Jerôme a écrit :
L'URSS me semble avoir toujours privilégier ses relations avec l'Amérique au point qu'on a pu parler dans les années 70 d'un " condominium" et n'a guère fait d'effort pour approfondir des relations bilatérales avec les États ouest européens .
Sur le fond, l'assertion est véridique : l'URSS a en effet pratiqué un dialogue bilatéral avec les Etats-Unis. Cette idée de condominium américano-soviétique n'est toutefois apparue clairement dans le discours et la diplomatie soviétiques qu'à l'ère Brejnev. En juin 1973, après les Accords de Camp David engageant une consultation américano-soviétique en cas de crise mondiale, le Ministre français des Affaires étrangères, Michel Jobert, avait dénoncé l'existence d'un tel condominium et l'expression avait été reprise par Brejnev.
Lors de son déplacement à Washington, le premier secrétaire soviétique aurait ainsi affirmé :
Brejnev a écrit :
Nous savons qu'en ce qui concerne la puissance et l'influence, il n'y a que deux nations au monde qui comptent réellement, l'Union soviétique et les Etats-Unis. Quoi que nous décidions entre nous, les autres nations du monde n'auront qu'à s'y conformer, même si elles ne sont pas d'accord.
Source : MORAND, Brigitte,
Cinquante ans de Guerre froide vus par les manuels scolaires français, Paris, L'Harmattan, 2011, pp. 57-58.
Sur la forme, maintenant, il me semble qu'il faille plus de nuances à votre propos : l'URSS a tenté d'approfondir ses relations avec les Etats ouest-européens. Prenons le seul cas de la France pour exemple mais celui de l'Allemagne fédérale et celui de l'Italie seraient tout aussi pertinents (notamment dans le domaine des contrats gaziers). A partir de la présidence du Général de Gaulle, la France a opéré un rapprochement avec Moscou pour trois raisons : elle entendait signifier au reste du monde son statut de grande puissance par sa capacité à dialoguer avec la superpuissance soviétique, elle voulait sortir du carcan des relations diplomatiques que lui avait imposé l'allié américain depuis la fin de la guerre et elle voulait renouveler ses partenariats économiques (Grande et Petite Commissions).
Quant aux Soviétiques, ils étaient enchantés de la politique indépendantiste (voire anti-américaine) du Général : mise en place du processus d'acquisition française de la bombe nucléaire, contestation des directives de l'OTAN et de la politique américaine en Europe, départ des commandements intégrés de l'OTAN, etc. Khrouchtchev a, bien sûr, été l'instigateur de ce rapprochement franco-soviétique, parfois daté dès 1958 mais évident surtout après 1963, mais Brejnev en a été le principal acteur. A l'été 1966, il a lancé un vaste programme diplomatique d'amélioration des relations avec les Etats ouest-européens (AIMAQ, Jasmine, "Domestic and Foreign Roots of Khourchtchev's Diplomacy", 2000). Ce sera, d'ailleurs, cette propension à se rapprocher de tous les Etats ouest-européens, y compris la République fédérale allemande, qui finira par inquiéter les milieux diplomatiques français à la présidence gaullienne et tout au long de la présidence française de Georges Pompidou.
Jerôme a écrit :
Par exemple lors de la crise des euromissiles ( 1979-1986), Moscou a fait le choix d'une négociation bilatérale avec Washington alors qu'elle aurait très bien pu compliquer le jeu atlantique en invitant Bonn ou d'autres à la discussion.
Au contraire, on sait que Moscou a délibérément tenté d'enrayer la crise des euromissiles en dialoguant avec les Etats ouest-européens - notamment en tentant de les convaincre un à un de ne pas déployer sur leur sol d'armes américaines. Brejnev a engagé de telles discussions avec ses homologues ouest-européens (membres de l'OTAN) lors du sommet de l'OMC de Moscou, en octobre 1982. Le problème de la diplomatie soviétique au moment de la crise des euromissiles est qu'elle est éclatée entre des analystes militaires persuadés de l'imminence d'un coup de force américain et des analystes civils, beaucoup plus posés dans leur réflexion, qui avaient envisagé dès 1983 que cette crise n'était qu'un prétexte pour essouffler économique l'Union soviétique et l’isoler sur le plan des relations internationales (HEUSER, Beatrice, "The Soviet Response to the Euromissiles Crisis", 2009).