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Message Publié : 07 Mai 2015 11:48 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Pas de problème. Excuses acceptées. :wink:

Je n'ai pas dit que la puissance économique découlait exclusivement de la puissance politique. Il y avait, bien sûr, une bonne base économique à faire fructifier.

Ce que j'ai dit, c'est que les facteurs politiques, directs et indirects, ont été décisifs.

L'Angleterre n'est pas le seul pays à connaître une poussée de croissance au 16ème siècle.

L'essor de la flotte commerciale anglaise, de même d'ailleurs que sa puissance navale, c'est surtout à partir du milieu du 17-me siècle.

Encore une fois, j'y reviens, une part déterminante de l'expansion anglaise résulte de la capacité de la Royal Navy, soutenue par la Banque d'Angleterre, à éjecter des concurrents et à s'imposer des monopoles.

Prenez le cas du Portugal et de son empire : ce n'est qu'après qu'il s'est détaché des Habsbourgs pour retrouver son indépendance et qu'il conclut une étroite alliance politique avec l'Angleterre qu'il finit par s'ouvre aux produits anglais/britanniques à des conditions tellement préférentielles qu'elles en sont suicidaires pour les agents économiques portugais.
Ce n'est pas une question de blocus mais de facilités/privilèges commerciaux accordés.

Les Habsbourg d'Espagne n'imposaient pas un blocus aux autres nations européennes qui auraient voulu commercer avec leurs colonies américaines. Ils pratiquaient juste le principe de l'exclusif colonial et les marchands qui ne relevaient pas de leurs couronnes n'avaient d'accès commercial à ces colonies américaines que selon les termes accordés par les Habsbourg, ou au moyen de la contrebande.

Ce serait une erreur de croire que les marchandises de tel pays s'imposaient sur tel ou tel marché parce qu'elles étaient les meilleures économiquement. Bien sûr, les critères qualité, coût, "adéquation à la demande", jouaient un rôle important. Mais la politique était décisive.

L'essor décisif de la Grande-Bretagne, qui va en effet lui permettre de laisser sur place ses concurrents d'abord sur un plan qualitatif avant de le faire aussi sur un plan quantitatif au 19ème siècle, c'est à partir des années 1760. Et le fait qu'elle intervienne dans ces années là est tout sauf fortuit. Cela coïncide remarquablement avec la prise de contrôle de l'Inde par les britanniques. L'Inde constituait un géant démographique et économique, de l'ordre de 20 fois plus peuplée que la Grande-Bretagne, avec des richesses gigantesques. Et hop ! Soudainement, c'est open bar exclusif pour la Grande-Bretagne !

C'est cela qui explique très largement l'envolée économique, commerciale, financière et technique de la Grande-Bretagne. L'Inde, principalement, a été la gigantesque vache à lait de l'économie britannique.
Et cette conquête de l'Inde a résulté non pas d'une supériorité technique ou économique de la Grande-Bretagne mais de facteurs politiques nationaux et internationaux : la France qui s'autosaborde en mettant en l'air l'oeuvre du Dupleix et l'Angleterre qui réussit à exploiter cette opportunité avec un homme d'exception, Clive, qui reprend la stratégie de Dupleix.

Sans un de ces événements très localisés, et même personnels, absolument décisifs, l'Histoire aurait été radicalement différente.

D'ailleurs, plus globalement, l'explication du succès économique d'un pays par les vertus de sa population ignore très souvent d'autres facteurs plus objectifs et absolument décisifs.
L'axe rhénan, l'Italie du nord, et d'autres régions d'Europe n'étaient pas moins modernes et entreprenantes qu'une partie de l'Angleterre, en revanche, géographiquement elles étaient sur le continent et donc soumis à plus de contraintes et de menaces que la Grande-Bretagne. Elles étaient aussi fractionnées politiquement voire dominées politiquement, et cela ne permettait pas le type de politique qu'un royaume insulaire et centralisé comme l'Angleterre a pu mettre en oeuvre.

