Est-il juste de parler de "réaction féodale"?
Cela me paraît une antiphrase, une manière de détourner l'attention d'autres causes, plus précises.
A ma connaissance ce mouvement est directement lié à l'ascension de la bourgeoisie.
Les nouvelles puissances d'argent venues de la ville achètent des seigneuries pour se parer des titres correspondants, mais entendent bien rentabiliser leur investissement, pas question de se dorer le blason à fonds perdus.
Avec toute la rigueur qui caractérise le commerçant ou le légiste, on va donc ressortir les terriers médiévaux, les vieilles redevances dont les assiettes ne veulent plus rien dire, qui parfois sont devenus exorbitantes ou au contraire complètement dérisoires... tout en pestant contre le droit coutumier, qui est une passoire à trous bien trop grands...
Si on avait eu la bonne idée de tout écrire pendant des siècles, il y aurait surement eu moyen de gratter beaucoup plus Une certaine illustration avec la forêt de Benon en Poitou. Ce massif n'avait jamais été vendu. Cédé en apanage, réintégré au domaine royal, érigé en comté, saisi... Bref, la première réelle acquisition eut lieu au XIXè siècle, par une parvenue de la Révolution, Madame Talon, dont les descendants seront "Princes de Craon".
Stupeur de l'acheteur, qui croyait acquérir en pleine propriété un massif de milliers d'hectares et en bénéficier de tous les revenus:
les antiques droits féodaux (glanage, affouage, vaine pâture etc.) perduraient tranquillement. La Révolution n'avait pas passé par là.
Tout au long du XIXè siècle, les procès vont s'accumuler. On ressort les vieilles chartes, des documents des XVè, XVIè, XVIIè siècles, on remonte jusqu'aux conditions d'apanage d'Alphonse de Poitiers! Ce sont les communes riveraines qui s'opposent au propriétaire. Le but est déterminer avec précision quels droits ancestraux sont gratuits, quels autres sont monnayables et à quel prix.
Cet exemple est plus facile pour nous à appréhender, car il se déroule au XIXè (les procès s'étendront jusqu'au XXè siècle). Mais cela ressemble à ce qui se passait à la fin de l'Ancien Régime: un acquéreur investit dans la terre, qu'il rachète potentiellement à un hobereau ruiné, et il a bien l'intention de réveiller la belle endormie. De
booster les marges, dirait-on aujourd'hui d'une entreprise que l'on rachète. Le consultant prisé de l'époque, tel François Baboeuf, c'est en effet le limier pointilleux. Ses émoluments sont intégrés dans le calcul de l'investissement. Qui saura trouver une redevance oubliée de tous? Ou en interpréter une connue de manière nouvelle? Et,
nec plus ultra, peut-on imaginer une correction rétroactive? On aurait tort de se priver d'essayer. Je ne mentionne même pas le cas où l'acheteur aurait fort opportunément un frère au Parlement...
C'est pour cela que le mot "réaction féodale" me paraît inapproprié. Le tatillonisme procédurier, la recherche de rendement n'est pas d'essence féodale, c'est plutôt une marque de l'époque moderne.