"Petit" topo sur la salle du trône des Tuileries
Sources :
Nicolas Sainte Fare Garnot, Le décor des Tuileries sous le règne de Louis XIV, 1988
Guillaume Fonkenell, Le Palais des Tuileries, 2010
Documents inédits fournis par Guillaume Fonkenell
Percier et Fontaine, recueil de décorations
Notice Piasa sur le mobilier de la salle du Trône
Sites de la RMN, base Atlas, Joconde
et les contributions des membres du forum "Connaissances de Versailles"
Localisation dans le Palais (n°14 sur le plan)
La Salle du Trône est l’ancienne chambre de parade ou Grande chambre du roi du temps de Louis XIV. Dans la succession des pièces du Grand Appartement c’est la pièce la plus riche.
Vue d’ensemble de la pièce en 1810 (Gallica), d’après un dessin de Percier et Fontaine : « L'Empereur et l'Impératrice, recevant sur leur Trone, les hommages et les félicitations, de tous les Corps de l'Etat ; le lendemain de leur mariage »
Un zoom intéressant ici :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6 ... age.langFRC’est une grande pièce rectangulaire d’environ 9.50 m sur 15 m, sur 7.5 de haut, soit à peu près les dimensions du salon de Mars qui peut donner une idée de cette pièce. Elle s’éclaire sur trois fenêtres sur la Cour des Princes. Les plans montrent également que deux croisées existaient sur le mur du fond, l’une correspondant à une fenêtre donnant sur la terrasse sud du Palais, l’autre sur une porte donnant sur l’antichambre de la chambre du petit appartement du roi.
plan d’Israel Silvestre vers 1668-1673.
Elle a été aménagée entre 1666 (François Girardon est chargé des sculptures des voussures qu’il répartit entre plusieurs équipes d’ouvrier spécialisés dont les Caroni, stucateurs italiens) et 1671, année qui marque la réalisation du plafond par Bertholet Flemal.
La décoration est composée d’un bas lambris en deux parties, avec des cartouches ornés de trophées militaires, de guirlandes et de rosaces. Les portes comportent un riche encadrement surmonté d’un fronton cintré qui accueille les armes royales. Une riche corniche supportée par des consoles sépare les murs du plafond à voussure droite. Les voussure sont rythmées par des pilastres corinthiens alternant avec des médaillons peints ou des cartouches aux armes royales, ornés de rinceaux sur fond d’or et encadrés par des puttis. Aux angles, des victoires à la manière des stucs de l’appartement d’Anne d’Autriche ou de la Galerie d’Apollon au Louvre.
La partie centrale du plafond, dont la composition générale est connue par plusieurs gravures, a été réalisée par Bertholet Flemal ou Flémalle, chanoine de Liège. Elle représente, dans un octogone une allégorie de la religion entourée de génie tenant les emblèmes de la France.
Un des éléments mobiliers de cette pièce sous Louis XIV est constitué par le tapis de l’alcôve de la chambre du roi conservée au Louvre. Son tracé délimite celui de la balustrade que l’on peut voir sur le plan d’Israel Silvestre.
Le tapis du Louvre :
Cette chambre est occupée sans doute pour la dernière fois par Louis XIV le 9 février 1671, qui quitte ensuite les Tuileries. La chambre sert à nouveau sous la minorité de Louis XV entre décembre 1715 et juin 1722.
Avec le retour forcé de la famille royale, la chambre retrouve son rôle de chambre de parade pour Louis XVI, mais uniquement pour la cérémonie du coucher, le lever ayant été supprimé. D’après les relevés faits aux AN par un membre du forum « le boudoir de Marie Antoinette », « Dans cette Grande Chambre on avait aussi disposé un meuble de bois doré qui se trouvait dans la chambre du Roi à Choisy : douze ployants, deux grands fauteuils avec oreillers,un écran,un paravent de Satin blanc avec encadrement de velours cramoisi. Par la suite on fait revenir pour cette pièce les trois commodes de Riesener qui se trouvaient dans le Salon des Nobles de la Reine à Versailles. ».
Par ailleurs Nicolas Sainte Fare Garnot mentionne d’après l’inventaire de 1790, cinq pièces de tenture des loges de Raphaël et trois entre fenêtres (indiqué comme renvoyés au garde meuble en 1792).
Tenture des Loges du Vatican, d’après Raphaël et Jules Romain, Aile droite de La Bataille de Constantin; Paris, manufacture des Gobelins, tissage autour de 1740, 4,85 x 4,55 m; Paris, Mobilier national
© L. Perquis
Après la chute de la monarchie en août 1792, le palais devient le siège du gouvernement de la République. La Grande chambre du roi est transformée en salle d’Archives (1793-1796), en chauffoir puis en salon de conférences (1796-1799).