Si je prends l'exemple des Etats-Unis, il est en fait assez comparable à celui de l'Angleterre que j'explicitais avec le rôle décisif de l'Inde.
Dans les 2 cas, on a un énorme influx (pour ne pas dire input) de ressources financières et naturelles gratuites ou quasi-gratuites qui ont dopé de manière phénoménale le développement économique.
Pour les Etats-Unis d'Amérique, cela a été non pas l'énorme rente assurée par l'Inde mais un capital (au sens comptable du terme) extensible quasi à l'infini grâce à la conquête des territoires des Appalaches jusqu'au Pacifique. Pas besoin d'accumuler du capital : ils le prenaient avec leur fusil en s'installant sur de nouvelles terres inhabitées ou en virant les indiens qui y étaient installés.

C'est comme une partie de monopoly où un des joueurs a seul la possibilité de taper dans la banque à volonté.

Enfin, vous évoquez la série de dérouillées guerrières que se serait prises la France entre 1689 et 1815.
Or de dérouillée ou de désastre, je n'en vois guère que 2 : la guerre de 7 ans et la chute de l'empire napoléonien.
Pour le reste, ça finit plus ou moins en match nul, voire en victoire avec la guerre d'indépendance américaine.

Et surtout, je ne vois pas en quoi vous pouvez mettre l'issue de ces guerres sur le compte de l'avance anglaise.
Là aussi, c'est le critère politique et le critère diplomatique qui a été absolument décisif. On n'est pas au temps de la guerre de 100 ans où l'armée d'Edouard III puis celle d'Henri V jouissent temporairement d'une supériorité tactique et techniques.

L'essentiel, c'est la coalition et la qualité de la stratégie que cette coalition permet. Etant continentale, la France doit combattre sur 2 fronts : terre et mer, alors que l'Angleterre peut concentrer l'essentiel de son effort financier et militaire sur mer.

Hormis précisément la guerre de 7 ans où l'Angleterre détruit le 1er empire colonial français, l'Angleterre n'a même pas été l'acteur principal du résultat de ces guerres. Ce sont les puissances continentales qui ont un rôle décisif.
Et là aussi, mettez quelqu'un d'autre que William Pitt l'ancien sur le devant de la scène un peu avant la guerre de 7 ans puis pendant la guerre de 7 ans, quelqu'un d'autre aussi que Louis XV sur le trône de France, et cela change tout.


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Message Publié : 07 Mai 2015 12:48 
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Eginhard
Eginhard

Inscription : 27 Août 2012 15:49
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Je suis absolument d'accord avec Caesar Scipio, qui d'ailleurs soulève le principal atout de l'Angleterre : c'est un île.
Ainsi elle peut quasiment uniquement se concentrer sur sa flotte au contraire de la France et des autres puissances en générales. De plus, cela lui permet de nouer des alliances pour faire contrepoids. Ces alliances pouvaient varier selon la puissance dominante du moment : alliance avec la France au début du XVIIe contre l'Espagne ou la Hollande, alliance avec les ennemies de la France lorsque celle-ci devient une puissance hégémonique, puis alliance contre la Russie au XIXe, puis contre l'Allemagne au XXe...

Après la guerre de cent ans, aucune armée anglais ne pouvait seule tenir tête à l'armée française sur le continent.
Ainsi sur le plan économique, elle s'est accaparer la monopole de la mer. La concurrencer était une quasi déclaration de guerre. Parfois moins que ça, il n'y a qu'à voir ce que sont les guerres de l'opium pour se figurer l'impérialisme commercial et maritime de l'angleterre, ou autre bombardement de copenhague.


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Message Publié : 08 Mai 2015 8:37 
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Tite-Live
Tite-Live

Inscription : 10 Mars 2006 4:35
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@CS

