Dans un autre forum, Bruno Roy-Henry, mettant en parallèle la cérémonie du 2 avril 1861 et le retour des cendres de l’Aiglon le 15 décembre 1940, écrit ceci :
« nous savons qu'ils étaient au moins 20 gardes républicains pour porter le cercueil de Napoléon II (800 kg) en 1940. »
"Dans son numéro 5102, du 21 décembre 1940, le journal L'Illustration a relaté cet événement dont nous vous livrons quelques extraits:
[…]
Vingt-quatre hommes furent nécessaires pour hisser le pesant cercueil sur un affût d’artillerie remorqué par un tracteur."
« Confirmation : 20 soldats allemands et 20 gardes républicains. Le récit de Joker emprunte à la relation d'André Castelot de la cérémonie dans son livre sur l'Aiglon... »
Là encore (comme d’habitude…), beaucoup de certitudes poudrées d’imprécisions.
Essayons d’y voir plus clair.
A son arrivée à Paris, la nuit du 14 au 15 décembre 1940, le cercueil de l’Aiglon fut transporté en trois occasions :
1°A la gare de l’Est, quand les Allemands le sortirent du train pour le placer sur une prolonge d’artillerie.
2° Devant les Invalides, quand les Allemands descendirent le cercueil de la prolonge pour le placer sur un brancard.
3° Aux Invalides, quand les gardes républicains le déplacèrent de la grille au maître-hôtel.
Commençons par la gare de l’Est.
Le lieutenant colonel i G. Dr. Spiegel avait ainsi prévu l’affaire :
« Le 15 décembre 1940, 0 h 05 une compagnie du 14./IR 81 sera présente devant la gare de l’est pour la réception du cercueil. Il y aura également un affût d’artillerie anti-aérienne. Au même moment, le cercueil sera transféré du wagon sur l’affût par 16 soldats de cette compagnie, sous les ordres d’un officier et attaché sur cet affût. »
(Document tiré du site suivant :
http://www.histoire-empire.org/articles ... n_a_vienne)
Le Petit Parisien, dans son numéro du 15, écrivait ceci :
« Alors s’avancent les dix huit soldats qui vont, sur leurs épaules, porter le lourd cercueil. »
Le Matin, à la même date :
« Vingt porteurs […] pénétrèrent [dans « le fourgon mortuaire »]. Le cercueil placé sur des rouleaux fut conduit à bras jusqu’à un affût de canon drapé de noir » (Le matin 15)
A quoi, on peut rappeler le passage de l’Illustration du 21 décembre :
« Minuit allait sonner. Vingt-quatre hommes furent nécessaires pour hisser le pesant cercueil sur un affût d’artillerie remorqué par un tracteur. »
Pourtant, à voir cette photographie, le nombre de porteurs parait moindre : 12 ?
Avec 16 porteurs, Spiegel aurait-il prévu large ? Les 18, 20 et 24 porteurs du Petit Parisien, du Matin et de l’Illustration sont-ils une affabulation ?
Tout n’est peut-être pas si simple.
Le transport effectué à la gare de l’Est s’est en effet déroulé en trois temps : la descente du wagon, le transport vers la prolonge et le hissage sur celle-ci.
Si pour la deuxième étape, le nombre de porteurs semble moindre que celui prévu à priori ou donné ensuite par les comptes-rendus de la presse, il a sans doute fallu plus de bras pour la première et dernière étape.
Ici la descente du wagon :
Et là, le hissage sur la prolonge :
S’il est difficile de déterminer ici le nombre de porteurs, les participants (difficile d'évaluer les efforts réels de chacun) à la manœuvre sont supérieurs aux 12 supposés de la translation du wagon à la prolonge.
En somme, les Allemands se sont adaptés aux situations plus ou moins délicates rencontrées in situ. D’où peut-être la différence du nombre de porteurs entre la première photographie et les articles de la presse relatifs aux opérations de la gare de l’Est.
Passons à la grille des Invalides.
« Les vingt soldats allemands, casqués, le regard fixe, les muscles du visage raidis, abandonnent les allonges de bois avec lesquels ils avaient porté le cercueil et s’enfoncent dans la nuit » nous dit Le Petit Parisien, du 15 décembre 1940.