Après le coup d’Etat de Brumaire (9 novembre 1799), le palais est affecté comme résidence pour les consuls. D’intenses travaux sont alors réalisés par le citoyen Leconte. Un rapport remis en mars 1801 et publié par N. Sainte Fare Garnot nous apprend que « cette pièce formant le premier salon des Consuls (…) fut rétabli. On posa des glaces, des tentures de tapisserie, on restaura les parquets, les portes, ainsi que plusieurs parties des peintures du plafond et sur les boiseries. »
Avec la proclamation de Napoléon comme Empereur des Français le 18 mai 1804, et l’attribution du palais des Tuileries comme résidence de la liste civile, la destination du premier salon change et il devient la salle du trône, fonction que lui conserveront tous les souverains jusqu’à la chute du Second Empire.
Le tableau : La Députation du Sénat romain offrant ses hommages à Napoléon.16 novembre 1805 », réalisé par Innocent-Louis Goubaud en 1807 est considéré comme la représentation la plus fidèle de la salle du trône.
Ainsi que le précise l’article du site Piasa, « L’agencement, la décoration et l’ameublement de la nouvelle Salle du Trône furent confiés aux architectes et décorateurs du gouvernement, Charles Percier et Pierre-François-Léonard Fontaine qui conçurent une ornementation néo-classique inspirée par l’Empire romain et l’Empire carolingien. (…)La Salle du Trône était réservée pour les cérémonies, les audiences solennelles, la présentation des grands corps de l’État et la réception des hommages des Fonctionnaires publics. Napoléon y recevait le Sénat, le Conseil d’État, le Corps législatif, le Tribunat, la Cour de cassation, ou les députations de ces corps. Il y distribuait aussi des décorations de la Légion d’Honneur. L’Empereur recevait soit sur le Trône, soit debout à proximité de la cheminée. Certaines cérémonies se tenaient en compagnie de l’Impératrice. »
Les travaux doivent être menés rondement car la salle du trône est l’un des lieux prévus pour les cérémonies du couronnement, dans un premier temps arrêtées au 9 novembre 1804 puis repoussé au 2 décembre.
Tel que permettent de le voir les documents iconographiques et les éléments d’inventaires auxquels j’ai pu avoir accès, le décor Louis XIV a été pour l’essentiel préservé. Seuls les « signes de la féodalité » ont été remplacés par les nouveaux emblèmes impériaux, le N napoléonien et l’aigle impériale au plafond et en dessus de porte. La peinture de 1807, considérée comme représentation la plus fidèle de la pièce, montre les murs tendus d’une tapisserie des Gobelins, l’histoire d’Esther, sur les cartons de Jean François de Troy. Cette série de sept tapisseries présentant chacune un épisode de l’histoire d’Esther a été tissée une quinzaine de fois, la première entre 1738 et 1744 pour l’appartement de la Dauphine à Versailles.
Le dédain de Mardochée, tapisserie de la salle des Fêtes du Palais de l'Elysée.
Un dossier du consulat de France à New York présente cette tapisserie
http://www.consulfrance-newyork.org/Le- ... -MardocheeLa taille des panneaux disponibles dans la salle du trône des Tuileries laisse cependant penser que l’on a eu recours à la pratique habituelle du redimensionnement de certaines tapisseries pour les faire « entrer » sur ces murs pour lesquels elle n’avait pas été conçue.
D'autres vues et le dessin du trône par Fontaine montrent une tenture constituée d'une succession de palmes encadrant le chiffre impérial, qu'on imagine en borderie d'or sur fond cramoisi. Le dessin représentant l'empereur et l'impératrice en 1810 montre en revanche les tapisseries... Faut-il imaginer une succession meuble d'été-meuble d'hiver?
Les murs latéraux sont représentés en leur centre avec un grand miroir cintré encadré d’une riche bordure.
Pour le mobilier, il a été réalisé avec la plus grande célérité par Jacob-Desmalter sur les dessins de Percier et Fontaine.
On peut distinguer plusieurs phases dans l’ameublement de la pièce.
En décembre 1804, pour le sacre, le mobilier présent comprend : le fauteuil du trône, six fauteuils de représentation, six chaises et trente-six tabourets ployants.
En 1806, les chaises et quatre des six fauteuils de représentation sont retirés, les deux fauteuils subsistants utilisés pour l’Impératrice et pour « Son Altesse Impériale Madame, Mère de Sa Majesté l’Empereur et Roi ». La salle du Trône peut en effet également servir à ce qui correspondait à la réunion du cercle sous l’Ancien Régime.
