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-les agglomérations disparaissent ou se vident à 50%
Là dessus c'est compliqué de trancher ; les villes se resserrent derrière des fortifications défensives d'un faible diamètre mais ne rendent pas compte assurément de la réalité de la population de l'époque. Le suburbium est toujours la zone la moins bien fouillée et la moins bien connue.
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-la légion et l'infanterie disparait au profit de comitatenses cavaleruie plus maniable et rapide
Attention, ce qui disparaît est la lourde formation d'infanterie de 5000-6000 hommes ; on a été obligé d'éclater ces anciennes unités de combat en détachement réduits pour faire face à une menace insaisissable et diffuse (quelques centaines d'hommes). Du coup les formation d'infanterie tardive tournent autour de 1000 hommes pour les légions et 500 hommes pour les auxiliaires. Cela explique aussi l'inflation du nombre d'unités combattantes comme on le voit dans la Notitia Dignitatum. Mais les comitatenses ne se composent pas seulement de cavalerie, loin s'en faut. Ce sont des unités de combat plutôt privilégiées qui obéissent à un comte dirigeant une région militaire importante et aux ordres des magistri militum. Parmi ces comitatenses il y a aussi des unités montées mais elles ne représentent pas la majorité. Par ailleurs il existe deux autre grands corps dans l'armée tardive ; les limitanei, dépendant des duces frontaliers, de fait moins "mobiles" que les comitatenses considérés comme unités d'intervention. Néanmoins en cas d'opération militaire d'envergure ces unités étaient évidemment à même d'entrer en campagne. La dernière partie de l'armée est composée de la crème de l'élite, les troupes palatines qui, comme leur nom l'indique, dépendaient directement du prince.
Ce qui est vraiment remarquable dans cette armée est donc l'augmentation du nombre de cavaliers, sans qu'ils deviennent majoritaire, la plus petite taille des unités pour être plus adaptées à la menace, la plus grande utilisation d'unités légères là encore pour s'adapter aux agressions. C'est une armée qui au début du IVe siècle a pris la mesure de la menace rencontrée au IIIe siècle. Si la tendance ne s'inverse pas complètement après un IVe siècle bien plus tranquille c'est que la nature de la menace change encore ; l'arrivée des Huns explose les équilibres qui s'établissaient sur les marges de l'Empire : les Germains et Autres ne vont plus seulement pratiquer des rapines, ils veulent entrer et se fixer dans l'Empire...
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Si on n'avait que l'archéologie et qu'on ne pouvait pas déchiffrer le latin, nous daterions la chutte de l'empire romain à 250 ap JC
Tout dépend où l'on se trouve aussi ; si vous étiez dans le Nord de l'Afrique vous penseriez que c'est l'époque d'apogée de l'Empire.
Concrètement au IIIe siècle la Gaule et les marges frontalières ont durement trinqué. Elles ont également eu à souffrir de l'instabilité politique et de l'abandon relatif de la part de l'autorité centrale, d'où en Gaule ce fameux Empire gaulois de Postumus, venant se substituer au vide.
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Pensez-vous vraiment qu'un Etat aux finances solides confierait la majorité de sa défense à des étrangers ? Que l'Etat romain ait fait appel à des fédérés est selon moi une conséquence de plusieurs facteurs. La perte de prestige du métier des armes d'abord. De mauvaises finances ensuite. Les fédérés étaient "payés" en nature avec une terre qui leur était attribuée, pas en monnaie. Ce qui est problématique, car comme je l'ai dit dans un de mes précédents messages, retirer sa terre à quelqu'un est très difficile. Le payer en monnaie est bien plus pratique, car celui qui reçoit la monnaie sera davantage discipliné. Si l'Etat romain avait payé les fédérés en monnaie, la situation aurait été moins grave. Pourquoi ne les a-t-il pas payés en monnaie ? Selon moi parce que l'Etat romain n'en avait plus assez. Ce manque de monnaie est un révélateur du mauvais état de ses finances.