Furent-ils 20 ? Là encore difficile à dire, les photographies que j’ai pu récupérer ne permettant pas d’en être certain :
On remarquera cependant que certains porteurs ne servent que d’un bras. Un même nombre de porteurs ne signifie pas en même un même effort…
Virent ensuite les gardes républicains. La logique pourrait laisser imaginer que le nombre de porteurs français soit le même que celui des porteurs allemands. Il faudrait cependant ici faire fi des différences du cérémonial et du matériel utilisé.
L’Invalides ne sont pas la gare de l’Est et on arrivait là au point d’orgue de cette nuit.
Ainsi, pour une même charge, on peut tout à fait en fonction des circonstances faire évoluer le mode de transport ; cette réflexion peut s’appliquer à d’autres époques…
Que nous disent les témoins ou la presse ?
« Vingt gardes républicains se saisissent du lourd cercueil de bronze et c’est sur des épaules françaises que les restes du fils de Napoléon franchissent lentement la cour enneigée. »
(Castelot, Le fils de l’Empereur)
« Vingt sous-officiers des gardes républicains, en tenue d’apparât, chargèrent sur leurs épaules le cercueil du roi de Rome et lentement, lourdement, suivis par ceux, français, qui derrière l’affût, avaient traversé la capitale endormie, gagnèrent la chapelle. »
(Maxime-Dethomas, présenté comme témoin de la scène par Le Journal de la France, les années 40, n°123)
« Le cercueil porté par quinze gardes républicains s’avança lentement vers le tombeau de l’Empereur. » (Le Matin, 15 décembre 1940)
« Tour à tour, deux équipes de seize gardes se relaient, gravissent les degrés de la chapelle. » (L’Ouest-Eclair, 16 décembre 1940)
Les chiffres valsent encore. Je passe sur l’histoire des épaules portant le cercueil…
Faut-il pour autant tout rejeter ? Pas si sûr, le nombre des porteurs, comme à la gare de l’Est, ayant pu évoluer (L’Ouest-Eclair nous parle d’ailleurs de deux équipes) en fonction des circonstances.
Les images à disposition ne sont guère probantes :
On peut cependant se pencher d’un peu plus près sur le matériel utilisé (plus prestigieux que les simples allonges allemandes) :
A priori, ce type de brancard est prévu pour 14 porteurs : 4 de chaque côté, 3 à l’avant et à l’arrière. Mais comme dit plus haut, si les témoignages disent vrai (et l’histoire des épaules ne plaide pas en faveur de certains dires), il est peut-être possible que des porteurs se soient ajoutés au cours du transport.
Adaptation aux problèmes techniques et aux rigueurs du cérémonial souhaité, les chiffres peuvent varier sans pour autant être faux. Comme déjà dit dans ce fil à propos de la cérémonie du 2 avril 1861, difficile d’avoir des certitudes…
Dernière précision, le cercueil quitta le maître-hôtel pour la chapelle où se tenait le tombeau de Jérôme.
On ne précise pas ici le nombre de porteurs, mais le degré de solennité fut bien moindre et ce furent de simples employés des pompes funèbres qui furent appelés à la tâche :
« Froide, nue, plus immense encore dans la funèbre pénombre d’un crépuscule d’hiver, [« la châsse du roi de Rome » est débarrassée du drapeau tricolore et portée à bras d’homme. Encore une fois, mais seul, sans cérémonial, sans musique, sans armes, avec la seule compagnie des gardes de la mort et le fantastique cortège des âmes errantes, l’Aiglon passe à côté de l’Aigle. » (Paris-Soir, 17)
« Il ne reste autour du catafalque de l’Aiglon que les gardes à crinières et les employés des pompes funèbres.
Les gardes quittent le maître-hôtel et vont donner la haie dans la partie gauche de la galerie circulaire.
Les employés des pompes funèbres soulevèrent la châsse de bronze et la portent le long de la nef latérale jusque sous la voûte où se dresse le tombeau de Jérôme, le frère de l’Empereur. »
(Le Petit Parisien, 16 décembre 1940)
Encore une situation différente pour un même objet à transporter…