cush a écrit :
Au risque de choquer, il me semble que la place de la France dans l'Europe de 1945 est aussi (et peut-être surtout) due aux... Soviétiques!
Pas de guerre froide, aucun besoin d'une puissance d'envergure sur le continent et en 1945, la seule puissance à même de tenir ce rôle est... la France.
Il est heureux que les Alliés puissent la compter comme nation victorieuse grâce au ralliement de grandes figures, d'une partie de l'armée et de quelques combats glorieux mais je crains que ce ne soit pas la véritable raison du rétablissement du pays en 1945....
C'est un point de vue intéressant, et pour moi il y a une part de vrai.
Mais tout n'est pas là. Il faut se replacer dans le contexte de la fin 44 et de l'année 45, et la guerre froide n'est pas encore à l'ordre du jour. Je pense qu'il faut regarder le contexte de plus près.
Tout d'abord, l'idée que la France est une grande puissance alliée n'a jamais totalement disparu, malgré la bassesse de Vichy.
Pendant les discussions tragiques de juin 40, Churchill marque déjà clairement que l'Angleterre ne capitulera pas, et fera le nécessaire après la victoire pour que la France soit rétablie dans son statut antérieur. Penser l'Europe future sans la France n'est pas envisageable.
Roosevelt l'envisagera bel et bien, mais il y a là une méconnaissance de la réalité européenne qu'il était presque seul à pousser à ce point.
Au moment de Yalta puis de Potsdam, le souci premier des trois puissances est d'éviter à jamais la résurgence du militarisme allemand, et de dresser des barrières contre cette éventualité. L'Allemagne est considérée comme définitivement malfaisante. Eviter une réédition des drames de de 1914 et de 1940-41 est la priorité numéro un, spécialement pour l'Angleterre et la Russie, traumatisée par l'invasion nazie.
Un rapport d'un officiel américain envoyé en juin 45 faire le tour de l'Allemagne pour faire l'état des lieux établit que "la capacité de l'Allemagne à faire la guerre a été détruite pour une génération." Mais ce n'est pas suffisant (et c'est d'ailleurs sous estimer la capacité des Allemands à rebâtir) et on mijote l'idée d'en faire un état rural, ce qui n'est pas très réaliste. Comme il n'est pas encore question de partition, l'idée la plus présente est celle d'un cordon sanitaire. Dans cette optique la France a naturellement la première place. De même l'idée de déplacer la Pologne vers l'ouest ne choque pas les alliés occidentaux : plus que l'appétit de Staline, ils y voient un resserrement de l'Allemagne. L'expulsion des minorités allemandes procède du même souci : supprimer toute revendication allemande ultérieure. La France profite de ce climat.
En 1948, alors même que la guerre froide commence à battre son plein, la question du réarmement allemand n'aura rien d'une évidence pour les politiques occidentaux, et à fortiori pour leurs opinions publiques. Bref, en 1945 l'Allemagne conquérante - même si elle est détruite - est un fantôme qui hante tous les esprits, une chose qu'on ne veut revoir à aucun prix. Dans cette optique la France a toute sa place et retrouve presque naturellement l'importance qu'elle avait en 1939.
Mais si la guerre froide n'a pas commencé, par contre elle est déjà présente dans les esprits les plus affutés, en particulier celui de Churchill, qui a pu mesurer l'appétit de Staline et ne nourrit aucune illusion sur le sort de l'Europe de l'est, et plus tard dans l'esprit de Truman, qui fera preuve d'un réalisme étonnant par rapport à son parcours, très à rebours de l'habituel angélisme américain que Roosevelt incarnait si bien, et qui avait déjà inspiré Wilson en 1918.
Là je pense que vous avez raison, et que les Américains comme les Anglais, qui n'envisagent pas de maintenir éternellement des effectifs militaires importants sur le continent, envisagent naturellement la puissance française comme indispensable à l'équilibre futur, et immédiatement disponible pour cela, le cas de l'Allemagne n'étant pas tranché. La France reprend donc assez naturellement son rôle politique de premier plan, sachant tout de même que l'Europe occidentale en reconstruction vit dans l'ombre tutélaire des Etats-Unis, mais cela est vrai également pour l'Angleterre.
Cela dit, si les conditions géostratégiques vont naturellement dans ce sens, il reste que la France de De Gaulle a également retrouvé la sympathie des opinions anglo-saxonnes, et qu'on ne lui tient pas rigueur ni de la défaite de 40 ni de l'épisode pétainiste. L'aventure de la France Libre et de la résistance a suscité l'enthousiasme populaire. Les New-Yorkais, par exemple, font un triomphe à De Gaulle au cours de sa visite aux Etats-Unis : pour ces anciens immigrants très conscients de ce que vient de subir l'Europe, le personnage de ce général qui a choisi dès le début le combat pour la liberté, ainsi que les récits sur la résistance qui commencent à se répandre, tout cela reconstruit l'image de la France qu'ils aiment.