Vous prenez le problème à l'envers. La carte proposée est issue non de l'Odyssée, mais des exégètes antiques d'Homère. Les limites du monde physique odysséen sont étroites, centrée sur l'Egée, et ne va guère au-delà de l'Egypte (avec Ménélas) et la Sicile (Ulysse à son retour se fait passer pour un naufragé en provenance de Sicile). A remarquer d'ailleurs que Sicile et Egypte sont absents de la géographie de l'Iliade... Mais au-delà de ces extrêmes, l'auteur abandonne toute donnée concrète. On tombe dans la géographie mythique, au-delà de l'oikoumène. C'est d'autant plus marquant qu'il y a un certains nombres d'emprunts aux cycles antérieurs des Argonautes plutôt tournés vers l'orient pour leur part (les Cimmériens, Circé fille de Médée qui règne à Aiaia, homonyme de l'île de Colchide...).
Avec le développement de la colonisation et le développement des échanges avec l'extrême occident, les Grecs eux-mêmes vont chercher à retrouver des traces de la navigation d'Ulysse, et tenter d'identifier les étapes de son voyage au fur et à mesure que leurs connaissances se précisaient. D'où l'apparition dès le Ve de ce type de représentation géographique pour une navigation fantasmagorique. Représentation qui varie d'ailleurs d'un auteur à l'autre (cf. par exemple les Sirènes sont placée en général en Campanie). Aux V-IVe, les principales étapes sont plus ou moins admises (les iles Eoliennes pour Eole, la Sicile pour Polyphème et les Lestrigons, le monde des morts en Campanie, Charybde et Scylla dans les détroits, les Lotophages en Libye) mais toujours débattus.
Bref il ne s'agit pas du tout d'une géographie homérique, mais d'un transfert au pire totalement arbitraire (et cette carte m'étonne beaucoup, assez éloignée de la vulgate alexandrine), soit de la transposition d'un imaginaire postérieur, en l'occurrence hellénistique. Victor Bérard s'était déjà amusé à "reconstituer" sur une carte ces voyages; ce n'est pas franchement ce qu'il a fait de mieux. Méthodologiquement, pour moi, c'est une aberration anachronique, totalement déconnectée du texte et du contexte.
Tout les grands mythes grecs originellement flottant au-delà du monde connu ont subi le même processus, au rythme des découvertes et des conquêtes, par exemple la geste d'Héraclès, précisée avec des étapes occidentale (la route héracléenne vers l'Espagne) ou ses aventures au orient (redessinée avec les conquêtes d'Alexandre), précisées au fur et à mesure, et ce jusqu'à assez tard (par exemple Alésia opportunément fondée par Héraclès pour faire plaisir à César, et tant pis si on le fait dévier un max...). Le geste des Argonautes porte de manière très nette la trace de ces bricolages et de ces interprétations géographiques pas toujours très heureuses, avec une hésitation permanente entre orient et occident, qui transparait encore dans les épopées qui nous sont parvenues.
Si ces placements plus ou moins arbitraires, souvent politisés par les colonisateurs ou leurs partenaires ont une réalité pour leur siècle, elles n'en ont aucune aux siècles antérieurs.
Bref, on pourrait faire une carte des voyages d'Ulysse selon tel ou tel auteur du Ier, du IIIe ou du Ve, ça OK, voire même une carte imaginaire des voyages d'Ulysse selon l'Homère de l'Odyssée, mais dès qu'on la transpose dans une géographie réelle, on la force dans un schéma qu'elle n'a pas; l'auteur de cette partie de l'Odyssée choisit justement de quitter le monde connu (uniquement dans la partie consacrée aux voyages d'Ulysse; par contraste révélateur justement avec les voyages de Télémaque, la vengeance contre les prétendants et même l'Iliade en son ensemble, qui eux sont ancrés dans une géographie très concrète).
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