Pédro a écrit :
Je n'envoie personne au bûcher, même pas symboliquement, c'est dire. Mon intention est ailleurs ; je souhaite montrer la pertinence de l'étude des représentation d'Alexandre qui sont certes nulles quand il s'agit d'appréhender le personnage et son époque, mais tellement révélatrices des sociétés qui les ont produites. En temps que romaniste la partition Orient/Occident joue à plein et les mentalités en sont totalement imprégnées depuis au moins le legs d'Attale. C'est dans l'Empire que naît, me semble-t-il, l'idée de partition entre deux sphères du monde, chacune incarnée par des caractères assez contrastés. C'est alors que la résonance de l'opposition entre deux univers inconciliable à pris corps et dépassé la représentation grecque centrée sur son particularisme en rupture avec le roi des rois. De ce fait, pour un Romain cultivé, l'épopée d'Alexandre c'est la marche de la liberté et de la vertu contre l'esclavage, rien de moins. Il est certain qu'Alexandre est bien loin mais son entreprise, à l'aune de ce nouvel échiquier géopolitique trouve un message qui n'existait aucunement. En cela il est assez fondamental d'étudier ce rapport référentiel qui est tellement explicite en ce qui concerne les mentalités romaines. Ainsi, il est certain qu'Alexandre, durant l'époque romaine a été fascinant à plus d'un titre.
Vous soulevez plusieurs points très intéressants.
J'ai effectivement souvent lu que le phénomène alexandrin avait été accueilli bien plus favorablement à Rome que dans le monde grec. C'est un peu paradoxal au premier abord quand on pense qu'Alexandre se voulait le champion de la "grécité".
La Grèce continentale a toujours été méfiante ou ennemie de la royauté macédonienne. Ca avait commencé sous Philippe et cela a continué sous Alexandre. C'est l'orateur athénien Démade, pourtant proche du courant pro-macédonien, qui, lorsqu'il entendit une rumeur selon laquelle Alexandre était mort, s'écria : "Ce n'est pas possible : si Alexandre était mort, son cadavre empuentirait l'univers." Quant aux cités grecques d'Asie mineure, elles n'accueillirent pas vraiment Alexandre en libérateur et plusieurs préféraient largement la souple tutelle perse à la domination macédonienne. Alexandre a dû en être très troublé et je me demande à quel point cela a joué dans son abandon du modèle grec et son orientalisation de plus en plus marquée. Et même par la suite et jusqu'à nos jours, la Grèce a toujours eu un rapport très ambivalent vis-à-vis d'Alexandre. Ce n'est que dans les années 90, lorsque la Macédoine issue de l'ex-Yougoslavie se chercha un fondateur et s'appropria Alexandre que la Grèce réagit ; jusque-là, la Grèce avait été pour le moins très circonspecte sur le conquérant macédonien.
A Rome, au contraire, le mythe alexandrin a été accueilli très favorablement, quoique pas par tous. Je connais très mal le temps des empereurs, mais ça commence bien avant, sous la République. Je crois que Scipion imitait déjà Alexandre. Pompée se faisait surnommer "le Grand" et penchait sa tête vers la droite pour singer Alexandre. César a pleuré devant le tombeau d'Alexandre. La propagande augustéenne voulait apparaître l'Empire romain comme l'héritier du rêve de domination universelle d'Alexandre. Ca s'appelait l'
imitatio Alexandri. Et donc ensuite, les empereurs romains comme vous l'expliquez...
Ce que vous dites est également éclairant sur le fait que c'est à Rome, donc de façon anachronique et décontextualisée, qu'est apparue cette dichotomie fondamentale entre "l'Occident" et "l'Orient", et non dans le monde grec du temps d'Alexandre. Ca confirme ce que j'ai lu ici ou là. Alexandre en tant que "champion de l'Occident" est une création
a posteriori, une représentation anachronique. D'où le danger des représentations, vous voyez bien...
D'ailleurs, en parlant de l'histoire des représentation, j'avais oublié de mentionner un autre danger qui est le risque de tomber très vite dans l'ethnocentrisme, et on le voit très clairement dans certaines visions d'Alexandre. Etudier les représentations revient souvent à étudier principalement les représentations de
sa culture. En s'appropriant ces représentations, on en vient à avoir une image complètement faussée de l'objet d'étude...
Alexandre est le créateur du premier empire, car il est le premier "Occidental " à avoir créé un empire.
Alexandre est le premier à avoir mis en relation des peuples différents, car il est le premier "Occidental" à avoir mis ces peuples en relation.
etc. etc.
Une vision complètement faussée de l'histoire, que l'on retrouve souvent y compris dans de fil, une vision qui fait fi de ceux qui l'ont précédé, de ce qu'il en a hérité, du contexte. C'est quand même un grand danger, je trouve...