A mon avis, dès 1600, l'Angleterre est déjà une puissance maritime avec laquelle il faut compter. L'épisode de l'English Armada le démontre assez bien, mais la capacité des marins anglais à voler des parts de marché aux Italiens dès 1580 et aux basquo-portugais dès le milieu du XVIe dit la même chose. Il faut aussi se souvenir des grandes compagnies type Merchant Adventurers, Levant etc qui sont toutes actives dès les Tudor. Sans parler de Drake...
Je vous le concède, l'Angleterre, sur mer, n'est pas le Juggernaut qu'elle deviendra plus tard, mais c'est déjà une grosse bête à la mort d'Elizabeth et encore plus au moment de la Révolution. L'humiliation de l'Empire ottoman en 1640, les opérations contre les barbaresques et la très honorable performance durant la guerre anglo-hollandaise démontre que dès avant (ou vraiment juste après) le passage des Navigation Acts les bases de la puissance navale sont jetée. Et il ne faut pas aller les chercher du côté de nos amis de White Hall et de Westminster. C'est une nation maritime déjà puissante qui prend pied en Amérique, dans la Caraïbe et en Asie en 1600-1650.
La courbe des salaires qui reflète en quelque sorte le niveau d'exportation d'un pays (pas que bien sûr) est à ce titre un indicateur très clair. Les chiffres de Robert Allen montrent que dès 1525, il se forme une divergence avec la France. Les salaires anglais sont déjà d'un quart supérieurs à la valeur des salaires français en 1570 et qu'en 1640 la messe est dite, les travailleurs français gagnent deux fois moins que les Anglais. John Munro avait démontré à peu près la même chose en utilisant le prix des matières premières au XVIe siècle.

Bien sûr, les avantages politiques retirés par la force des armes par le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté ont aidé les exportateurs. Mais ils avaient déjà un avantage très marqué que les accords politiques n'ont fait que confirmer. L'exportation anglaise vers le Portugal, par exemple, remonte au XVIe avec l'ouverture de la factory de Viana. Dès cette époque, la production locale ne faisait plus le poids face aux tissus anglais. Trop chers et de mauvaise qualité, l'industrie portugaise s'est retrouvée sur le carreau immédiatement (même les fameux azulejos venaient de Delft).
Les Portugais allaient importer leur consommation industrielle d'une façon ou d'une autre, la question restait à savoir qui serait l'exportateur. Les Anglais étaient bien placés, sur des marchés ouverts (empire ottoman, Espagne) ils réussirent presque à chaque fois (à la longue) à mettre la misère à leurs concurrents français et hollandais dans leur secteur de prédilection, l'industrie de produits basse et moyenne gamme. La politique vient bien sûr jouer un rôle dans ce processus, mais elle ne peut pas aller longtemps à l'encontre de la voix des fondamentaux: les produits anglais sont moins chers, les Anglais finiront par exporter plus.

Je ne suis pas sûr que l'exemple de l'Inde soit d'ailleurs le mieux choisi pour soutenir votre thèse. On peut bien sûr être de l'opinion que si Dupleix était resté, la France aurait eu une chance de garder sa colonie. Oui, un grand esprit parvient parfois à renverser des tendances et à créer la surprise, mais pour combien de temps? Dupleix, un jour, aurait du partir et après? Je ne suis pas spécialiste de cette question, mais il me semble que les Anglais en Inde et sur l'Océan avaient toujours un avantage matériel assez considérable: plus d'hommes, plus de canons, plus de navires, plus d'argent. Ce n'est peut-être pas romantique, mais un jour ou l'autre cet avantage allait finir par se traduire en succès sur le terrain.

Mais au fond là n'est pas la question. Car quand bien même la France eut-elle conquis l'Inde et ses millions d'habitants, cela eut-il changé grand'chose? A mon avis, non. Toujours pas de charbon, toujours pas de minerai de fer, toujours pas assez de marins, toujours un marché fragmenté et une agriculture peu productive, toujours pas de grande place financière à Paris, etc. Quel a été le rôle de l'Inde pour le développement de l'industrie britannique? Une chose est sûre, que la demande pour les produits anglais était avant tout anglaise elle-même. Ce n'est donc pas le consommateur captif indien qui a déclenché un quelconque choc de la demande en 1763 (voir les travaux de Patrick K. O'Brien, David Clingingsmith et Jeffrey G. Williamson).
Est ce que la rente coloniale suffit à expliquer l'envolée de la demande en Angleterre? Peut-être, mais la majorité des indicateurs (salaires, prix des matière première, etc) ne viennent pas soutenir cette hypothèse de l'effet de richesse. La conquête de l'Inde n'a donc, au mieux, eut qu'un effet très secondaire sur le développement d'Old Blighty. Les Etats Unis vont beaucoup plus dans votre sens, mais c'est un cas assez exceptionnel. Ce n'est pas tout les jours que l'on découvre la première région agricole du monde peuplée de chasseurs-cueilleurs sous-armés.