En 1807, les six chaises reviennent du Garde Meuble pour les princesses de la famille impériale
Les pliants et les chaises ont disparu. L’un des six fauteuils de représentation a été vendu en 2008. Sa description est visible ici :
http://www.drouot.com/static/drouot_res ... dActu=6519Il était garni d’un damas cramoisi fourni par Camille Pernon et qui a servi dans la salle du Conseil de Fontainebleau.
Un des pliants de Saint Cloud, d’un modèle sans doute proche voire identique à celui des Tuileries, au palais royal de Bruxelles (photo Lebrun)
Le fauteuil du trône des Tuileries est maintenant conservé au musée du Louvre (après un séjour à Malmaison au début du 20e s).
La salle du trône de Fontainebleau offre un aspect très proche de celui des Tuileries ; cette photographie de l’état ancien accentue cette proximité (le trône maintenant présenté est celui de Saint Cloud qui a été envoyé à Fontainebleau avec le dais en 1807).
Cependant le dais des Tuileries est d’un modèle proche mais pas exactement semblable à celui de la salle du trône de Fontainebleau. En effet les enseignes des Tuileries reposent sur un pied à trois têtes et pieds de lion (contre deux à Fontainebleau) et ne comportent pas le N dans la couronne de lauriers. Les armoiries impériales sont brodées sur le manteau du dais. Enfin, les franges sont accrochées directement au couronnement en bois sculpté et doré (une bordure en velours et abeilles existe en plus à Fontainebleau).
Dans le recueil de décorations, de Percier et Fontaine, figure une description complète du trône de l’Empereur au palais des Tuileries qui accompagne la gravure
Le trône de l’Empereur « est un siège en or recouvert de velours violet foncé, enrichi ainsi que le coussin de pied, d’abeilles et d’ornements brodés en or ; il est élevé sur une estrade de trois marches, avec un tapis de velours cramoisi brodé en or. Une couronne de laurier et de fruits en sculpture dorée, surmontée d’un heaume, avec une très riche garniture en plume blanches forme le sommet du baldaquin. La draperie ou manteau impérial, en velours cramoisi, parsemé d’abeilles avec franges et bordures brodées, est doublé de satin violet et sur le milieu au dessus du siège, on voit les armes de l’Empereur, brodées en or et relevées en bosse. Le manteau est suspendu à la couronne et se rattache à deux enseignes impériales, composées de couronnes, d’ornements et d’aigles en ronde bosse, placées sur des socles en or à droite et à gauche du trône. C’est autour de ces enseignes et au bas de l’estrade que se rassemblent et se tiennent debout, pendant les cérémonies, les officiers civils et militaires qui composent la Cour de l’Empereur »
D’autres éléments du mobilier ont été identifiés grâce à la sagacité des membres du forum :
-les lustres ; d’après Daniel Meyer, cité par Lebrun, leurs cristaux sont issus du lustre de la Grande chambre du roi à Versailles qui est dépecé après avoir été envoyé à Paris en l'an V. Ils ornent deux lustres à 24 lumières créés par Chaumont et Valentin.
-Un paravent à six feuilles au Palais Royal de Bruxelles, installé en 1807 et présent jusqu’en 1822 (Merci à Lebrun)
-les chenêts de la cheminée proviendraient de l’Ecole militaire. Entrés au Louvre cette année (2014),
ils ont été réalisés vers 1765-1775. Ils sont dans la salle du trône du palais des Tuileries entre 1809 et 1816, puis au pavillon de Marsan (1833-1870 ?)
Les gravures et dessins montrent également six torchères, d’un modèle proche de celui de celles présentes à Fontainebleau, quatre sur le mur du fond et deux entre les fenêtres. Deux paires d’appliques (un masque d’où sortent quatre branches, sans doute en bronze doré) sont indiquées de part et d’autre des trumeaux de glace sur la gravure du mariage de Napoléon avec Marie Louise en 1810 avec des portières et des rideaux.
Les appliques sur le dessin d’après Percier et Fontaine :
On peut déduire du mobilier de la salle du trône sous la Restauration que l’on y trouvait aussi un écran à cheminée sans doute du même modèle que les fauteuils de représentation et les feuilles du paravent (dont le haut du dossier et des feuilles sont décorés de deux volutes affrontées de part et d'autre d'une palme centrale).
Je suis donc preneur de toute information complémentaire, notamment sur les appliques et la garniture de la cheminée (pour le moment j’y ai placé la pendule de la chambre de l’Empereur)