vraiment d'y voir une volonté résolument agressive, ou le début d'une montée en puissance censée permettre à l'Allemagne d'engager les hostilités dès le fin de l'été.
Voir donc dans ce redéploiement de la 18. Armee les prémices d'une agression des Soviétiques lancée par l'OKH me paraît donc particulièrement capillotracté.
Le moment est venu pour les passionnés d’histoire de faire un choix. Il faut choisir entre deux hypothèses qui s’excluent mutuellement :
- Le redéploiement au cours du mois de juillet ne relève pas d’une intention offensive. Brauchitsch a menti à Hitler le 21 juillet. C’était un canular. Brauchitsch était un homme facétieux.
- Le redéploiement au cours du mois de juillet témoigne d’une intention offensive. Brauchitsch n’a pas menti à Hitler le 21 juillet. Il n’a pas bluffé lorsqu’il a parlé à Hitler d’une offensive qui pouvait commencer avant l’automne 1940. Encore faut-il qu’il parvienne à obtenir l’autorisation du Führer. C’est l’enjeu de la rencontre du 21 juillet.
CNE503 a écrit :
"June also saw Soviet forces occupying the Romanian regions of Bessarabia and northern Bukovina, heightening German fears that Soviet ambitions might extend as far as Romania's oil fields at Ploesti, which were vital to Germany's war economy.
With these concerns in mind, and indeed before the Soviet armies had completed their occupations on the Baltic and in Romania, the first operational plans were drawn up to provide contingencies in the unlikely event of a Soviet attack. This first plan envisaged an offensive type of defence, which placed emphasis on blunting the initial attack and then launching a counter-offensive at the earliest possible opportunity".
Quelle est la quantité d'hommes et de matériel qui est nécessaire pour mettre en oeuvre ce plan défensif ?
CNE503 a écrit :
("On 26 June the transfer of the 18th Army was ordered from the west to shore up Germany's eastern defences, with the bulk of its 15 divisions in place by the end of July", op. c., p.34).
Effectivement, l'OKH émet une instruction pour le déploiement de la 18. Armee, qui adopte un ton plus offensif et constituera ultérieurement la base de travail pour la planification de "Barbarossa".
Si l'OKH émet une instruction pour le déploiement de la 18. Armee, en adoptant un ton plus offensif, on peut supposer que nous sommes en présence des prémisses de la grande offensive planifiée par H & B.
CNE503 a écrit :
une source d'inquiétude pour la situation dans les Balkans, les approvisionnements stratégiques du Reich et la sûreté des provinces orientales du Reich.
Raison de plus pour envahir la Russie et anéantir l'Armée rouge. C'est sans doute le meilleur moyen pour annihiler la menace qui pèse sur les Balkans.
Pourquoi faudrait-il attendre l'année suivante (i.e. 1941) pour passer à l'action ?
Comme le dit Lemay :
« Tant pour Halder que pour Brauchitsch, la guerre avec l'ennemi idéologique de toujours, la Russie bolchévique, devait avoir lieu tôt ou tard. Par conséquent, il était préférable de le frapper avant qu'il n'eut achevé ses réforme militaires. »CNE503 a écrit :
aiguillonné par la conquête rapide des pays baltes et surtout de la Bessarabie roumaine, Hitler nourrit dès le mois de juin 1940 de fortes appréhensions concernant une intrusion soviétique dans les Balkans.
Cela me semble plausible. Ni Hitler ni la Generalität ne croient à la perspective d'une grande offensive soviétique contre le territoire allemand. Tout au plus une intrusion dans les Balkans.
Alain.g a écrit :
La thèse de CNE503 a l'avantage de bien s'articuler avec le clash de l'entrevue Hitler-Molotov du 12 nov. 1940.
La thèse de Lemay me convient tout à fait. L'OKH élabore un plan au début de l'été en espérant que les préparatifs seront terminés avant la fin de l'été. Le plan n'est pas approuvé par Hitler. C'est vraissemblablement le calendrier de l'offensive qui est trop ambitieux aux yeux du Fuhrer. Quelques mois plus tard Hitler et Molotov se rencontrent à Berlin. Hitler est outré par les exigences que lui révèlent le ministre soviétique. C'est le clash.
CNE503 a écrit :
des auteurs très sérieux (dont Gorodetsky) mentionnent l'existence d'une ébauche de plan pour une guerre à l'est dans la seconde quinzaine de juin 1940, à des fins que j'analyse avec les sources à ma disposition comme étant défensives.
Ce n'est donc pas une invention complète, mais plutôt une exagération de l'autonomie de l'OKH par rapport à Hitler dans sa genèse et surtout une inversion totale de son but, défensif, en une intention agressive contre l'URSS.
Il vous sera difficile de prouver cette « exagération de l'autonomie de l'OKH par rapport à Hitler » au début de l'été 1940.
CNE503 a écrit :
Des recherches plus approfondies semblent indiquer qu'"Otto" serait une création soviétique d'après-guerre, montée pour des motifs idéologiques ; un "brise-glaces" inversé en quelque sorte...
Je ne vois pas comment Otto pourrait servir l'idéologie soviétique. Cela me semble impossible. La théorie du "brise-glace" a bénéficié d'une large couverture médiatique pendant la guerre froide, ce qui ne fut pas le cas du plan Otto. La médiatisation aurait été nécessaire pour que Otto s'apparente à un grand "brise-glace" inversé.
CNE503 a écrit :
Des recherches plus approfondies semblent indiquer qu'"Otto" serait une création soviétique d'après-guerre
Quels sont les historiens qui ont participé aux "recherches approfondies" ? Le résultat des recherches a-t-il été publié dans des revues spécialisées ? Le résultat des recherches a-t-il été présenté lors d'un colloque ?
Daniel Laurent a écrit :
Une discussion parallèle au sujet de "Otto" s'est engagée sur le forum
Livres de Guerre :
http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... ndex=52543Je peux cependant préciser qu'une discussion de 2007 sur ce forum avait fait apparaître un ajout soviétique au journal de Halder, montrant une volonté tout politicienne de prouver l'ancienneté et la permanence des desseins sournois de Hitler contre l'Allemagne et de la volonté éternelle du Reich de violer le pacte. Il n'apparaissait pas dans cet extrait l'idée d'une cachotterie des généraux vis-à-vis de Hitler pendant deux mois, mais ce pouvait être soit la partie émergée d'un iceberg (tout ce que le KGB ou telle autre officine a éprouvé le besoin de faire affleurer pendant la guerre froide), soit l'amorce d'une histoire romancée qui n'a fait que croître et embellir, l'affaire se complétant et du début de la cachotterie (avec pleine initiative de Halder) en mai, et de sa fin théâtrale le 21 juin devant un Führer petit garçon, faisant retomber les choses sur leurs pieds "marxistes" d'une histoire faite non par les individus, mais par les classes ou les castes.
Une discussion en 2007. De là à dire que le plan "Otto" est une falsification stalinienne....
Daniel Laurent a écrit :
A ma connaissance, mais pas mes sources sous la main, ce "plan Otto" est une pure falsification stalinienne.
Pure falsification stalinienne, cela reste à prouver.