Maurice Barrès, de nos jours, est un nom sinon tombé dans la désuétude, du moins souvent dans le mépris; il rappelle trop l'affaire Dreyfus, le meneur de la Ligue des Patriotes, ayant succédé à Déroulède, le nationalisme, mot trop souvent rapporté comme maurrassien à tel point qu'on en oublie que Barrès avait forgé son propre nationalisme, et finalement, tout ce que la République appelle a redouter.
Pourtant, Barrès, ce ne fut pas que le pourfendeur de Dreyfus. L'héritage qu'il laissa après sa mort nourri des esprits comme ceux de Mauriac, Aragon, Drieu, Camus. Son influence magistrale sur toute une époque aurait du assurer la vitalité de son nom dans l'histoire, mais la place qu'il joua dans l'affaire Dreyfus le condamna aux yeux de la République et de la postérité.
Pourtant quelle vie que celle de Barrès ! Sa jeunesse, son ascension dans le journalisme, son dandysme font curieusement penser au jeune George Duroy de Maupassant, ambitieux et aux débuts sans éclats, malgré une voie toute tracée par les parents d'homme de droit. Intelligent et excellent critique, il se fit un nom dans les milieux littéraires, et se jeta, pris dans le tourbillon boulangiste, dans la politique, sous le nom de " socialiste révisionniste ". Cet homme exceptionnel, dans la tradition d'un Saint-Simon, d'un Hugo ou d'un Lamartine, met tout son verbe en combat, et jusqu'à sa mort, bien après la mort du général Boulanger et la désintégration du parti révisionniste, il garda son poste de député, auquel s'ajouta celui d'Académicien, venant couronner l’auteur de la trilogie du Culte de Moi.
Socialiste, il s'en réclame dès ses débuts politiques, déviant cependant de l'internationalisme du parti socialiste pour un socialisme national, anarchiste, on le découvre dans son oeuvre L'ennemi des Lois, nationaliste, il s'en réclamera, à tel point que Romain Rolland le désignera comme le " rossignol du carnage ". Parcours qui semble contradictoire, et pourtant qui colle parfaitement avec la contradiction du personnage. Sa devise favorite n'est-elle pas " Tout désirer, tout mépriser " ? C'est un éternel écorché, dont la blessure de l'humiliation de sa Lorraine natale nourrira ses tendances nationalistes et parfois xénophobes, et c'est avec difficulté qu'aujourd'hui l'on peut comprendre sa complexité.
Barrès fut antisémite, à n'en pas douter, et lors de sa candidature à Nancy, s'il s'opposa à un candidat antisémite de droite s'était pour revendiquer un antisémitisme plus profond. Quand le Barrès qui écrivait « nous ne sommes pas une race, nous sommes une nation » bascula dans le Barrès capable de prononcer que " que Dreyfus soit coupable, je le tiens de sa race " ? Ou alors est-ce une simple évolution du Barrès " de la revanche " au Barrès du nationalisme ? Je pense que le Barrès de la revanche bascula totalement dans le nationalisme antisémite lors de l'affaire Dreyfus, mais l'affaire Dreyfus ne bouscula-t-elle pas toutes les anciennes positions idéologiques des partis ? N'est-ce pas à ce même moment que la gauche, qui jusqu'à là ne cachait pas son inimitié du juif bourgeois, bouscula radicalement de position sous la pression de Blum ? Certes si, et cela a pour essence un sujet encore plus enfoui, celui de l'armée. Effectivement, Barrès vit, dans la défense de Dreyfus, l'attaque de l'armée, la critique de l'institution qui servirait à la revanche, et il ne pouvait, dans cette vision des choses, qu'utiliser tout son verbe et mobiliser toute sa haine contre l'auteur de ces injures.
En parlant de cette affaire, en conclusion, voici ce qu'en disait Barrès : " Si Dreyfus et ses amis écrivent l'histoire et les manuels scolaires, vous patriotes qui me lisez, moi qui vous parle, nous ne serons que des fripouilles devant les siècles. "
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