Alain.g a écrit :
Que disent les dernières recherches sur le berceau des celtes dont vous faites état par rapport à une origine sur le Danube, un fleuve qui couvre une grande partie de l'europe de la Forêt noire à la mer noire sur 3.000 kms
1- Le modèle Hallstatt – La TèneAu début du 19ème siècle, les historiens considéraient que les Celtes étaient présents en Europe occidentale depuis le début du 2ème millénaire av JC.
La découverte des sites de Hallstatt (1846) et de La Tène (1857) permit aux historiens d’y reconnaître la présence de Celtes, là où Hérodote les situait au Vème siècle av. JC, près de l’embouchure du Danube.
En 1870, les Français Gabriel de Mortillet et le Suisse Emile Desor reconnaissent, parmi les matériaux découverts dans des tombeaux situés près de la ville étrusque de Marzabotto, des fibules et des épées similaires à celles qu’ils avaient récupéré dans les tombes champenoises, et sur le site suisse de La Tène.
Les migrations historiques des Celtes dans le nord de l’Italie au Vème / IVème siècles décrites pat Tite Live sont donc attestées par ces découvertes.
Les historiens du début du XXème siècle, dont le Français J Déchelette, imaginent alors que l’expansion du monde celtique s’est faite, à partir du Vème siècle, par des invasions de populations de culture laténienne.
L’hypothèse de l’expansion des Celtes à partir d’un noyau centre-européen est née.
Un peu plus tard, l’âge du fer est divisé en deux périodes, Hallstatt (~-850 à -450) et La Tène (~-450 à
, le second dérivant manifestement du premier.
L’hypothèse que les cultures se propagent avec les mouvements de population est appliquée également à la période antérieure à celle de la culture laténienne et on arrive à un scenario qui explique l’arrivée des Celtes en Europe en suivant la propagation des cultures successives : culture des Tumuli, culture des champs d’urnes, culture de Hallstatt et culture de La Tène.
Ce modèle est cohérent avec la théorie de l’expansion des Indo-Européens de Marija Gimbutas.
Ce modèle sera « le modèle » presque jusqu’à la fin du XXème siècle, adopté par tous les historiens, avec quelques variations dont certaines très fâcheuses (G.Kossinna).
Il reste encore très présent, notamment sur Internet, pour expliquer l’ethnogenèse et l’expansion des Celtes, car il est clair et simple.
Pour résumer ce modèle :
- les Celtes émergent au début du 1er millénaire avec la civilisation de Hallstatt puis celle de La Tène.
- l’expansion des Celtes se fait à partir de ce noyau centre - européen par migrations de population.
Ce modèle est simple, mais il est aujourd’hui abandonné.
Au moins d’après tout ce qu’ont écrit tous les chercheurs depuis 15 ans.
2- Le modèle « Hallstatt – La Tène » est abandonné par les historiens
Venceslas KRUTA 2000 - Les Celtes pages 124, 135 et 320L’attribution de la culture de Golasecca à des populations de langue celtique porta un coup probablement décisif à l’édifice fragile et assez peu cohérent de l’hypothèse d’une expansion qui se serait effectuée à l’âge du fer à partir d’un foyer centre-européen.
…
Or, il apparaît de plus en plus clairement que, quel que soit le modèle adopté pour expliquer l’implantation des langues celtiques, leur extension et leur enracinement profond même dans des régions où est attestée l’existence d’un fort substrat non indo-européen ne permettent pas de considérer comme pouvant être le résultat d’une diffusion tardive, réalisée à partir de la fin du IIème millénaire av. JC depuis un seul noyau centre-européen.
…
Il fallait donc en conclure que le peuplement celtique de la Péninsule [ibérique] s’appuyait sur un noyau installé dans les régions centrales au moins depuis l’âge du bronze et qu’il constituait un groupe culturellement autonome par rapport au monde hallstattien et laténien, du moins du point de vue archéologique.
…
Le noyau initial des Celtes était jusqu’ici identifié à la culture de Hallstatt. Il faut reconsidérer radicalement les idées sur les racines et l’évolution
Barry CUNLIFFE 2010 – Celtic from the West page 35Il est possible que cette brève phase d’interaction – entre la communauté du Campaniforme, la culture de la Céramique cordée et la culture tardive de Yamnaya – soit l’époque pendant laquelle émergèrent les Celtes.
Raimund KARL 2010 – Celtic from the West page 41Ce modèle [supposant l’émergence des langues celtiques à partir d’un noyau dur en Europe central] a été fermement critiqué ces dernières années (Pauli 1980 – Collis 2003 pour donner deux exemples). […] Comme tel, ce modèle est largement rejeté aujourd’hui.
Stephen OPPENHEIMER 2010 – Celtic from the West page 41L’opinion courante situant l’origine des Celtes [en Europe Centrale] est un des derniers mythes archéologiques nés au 19ème siècle.
Sabine RIECKHOFF 2010 - Colloque de synthèse – Bibracte 12/6 page 30 Il est tout à fait stupéfiant, mais c’est un fait malgré tout que la conception de Déchelette reste jusqu’à nos jours la base de toutes les cartes de répartition, sur lesquelles les Celtes se propagent en étoile dans toutes les directions à partir d’une soi-disant région « originelle ».
Daniele VITALI 2010 - Colloque de synthèse – Bibracte 12/6 page 37Les modèles migrationnistes traditionnellement invoqués pour résoudre la question des Celtes d’Ibérie ont été relativisés, sinon abandonnés au profit de modèles de formation et d’évolution sur place par des processus d’acculturation et d’interaction de longue durée.