Il aurait surtout fallu les faire entrer dans la structure de l'armée romaine et ne leur laisser sous aucun prétexte l'indépendance du commandement. C'est la base de toute affaire militaire. Bien entendu que la délégation de terres étaient encore un cran supplémentaire dans le "renoncement" même si cela paraissait être une bonne idée de laisser des barbares se battre contre d'autres barbares et assurer par là la tranquillité des provinces. C'est une solution à courte vue et le résultat a été celui qu'on sait. Néanmoins pour ce qui est des questions de moyens je crois qu'il faut savoir quand on se place. Si c'est dans la seconde moitié du Ve siècle, quand les barbares occupent de larges portions de sol impérial il est évident que Rome est rincée et qu'elle n'a plus les moyens de procéder autrement. Si on parle de la fin du IVe siècle et du début du Ve siècle Rome est très loin de mettre la clé sous la porte ; les finances peinent surtout à cause du manque d'empressement des riches curiales pour payer l'impôt qui préfèrent souvent faire des dons à l'Eglise ou se ménager des cossues villae que mettre la main à la poche pour la communauté. Mais les milieux sénatoriaux brassent des sommes effarantes et l'Etat a encore les moyens de solder une armée de prêt de 500000 hommes, tout en les équipant. Bien entendu qu'entre théorie et pratique il y a une distance mais n'oublions pas que l'Etat assure la construction d'un immense système défensif sur les frontières durant le IVe siècle et se permet le luxe de pourvoir magnifiquement l'Eglise en nombreuses et luxueuses basiliques pour le culte chrétien... Donc voilà, tout dépend de quand on se place.
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Alors vous et moi ne comprenons pas le mot déclin de la même façon. Je vois le déclin par rapport au passé, à un état antérieur, pas en ayant en vue une finalité. Déclin veut dire descente. Mais une descente ne veut pas dire qu'il n'y a jamais de remontée. Une civilisation décline par rapport à ce qu'elle était avant. Cela ne veut pas dire que le déclin qu'elle connaît ne sera pas suivi par un nouvel apogée.
On peut s'y épuiser longtemps simplement parce que le terme déclin ou celui de décadence a trouvé des sens et des explications extrêmement divers et même contradictoires au grès de l'historiographie. Les philosophes à l'époque des Lumières voyaient un déclin moral de l'Empire depuis la fin de la République et pour eux c'était l'affaiblissement des mâles vertus romaine qui étaient la cause de l'effondrement. Pour les marxistes le déclin était dû surtout à la liberté perdue et à la monté de l'autocratie dans l'Empire. Pour les libéraux, à des considérations économique et un trop grand contrôle de l'économie par l'Etat... Et on peut continuer d'égrener les thèses, chacun voyant dans Rome une tare mortelle qui, si elles l'avaient toute été à ce point c'est à se demander comment l'édifice n'avait pas croulé plus tôt...
Dire qu'un Etat "décline", qu'il est moins "brillant" qu'avant implique de dire en quoi. Or rapidement on se trouve confronté à des problèmes dont certains débouchent vers de l'idéologie pure et simple. Par exemple l'intervention de l'Etat dans l'économie est jugé par certains comme abominable quand d'autres souligne la pertinence de l'action... Et puis faire l'état des lieu de l'Empire n'est pas chose aisé avec les sources que l'on possède, qui ne sont pas toutes exemptes d'idéologies. La dynastie des Antonins est universellement louée parce qu'elle a trouvé ses promoteurs dans les milieux guindés qu'elle a largement favorisé. Est-ce qu'on aurait le même son de cloche avec des historiens venant d'autres milieux que Tacite?
Et puis si on s'en tient à des données plus factuelles on se rend compte que dans l'Antiquité tardive Rome étoffe les bureaux de son administration, qu'elle prend à son compte la fourniture militaire, qu'elle améliore son découpage administratif, qu'elle renforce ses défenses extérieures... Donc si on s'entend sur une notion de déclin le moins que l'on puisse dire c'est qu'il ne sera pas aussi unilatéral qu'on pourrait le penser. En cela je vous recommande la lecture de l'ouvrage de J.-M. Carrié et A. Rousselle, l'Empire romain en mutation ; c'est au Seuil dans la collection Nouvelle Histoire de l'Antiquité.