CNE_EMB a écrit :
C'est pour cela que des méthodes d'état-major ont été élaborées depuis, pour éviter de s'intoxiquer avec sa propre subjectivité. Ici, on a un cas typique, aisément compréhensible d'ailleurs :
1) il ne faut pas que les Allemands entrent en France pour préserver le territoire et ses industries stratégiques du nord et de l'est, pour lui éviter le martyre de 1914-1918, pour éviter de montrer que les dépenses faramineuses de la ligne fortifiée frontalière ont été inutiles. Le champ clos doit obligatoirement être en Belgique ;
2) il est important, pour améliorer un rapport de forces défavorable, que la Belgique, voire les Pays-Bas, soient associés à l'effort de guerre, malgré eux si nécessaire. Une agression allemande est un prétexte rêvé pour atteindre cet objectif ;
3) un accident de vol qui a toute l'apparence de l'accident et pas d'une manoeuvre de déception pensée indique que le plan allemand va dans ce sens, ce qui cadre parfaitement avec les intérêts stratégiques du GQG (cf. 1) ;
4) tous les indicateurs sont au vert en janvier 1940, tout indique que ce que l'on a pensé est ce qui va se réaliser.
Tous les ingrédients d'un cocktail explosif sont en place : non seulement c'est ce que Gamelin veut, mais en plus, tout laisse à penser que les Allemands le veulent aussi. Il n'y a donc aucune raison de penser qu'il en ira autrement. Et là, boum, c'est le drame, l'accident bête.
A noter qu'il est extrêmement difficile intellectuellement de remettre en cause un raisonnement dans lequel on a croché avec conviction, ses certitudes nourries par des indices objectifs (ou qui le paraissent), surtout si ce raisonnement a pu mûrir des semaines et des semaines d'intenses réflexions.
Aujourd'hui, existe la procédure du "Branch Plan" dans les états-majors otaniens (élaboration d'un "cas non-conforme" par rapport à la marche prévue des opérations), et rien que dans la méthode d'élaboration d'une décision opérationnelle tactique on met dans l'armée française en garde contre les présuppositions.
CNE EMB
Merci pour cette synthèse claire CNE_EMB, la "subjectivité" et les désirs du GQG se sont mêlées à la pensée stratégique qui aurait dû envisager ce "cas non-conforme". Du côté français, tout concours à vouloir se battre en Belgique et les allemands ont eu le temps d'estimer cette "volonté" de l'adversaire. Il ne désire pas la guerre, cela est criant, Hitler a eu le champ libre jusqu'à la Pologne.
Une fois les preuves assez nombreuses de cette "carence de volonté" au sein du commandement ennemi, les chef allemands ont finalement élaboré un plan d'invasion assez différent et autrement plus dynamique (plusieurs axes de pénétration, "une course à la mer" dès que Sedan tombe, des forces combinées entre blindés et aviation) que ce qu'espèrent (et croient) les Français. Anticiper les souhait de l'adversaire permet de le plonger dans le cauchemar.
Les alliés pensaient peut être surclasser le Reich par une mobilisation économique et de les surclasser militairement grâce à l'industrie de guerre anglo-française tournant à plein régime. Cet attentisme pour étouffer le Reich l'a poussé au final à accélérer sa conquête et à bousculer cet adversaire solidement installé mais qui n'agissait pas. Initialement, juste après la Pologne, les nazis craignaient et retardaient l'affrontement avec la France, ils ont en tête les contre-attaques de a première GM.
Von Leeb, commandant du groupe d'armée C note dans son carnet en septembre 1939 cette phase qui résume les craintes des généraux allemands face à ces capacités alliées :
"La surprise n'est pas possible. Nous allons avoir un nombre infini de victimes sans pouvoir venir à bout des français. Une attaque contre la France ne pourra pas être menée comme l'attaque contre la Pologne, mais sera longue et provoquera des pertes énormes."Le "coup de main" réalisé face à la faible Pologne semble, de manière logique impossible à transporter à l'ouest. Le pouvoir de résistance à une attaque est énorme, l'Allemagne risquerait à la longue l'épuisement total. Les alliés veulent en effet cet épuisement mais sans se risquer en opérations coûteuses et en attaques...
La Sarre prouve probablement aux généraux allemands que la France veut se maintenir sur la défensive, elle veut rester "dans le coup" en cas d'attaque en Belgique. La pensée Blitzkrieg ne naît qu'à l'issue des expériences de Pologne et de France (jusque-là elle se borne à la partie opérationnelle non à un ensemble stratégique cohérent) car initialement c'est un coup d'audace: l'Allemagne est inférieure au niveau de l'effort industriel, numériquement également (et ceux dans tout les domaines, division et matériel, face aux ressources cumulées déployées en mai par la France, L'Angleterre, la hollande et la Belgique). Sauf que ce que font les Français, vouloir gagner la guerre en évacuant les opérations, en retardant au plus l'affrontement et sans prendre l'initiative fait au final le jeu des nazis qui auraient probablement eu beaucoup plus de mal, comme le craignait von Leeb ou Halder, face à une vaste offensive des occidentaux, alimentée par des moyens demeurant bien supérieur à ceux des allemands.