Barbetorte a écrit :
Dans une autre discussion, qui porte sur le vote des femmes, j'ai avancé que : L'exécutif était moins faible qu'on se plaît à le dire, ce qui m'a valu en retour : Je me demande si Barbetorte connaît bien le fonctionnement des institutions de la IIIè République !
Il ne convient pas sur un forum d'histoire de s'en tenir aux idées reçues. Certes, personne n'ignore que sous les Troisième et Quatrième Républiques, le président inaugurait les chrysanthèmes et que le turn over à Matignon donnait le vertige tandis que depuis 1958, le président préside et que le gouvernement gouverne. A quoi ce changement est-il dû ? N'y a-t-il d'autre cause que les changements constitutionnels ?
Avant d'entrer dans le détail, faisons quelques observations au cours du temps et sur un espace plus large que le territoire national.
Commandement des armées.
Selon les textes constitutionnels, sans interruption depuis 1870, le président de la République est chef des armées. Cependant nous observons qu'au cours de la Grande Guerre, les directives adressées au commandement militaire émanaient essentiellement du président du conseil. A l'inverse, sous la Cinquième, le président commande effectivement. Pourtant : Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de la force armée.
Stabilité des gouvernements.
L'instabilité fut le principal vice des Troisième et Quatrième Républiques. Mais imaginons qu'en 1958 Charles de Gaulle ait gouverné en tant que chef du gouvernement sans changement constitutionnel. Dans la mesure où il disposait d'une confortable majorité parlementaire, il aurait gouverné et les militaires séditieux se seraient rangés sous son autorité : pour ces derniers, ce n'était pas une question d'institutions, c'était une question de personne.
Imaginons maintenant que, sous nos institutions actuelles, il n'y ait plus bipolarisation mais au moins trois ensembles politiques en vive concurrence. A moins d'une forte volonté de conciliation qui aboutirait à une coalition stable, ce qui a manqué sous les régimes précédents, ce serait l'instabilité assurée.
L'Italie, qui a des institutions proches de notre Quatrième République, a connu la stabilité pendant une quinzaine d'années pendant toute l'ère Berlusconi.
Elaboration des lois.
La priorité dans l'initiative des lois données au gouvernement est une exception française. Les autres pays européens s'en passent fort bien. Pour pallier les lourdeurs du système parlementaire sous les Troisième et Quatrième, on avait adopté un moyen très simple : donner exceptionnellement des pouvoirs législatifs au gouvernement. L'exception était devenue presqu'une habitude. On a légiféré au moins autant au moyen de décrets-lois sous la Troisième qu'au moyen d'ordonnances sous la Cinquième. Lorsqu'il le fallait, on savait très bien donner au gouvernement le moyen de gouverner. Inversement, la priorité donnée aux projets de lois ne sert à rien s'il y a refus parlementaire d'adopter ces projets.
Cela m'amène à penser que ce qui a été déterminant, c'est moins la lettre des institutions que, d'une part les majorités qui se dégageaient, ou ne se dégageaient pas, des élections, et d'autre part les pratiques qui se sont mises en place sous les différents régimes.
Pour comprendre la logique d'une constitution et sa portée, il faut la lire entièrement et en prendre en compte toutes les dispositions. Là, vous comparez les chapitres ou thèmes entre, d'une part pour la 3ème république, les lois constitutionnelles et la coutume, et d'autre part pour la 5ème république les chapitres correspondant.
Or il y a dans les textes mêmes de la 5ème des éléments décisifs qui expliquent que la pratique soit radicalement différente.
L'article 3 qui institutionnalise le référendum et proclame enfin, pour la 1ère fois dans notre Histoire, que la souveraineté nationale appartient au Peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Cette phrase est tout sauf creuse et anodine. Elle est une réconciliation entre 2 logiques contradictoires qui étaient chacune critiquable : la logique de souveraineté nationale qui faisait que l'assemblée élue se prétendait la seule habilitée à parler au nom du Peuple souverain, la seule détentrice de la souveraineté nationale, et la logique de souveraineté populaire qui conduisait les révolutionnaires à faire le coup de force dans la rue en se proclamant eux-mêmes le Peuple.
L'article 12 lui donne le pouvoir de dissoudre l'assemblée nationale.
Vous avez l'article 16, sur lequel je ne reviens même pas et qui est exceptionnel, et qui donne au président les quasi-pleins pouvoirs en cas de crise majeure
Et surtout, la clé de voute en apparence technique, vous avez l'article 19 qui fixe les pouvoirs propres du président de la république : ceux pour lesquels il n'y a pas nécessité de contreseing par le Premier ministre et les membres du gouvernement. Or ces pouvoirs sont majeurs.
Bref, pour répondre à votre question, si De Gaulle avait continué avec les institutions de la 4ème république, il aurait été dégagé quelque part entre 1960 et 1962.
Il y a déjà eu de rares chefs du gouvernement forts sous la 3ème république, notamment Clemenceau entre 1917 et 1920. Mais Clemenceau a vite été dégagé du fait des institutions de la 3ème qui mettaient l'exécutif à la merci du bon vouloir d'un groupe charnière.
Reste la question non constitutionnelle du mode de scrutin. Les constituants de 1958 n'avaient pas prévu la force de la logique majoritaire résultant de la combinaison des nouvelles institutions, du nouveau mode de scrutin, et du réagencement de l'échiquier politique qui s'en est suivi.
En tout état de cause, s'il n'y avait pas eu de majorité parlementaire nette, le pouvoir aurait pu mobiliser les moyens très forts de parlementarisme rationalisé introduits dans la constitution de la 5ème : article 49-3, vote bloqué, irrecevabilité article 40, possibilité de légiférer par ordonnance, large possibilité de recours au référendum, et droit de dissolution.
On a vu comment cela s'est passé en 1962 quand le Parlement, où les gaullistes n'avaient pas la majorité, a cru pouvoir continuer une pratique parlementariste en votant une motion de censure : dissolution et large majorité parlementaire élue sur l'approbation de la ligne portée par de Gaulle.