Voilà, pour résumer, à court terme, un homme d'Etat ou un militaire brillant (ou particulièrement mauvais) peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, mais au final le poids et le dynamisme de l'économie finissent par parler. Cela s'applique aussi aux colonies et aux échanges inégaux imposés par la cannonière. Il peut confirmer un avantage déjà acquis ou limiter la porté de celui-ci, mais ils ne réussiront pas à changer le cours des choses. Pendant la majeure partie de la période 1600-1850, la France s'est abrité derrière de puissantes murailles protectionnistes, qu'est ce que cela lui a apporté? Le Portugal et l'Espagne ont tenu le monde dans leurs mains, en sont-ils sortis plus développés? Pendant tout le XIXe les Pays Bas ont eu un empire colonial très important, cela leur a-t-il permis de tenir la cadence du croissance des autres pays européens? Une colonie ou un traité d'échange confortable peuvent avoir quelques effets, mais ils ne peuvent pas aller à l'encontre des fondamentaux de l'économie.

_________________
Labore Fideque


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Message Publié : 08 Mai 2015 10:47 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Nos points de vue se rapprochent, mais pas complètement.

Je trouve que vous vous focalisez trop sur la seule Angleterre et sur certaines dates.

1570/1640, en Frznce, ce sont les guerres de religion et les guerres européennes. Regardez comment les choses évoluent en Frznce juste après 1640 avec la guerre civile et les persécutions.

L'Angleterre n'a pas le monopole de la modernité économique et agricole. Loin de là. L'Europe rhénane et l'Italie du nord le sont tout autant. Et les Provinces Unies le sont davantage.

Les situations ne sont pas figées. Regardez comment évoluent les écarts après 1640, et surtout au 18ème siècle. Et vous verrez qu'ils se réduisent.

Au 18ème siècle, le principal apport de l'Inde, ce n'est pas encore d'être un marché de débouché pour l'industrie anglaise. Çela ne sera vraiment le cas qu'au 19ème siècle. Non, le principal apport de l'Inde, c'est de donner à l'Angleterre un quasi monopole de produits exotiques demandés dans le monde entier et, mieux encore, d'être une source gigantesque de pressurage et de pillage.
C'est çela que j'appelais le dopage. On n'est pas dans un processus de marge bénéficiaire dont on épargne une partie pour accumuler davantage de capital et innover. On est dans un pur processus de prédation à la romaine.

Les anglais n'avaient pas l'avantage en Inde avant que Dupleix soit mis sur la touche. Dupleix avait noué un réseau d'alliances qui lui permettait de tenir la dragée haute aux anglais.

Sur le Portugal, ce pays avait sa propre activité textile que rien ne condamnait. L'accord commercial avec l'Angleterre en signe le déclin irrésistible. Sans ces conditions outrageusement favorables, les textiles anglais ne s'y seraient pas imposés. En tout cas pas dans de telles proportions ni aussi vite. Ce qui aurait changé pas,mal les choses.

Regardez les stratégies de développement des pays émergents actuels inspirées des principes que ceux formulés par List à propos du protectionnisme enfant. Eux ont bien compris les leçons de l'Histoire. Ils exigent des clauses de production locale massive et des transferts de technologies. Quelles conditions en tire-t-on sur les notions d'avance et de performance ?
Au final, chacun a compris l'intérêt qu'il avait à rester maître chez soi et sa réelle capacité à dicter les termes de l'échange.

Il est désormais établi que la concurrence économique n'est ni une loi ni une morale. Ses résultats sont en grande partie liés à des rapports de force bon économiques et à des choix politiques.

La France de Colbert espionne les verreries de Venise et fait venir des verriers vénitiens pour importer (d'autres diraient piller) les technologies, et ça change pas mal de choses.

Les autres puissances commerciales auraient répliqué par leurs propres actes de navigation et les anglais se seraient retrouvés un peu moins malins.


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