Daniele VITALI 2007 – Les Celtes d’Italie page 71/72Cet acquis [le processus de formation de la celticité déjà en cours à l’époque de la culture des Tumuli] marque la crise du modèle du XIXe siècle qui, depuis 1872, avait identifié les Celtes avec la civilisation du Hallstatt centre occidental et avec celle de La Tène… Des physionomies culturelles cohérentes, mais fort différentes entre elles, peuvent ainsi être l’expression de peuples parlant une langue celtique ; c’est le cas de Golasecca et des peuples de la façade atlantique et de l’intérieur de la péninsule ibérique, dont les processus de formation ont été remontés au moins jusqu’à l’âge du bronze.
Patrice BRUN 2006 - La Préhistoire des Celtes – Bibracte 12/2 page 32 et 34Je propose ici de situer l’émergence de la famille des langues celtiques au IIIème millénaire av.JC.
Si les régions où l’on parle encore des langues celtiques, ou bien dans lesquelles subsistent des toponymes celtiques, à l’extrême ouest de l’Europe, n’ont pas été celtisées après 1600 av. JC, elles n’ont pu l’être qu’avant.
Patrice BRUN 2010- Les Celtes à la lumière de l’archéologie - INRAPEn effet il semblerait que l’histoire celte remonte au troisième millénaire avant notre ère alors qu’un vaste réseau de communautés utilisant des langues celtiques se développait grâce à des échanges et des contacts intensifs. Cette hypothèse permettrait alors de mieux comprendre l’évolution historique distincte des deux ensembles culturels celtiques durant la protohistoire.
Pierre Yves MILCENT 2006 - La Préhistoire des Celtes – Bibracte 12/2 page 102Le berceau civilisateur laténien et le préjugé d’une diffusion culturelle et/ou ethnique centrifuge … n’ont jamais existé, sinon dans l’esprit de nombreux chercheurs depuis le 19ème siècle.
Xaverio BALLESTER 2012 - Aires linguistiques – Aires culturelles page 93Les théories traditionnelles, qui situent l’origine des peuples et des langues celtiques en Europe centrale, ne s’appuient pas sur une documentation archéologique, historique ou linguistique suffisante. [ ...] La théorie d’une origine atlantique des langues celtiques … est de loin la plus convaincante.
Fabien RÉGNIER 2012 - Les peuples fondateurs à l’origine de la Gaule – page 73Il paraît très vraisemblable que ce soit dès l’époque du campaniforme (seconde moitié du IIIe millénaire av. JC) que la culture celtique se soit formée et ait pu entreprendre sa première phase d’expansion.
Martin ALMAGRO GORBEA 2005 - The Celts in the Iberian Peninsula – page 200(Cité par Alberto J.Lorio)
Almagro-Gorbea ne croit pas que la solution consiste à chercher les origines des Celtes d’Ibérie avec la civilisation des champs d’urnes ou avec la théorie classique qui suppose que les Celtes sont arrivés en Ibérie avec les cultures de Hallstatt D et de La Tène.
Ces théories n’expliquent pas l’arrivée précoce des Celtes dans l’Ouest de l’Ibérie.
Selon Almagro-Gorbea, la meilleure solution serait de “relier les Celtes à une large, fluide et polymorphe culture Proto-Celtique de l’âge du bronze atlantique”
John KOCH 2011 – Tartessian 2 – page 6Dans des conférences tenues au printemps et en été 2008, j’ai présenté des études préliminaires sur le Tartessien et j’ai considéré que la théorie de Barry Cunliffe des « Celtes Atlantiques » était la meilleure hypothèse de travail.
Sans citation : John COLLIS, Brian RAFTERY, Mario ALINEIEn face de ces négations de l’ancien modèle, je ne connais pas d’historien qui depuis 2000, continue de le soutenir.
Le problème est que, autant il y a consensus sur l’abandon de l’ancien modèle, et sur la présence de locuteurs de langues celtiques au plus tard au IIème millénaire dans quasiment toute l’Europe de l’Ouest, autant il n’y en a pas sur un nouveau modèle, avec plusieurs écoles divergentes.
3- A propos du DanubeHérodote (II,33)
« L’Istros (le Danube) vient du pays des Celtes et de la ville de Pyréné, et partage l’Europe en deux. Les Celtes habitent au-delà des colonnes d’Héraklès et sont les voisins des Cynésiens, le plus occidental des peuples de l’Europe. » Traduction tirée de l’article de Stéphane Verger dans Bibracte 12/2.
Ce texte a donné lieu à de nombreuses interprétations :
Il comprend 2 indications sur la localisation des Celtes.
L’une est précise, «Les Celtes habitent au-delà des colonnes d’Hercule », c'est-à-dire au sud de l’Ibérie.
L’autre est plus ambigüe, « l’Ister, prenant sa source au pays des Celtes et de la ville de Pyrene ». Il faut admettre que la ville de Pyrene n’a rien à voir avec la chaîne de montagne des Pyrénées et on interprète donc que des Celtes habitaient autour de la source du Danube.
Il est fascinant de voir que :
- la citation ambigüe d’Hérodote a aidé à valider que les découvertes archéologiques de Hallstatt et La Tène correspondaient aux Celtes,
- et que la citation précise d’Hérodote a été occultée pendant longtemps sous prétexte qu’on ne trouvait pas au sud de l’Ibérie de traces …laténiennes !
En tous cas, jamais Hérodote n’a dit que l’origine des Celtes était sur le Danube. Il a seulement dit que la source du Danube était au pays des Celtes, ce que tout le monde admet, au moins à partir de l’époque de Hallstatt. Il a dit aussi qu’il y avait des Celtes au sud de l’Ibérie, mais cela a été « oublié » pendant longtemps.