Elviktor a écrit :
Le statut de "Lètes" , globalement jusqu'à la fin du IIIe s. place les «peuples barbares» désarmés qui le subissent sous le pouvoir de l'empereur, et de manière très encadrée, ceux-ci sont sont soumis à l'impôt , parfois sujets à la conscription et souvent déplacés de force, de manière quasiment punitive, vers des terres de l'empire et des grands propriétaires terriens en Gaule, Thrace, Illyrie pour défricher et relever l'agriculture, en tant que "colons" en quelque sorte et non comme combattants. C'est par exemple le cas des "Carpes" à la fin de ce IIIe s. qui seront transplantés d'au delà du Danube vers le territoire romain. Il s'agit là de la politique poursuivie jusqu'à sous Constantin Ier. par un empire romain fort vis-à-vis des populations extérieures à ses limes qu'il finit soit par soumettre soit par assimiler.
Il en va tout autrement pour le "fédérés" en effet, mais nous parlons en ce cas, d'un tout autre moment et événement (et je suppose que vous vous référerez alors plus probablement et précisément à l'irruption des Goths en Mésie en l'an 376 ?).
C'est très précisément ce que j'ai voulu dire et ce que je pense.
Le cas des Goths en 376 est effectivement le moment de basculement de la politique romaine. Tout débute de la manière habituelle ; une population demande l'autorisation à l'autorité impériale d'entrer sur le sol romain et elle lui est accordée. Ce faisant, les administrateurs locaux romains se chargent d'accueillir les Goths et décident, sans prendre la peine de les désarmer note Ammien, de les parquer et de les affamer, rien de moins. Leur révolte et leur victoire à Andrinople place les Romains dans une situation très délicate parce qu'ils ont sur le dos, sur leur territoire, un peuple fragmenté en bande qui crée de l'insécurité et que l'on ne parvient pas à réduire à la supplication en traitant avec lui. Comme ce peuple est en position de négocier il obtient un statut privilégié, avec une large autonomie que n'ont jamais eu les autres peuples installés sur le sol romain jusque là. Par la suite, et face à l'urgence des situations militaires, le pouvoir impérial n'aura souvent pas trop le choix que de normaliser avec des traités du même type, ses relations avec les nouveaux venus. Le problème qui s'ajoute vient du fait qu'ils aient trouvé habile d'utiliser ces populations pour assurer la défense de l'Empire sans en avoir la maîtrise. C'est ce qui les poussera à lancer un peuple contre un autre pur toujours se retrouver avoir sur le dos des troupes autonomes dont les buts n'étaient pas commun avec ceux de leurs maîtres théoriques...
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Oui, mais c'est au Ier s. av. JC que se fait cette transplantation et intégration. Autre temps et tout autre contexte que celui de l'empire tardif, ce me semble...
Non, il y en a eu bien d'autres ; prenez pour illustrer le petit Atlas de Rome et des Barbares d'Hervé Inglebert qui liste les installations dans l'Empire ; cela prend des proportions importante dès le IIIe siècle sans provoquer d'effondrement du système romain et cela se poursuit durant le IVe siècle.
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Les vertus guerrières prêtées aux "Barbares" furent l'une des raisons, en effet, qui poussèrent de tout temps les romains à utiliser à leur bénéfice ces hommes. Mais, il me semble, que jusqu'à la bataille d''Andrinople en 376 les "peuplades barbares" avec qui étaient passé les traités (foedus) constituaient des unités temporaires, plus proches de troupes mercenaires encadrées par des officiers romains, et qui étaient renvoyées chez elles dès qu’on en avait plus besoin.
Non pas seulement ; les Romains usent de temps en temps de troupes alliés, notamment dans les guerres civiles, pour faire la différence en terme d'effectif face à l'adversaire (et pour servir de "chair à canon") et pour éviter de trop dégarnir les forces frontalières. Mais il existe aussi un important recrutement dans le barbaricum "d'immigrés" venus chercher la prospérité dans l'Empire, les frontières n'étant certainement pas hermétiques. Les Romains l'organisent eux-même par l'impôt en or que peuvent verser les propriétaires terriens en substitution de la livraison de recrues pour l'armée. Il y a en conséquence un bon nombre de gens originaires des terres barbares dans l'armée et on les retrouve dans tous les niveaux de la hiérarchie. Et ils sont souvent d'une fidélité exemplaire.
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Il semble que l'empereur Valens, après moults hésitations, laisse entrer et s'installer en Mésie ces populations de "réfugiés" Goths (hommes, femmes et enfants avec armes et bagages fuyant l'arrivée des Huns) avec l'intention justement d'utiliser ensuite ces réputés combattants Goths en Mésopotamie où les poussés Perses sur les frontières orientales de l'empire réclament leur dû en troupes aguerries. Et c'est en raison du déplorable traitement qui sera donné à cette population Gothe par la troupe légionnaire en Mésie que ces derniers finiront par se révolter et que cela se soldera par l'affrontement d'Andrinople où l'empereur sera tué et un tiers de l'armée romaine détruite. C'est probablement d'ailleurs à partir de ce moment victorieux où les Goths fixent leurs conditions à l'empire (ravitaillement, terres et n'être dirigés et gouvernés que par eux-mêmes) et dans les conséquences de cette bataille que se trouve le destin de la chute de l'empire romain d'occident.
On est bien d'accord (j'ai lu votre message morceau par morceau et je me rend compte que plus haut j'ai dit la même chose
). En tout cas ce qui est fascinant c'est que ce "destin" de Rome est exprimé déjà par Ammien à la fin de son oeuvre. Il avait le recul d'une vingtaine d'années après la défaite mais il a surtout pressenti ce que cela allait impacter sur la situation romaine. Néanmoins je ne pense pas que tout cela était inéluctable. Rome a su souvent se relever de crises plus douloureuses mais cela aurait réclamé plus de fermeté dans l'exécutif, moins d'intrigue entre pouvoir et armée, moins de distances prises par l'aristocratie face aux réalités géopolitiques, plus de sens du collectif de la part des élites locales... et d'un peu de bol parfois.